La pénurie de carburant qui touche la France rend le trajet vers le lieu de travail difficile pour de nombreux salariés. Pourtant, l'absence de carburant à la pompe n'est pas vraiment un cas de force majeure selon le droit du travail. Même si la période pousse les entreprises à la tolérance.
Ils sont nombreux chaque soir à se demander où aller chercher de l'essence ou du gasoil pour pouvoir se rendre au travail le lendemain matin. Face à la pénurie de carburant qui touche environ un tiers des stations-services françaises depuis plusieurs jours, avec de très nombreuses pompes à sec dans la région lyonnaise, les files d'attente s'allongent devant les stations-services jusqu'à tard le soir et dès le petit matin. Et il faut souvent parcourir de nombreux kilomètres avant de trouver une pompe approvisionnée, malgré les cartes interactives qui informent de l'ouverture de telle ou telle station en temps réel.
"Un maçon m’a dit vendredi dernier que s’il ne trouvait pas d’essence ce week-end, il ne pourrait pas venir lundi. Il en a finalement trouvé avec difficulté. J'ai de nombreux artisans qui me disent ces derniers jours qu'ils peinent à trouver de l'essence pour aller bosser. Certains se lèvent la nuit", raconte Raphaël Archier, maître d'œuvre du groupement artisans du Rhône.
Un maçon m’a dit vendredi dernier que s’il ne trouvait pas d’essence ce week-end il ne pourrait pas venir lundi
Raphaël ArchierMaître d'œuvre du groupement Artisans du Rhône
Chez Félix transports, une entreprise basée à Chassieu dans l'Est lyonnais, le problème est identique. "Pour l'instant les salariés arrivent à venir travailler. Mais je sais que ce n'est pas simple pour eux de faire le plein pour se déplacer", glisse Franck Félix, le président de cette entreprise de transport dotée d'une flotte d'une vingtaine de poids lourds.
Des difficultés de déplacement qui pourraient même être accrues dans les jours à venir, car le mouvement de grève a été reconduit dans cinq raffineries à l'arrêt, dont celle de Feyzin dans le Rhône.
A t-on le droit de ne pas aller au travail avec la pénurie de carburant ?
Le patron de Félix Transport dit qu'il serait évidemment compréhensif si l'un de ses salariés serait bloqué chez lui avec une voiture en panne sèche. Mais dans les faits, le droit du travail protège-t-il les salariés qui ne pourraient pas se déplacer à cause de la pénurie de carburant ? Dans les locaux de certaines entreprises, le bouche-à-oreille bruisse notamment autour du cas de force majeure, qu'il serait possible d'invoquer pour justifier une absence dans la période actuelle.
Un cas de force majeure doit être "imprévisible", "irrésistible" et échapper au contrôle des personnes concernées
Anaïs Olivier, avocate spécialisée dans le droit du travail.
"Pour moi, le salarié ne pourrait pas invoquer le cas de force majeure dans le cadre de la pénurie de carburant. Un cas de force majeure doit être "imprévisible", "irrésistible" et échapper au contrôle des personnes concernées. Dans la situation actuelle, le critère d'imprévisibilité risque de ne pas être reconnu. En droit du travail, le cas de force majeure est rarement reconnu", explique Maître Anaïs Olivier, avocate spécialiste en droit du travail et inscrite au barreau de Lyon.
Il faudrait toutefois que le salarié, pour justifier son absence, n'ait pas d'autres moyens que sa voiture pour venir au travail, comme le covoiturage, les transports en commun, le vélo… Ce qui peut être complexe à démontrer
Anaïs Olivier, avocate
Cependant, même si le cas de force majeure ne peut pas être invoqué par un salarié, son incapacité totale de se rendre au travail du fait de la pénurie peut justifier une absence ou un retard. "Il faudrait toutefois que le salarié, pour justifier son absence, n'ait pas d'autres moyens que sa voiture pour venir au travail, comme le covoiturage, les transports en commun, le vélo… Ce qui peut être complexe à démontrer."
Le salarié qui n'a pas pu se déplacer risque t-il une sanction ?
Le contexte actuel devrait toutefois pousser les employeurs à faire preuve de tolérance en cas d'impossibilité pour un salarié de se rendre sur son lieu de travail. "En droit du travail, si l'employeur envisage une sanction elle doit être proportionnée à la faute, ce qui doit être apprécié au cas par cas", note Maître Anaïs Olivier. "Si par exemple, le salarié a prévenu de son retard, car il doit prendre les transports en commun plutôt que sa voiture et qu’il ne peut, par exemple, avancer son heure de départ en raison de contraintes familiales, la sanction disciplinaire prononcée pour ce seul fait risque de ne pas être justifiée", poursuit l'avocate.
En tout état de cause, "Salariés et employeurs ont tout intérêt à envisager, d’un commun accord, d’autres solutions comme par exemple la modification des horaires de travail, le télétravail, la prise de congés ou de RTT."