Aujourd'hui, mercredi 8 septembre, le procès des attentats du 13 novembre 2015 s'ouvre à Paris. 8 mois d'audiences sont prévus pour juger une vingtaine de prévenus. Caroline Prénat avait 24 ans, elle fait partie des 130 victimes. Pour sa mère, Florence Ancellin assister au procès est essentiel.
Aujourd'hui s'ouvre le procès des attentats de Paris, dont l'attaque du Bataclan. Une vingtaine de prévenus comparait. Face à eux, les familles des 130 victimes. Un procès attendu pour certains, redouté pour d'autres. Ce vendredi 13 novembre 2015, Florence Ancellin a perdu sa fille, "sa puce" comme elle l'appelle. Caroline avait 24 ans et voulait juste écouter un concert. Le regard doux, la voix claire, Florence est assise, calme. Au loin, des rires d'enfants ponctuent son récit dans le parc où elle raconte ce que représente pour elle ce procès.
"Je me sens bien et en même temps, j'ai un peu la boule au ventre, un peu la peur qui monte, l'angoisse qui monte. Je ne sais pas trop ce qui va nous arriver, ce qu'il va m'arriver. C'est un peu à double tranchant."
Comprendre enfin ce qui s'est passé ce soir-là, c'est ce qui la tient debout pour aller écouter un à un les prévenus. C'est une épreuve, elle le sait. "Je ne sais pas s'il y a une préparation pour ça. On y pense souvent... tout le temps... Plus les jours passent, plus les mois ont passé, plus on approchait du procès et plus ça devenait : "Qu'est-ce que je vais entendre? Est-ce que je vais réussir à tenir? " "
Florence a déjà visité la salle d'audience, les badges d'accès sont prêts, une étape importante pour réduire l'anxiété et les interrogations sur le déroulé du procès. "Visiter la salle, visiter le lieu, savoir comment ça se passe à l'entrée, il va y avoir des protections, c'était vraiment utile. Cette salle est à taille humaine, elle n'est pas très grande, elle a été refaite en bois, en bois clair et du coup c'est chaleureux. Ils ont gardé des petites choses, des statuts ou des choses du tribunal, c'est bien de l'avoir visiter avant parce qu'on y va tout petits pas. Et on en ressort tranquille en fait."
Florence ressent de besoin de dire à la barre qui était sa fille, Caroline. Pourtant, au début de la procédure, elle avoue qu'elle n'attendait rien de ce procès, "parce que celui qui a tué Caroline s'est fait sauter, donc aucun intérêt pour moi. Et en réalité, oui, c'est important."
La justice française ne juge pas les morts, elle le déplore. "C'est un poids énorme pour moi, ceux qui sont morts ne seront pas jugés et ça c'est un truc en plus à gérer, un truc en plus où il faut s'asseoir dessus, un truc en plus que l'on ne maitrise pas et c'est quelque chose de très dur. Ils sont morts OK, mais ils ont fait des choses et pour moi ils devraient être jugés, même s'ils ne subiront jamais la sentence. Ils ont tué nos enfants, nos frères, nos sœurs, nos amants, nos maris. C'est la loi française, certes, mais c'est très difficile à avaler."
Alors pourquoi aller au procès ?
Elle a eu peur, elle a eu mal. C'est un peu une façon de la défendre
"C'est ma puce qui est morte là-bas au Bataclan. C'est ma puce qui a été assassinée. Ce sont ces gens-là qui ont fait en sorte que ça arrive. On va en juger 20, il y en a 150 000 qui devraient être jugés. Assister au procès, c'est mon lien avec elle, c'est ma charge de maman quelque part."
Emue, Florence continue : "Je n'ai pas pu l'embrasser, je n'ai pas pu lui dire au revoir, je n'ai pas pu l'habiller. Je me dois d'être là pour elle, pour moi. Elle a eu peur, elle a eu mal, c'est un peu une façon de la défendre. J'ai envie d'y aller pour parler de Caro, qui elle était et ils ont enlevé cette vie-là. Cette vie-là, c'était vraiment une bulle d'amour, c'était vraiment quelqu'un d'extraordinaire, c'était ma fille certes, mais en dehors de ça, c'était vraiment quelqu'un de fabuleux."
Durant 9 mois, la soirée du 13 novembre va être décrite, analysée, décortiquée. Dans l'esprit de Florence, cette soirée est gravée. "Le vendredi soir, j'ai su qu'il y avait les attaques, les attentats. J'ai pensé: "ils font chier!". Et je me suis retournée vers mon téléphone qui était branché pour dire à Caroline :
"Planque-toi, ma puce, planque-toi!"
Je me souviens des mots que je lui ai dit. Je ne lui ai pas écrit parce que dans la seconde qui a suivi j'ai pensé, de toute façon elle n'y est pas, ça sert à rien que je l'embête. Je ne savais pas qu'elle était là-bas. "
"Caroline était au Bataclan" et là tout s'écroule.
"Mon 13 novembre à moi, c'est ce samedi fatidique où mon fils m'appelle en me disant : "Je te passe papa" puis j'entends "Caroline était au Bataclan" et là tout s'écroule.
Je pousse un grand cri et je sais qu'elle est partie, je sais que c'est fini, je sais qu'elle ne sera plus jamais là. Et ça, c'est mon 13 novembre
"L'enquête ne révèle pas ce qui s'est passé pour chacun, c'est juste impossible. J'ai fait des recherches et j'ai eu cette grande chance quand je suis allée revisiter le Bataclan un an après, de trouver quelqu'un qui a vu Caroline, qui lui a mis la main sur l'épaule, ils ont avancé ensemble le long du bar. Lui, il s'est planqué dans la petite cabane derrière, dans le placard, elle, est restée sous la porte battante du bar. Il m'a raconté ce cheminement qu'ils ont eu le long du bar, il m'a dit qu'elle était blessée et qu'elle entraînait une jeune femme avec elle, qu'elles voulaient sortir.
On n'a pas su tout de suite, on a su le samedi soir. J'ai demandé à ce que l'on cherche pour moi. J'étais incapable de tenir debout.
Florence évoque un moment très fort au cours des recherches à l'hôpital, une jeune fille, les cheveux longs bruns, petite, menue a été admise. Florence reproduit le soulagement qu'elle a senti à ce moment-là. Respirer enfin, ouf, se dit-elle :
"Elle est à l'hôpital. Donc elle est blessée mais on va pouvoir y aller."
Au téléphone, Florence vérifie : "Est-ce qu'elle a un tatouage sur son bras ? Non. Est ce qu'elle a sa petite cicatrice sur la joue ? Non."
Florence refuse de perdre espoir et se raccroche à toutes les possibilités envisageables. "Mais elle est cachée! Elle est sous un fauteuil, on ne l'a pas vu, elle est dans un bistrot quelque part, elle est chez quelqu'un dans un appart." elle conclue : "C'est le refus, le refus de l'inacceptable. "
"Après j'ai cherché ce qui s'était passé, pourquoi, comment ? j'ai cherché toutes les infos, j'ai cherché les mots de ses copains, de ses amies, j'ai consulté tout Facebook et Twitter que je ne connaissais pas à l'époque. J'ai passé des nuits et des nuits à rechercher ce qui avait pu se passer, comment ça s'était passé, les mots d'amour qu'il y a eu. J'en ai fait un bouquin de 60 pages, tous les souvenirs, mais ça, c'est l'après."
"J'ai besoin de savoir, même si c'est fini."
"J'ai besoin de savoir, même si c'est fini. C'est trop tard, c'est fait, mais on a besoin de savoir. Si elle avait été renversée par une voiture, j'aurais eu besoin de savoir par quelle voiture. Là, j'ai besoin de savoir qui a tiré, qui a pu faire ça? " La question taraude Florence depuis des années. "Pour moi, l'important, c'est que faire pour que ça ne se reproduise plus?"
Sa fille n'est plus et pourtant Florence la porte, la garde à même la peau, via des tatouages qui la symbolisent, elle montre son poignet "C'est son logo parce qu'elle était graphiste. Et ça, c'est un avion. Avec ses 4 copines, elle voyageait et elle voulait faire le tour du monde. Elle avait plein de projets de voyage. A son premier voyage, elle s'est fait tatouer!" La première chose que j'ai eu envie de garder, ça a été ça, reprendre son tatouage combiné avec son logo et son aile d'ange.
Elle dévoile sous sa chevelure dans la nuque une paire d'ailes. "Je l'ai appris un an après... c'est l'endroit où elle a reçu la balle."
"Caroline faisait partie de tout ce groupe présent au Bataclan, de tous ces gens qui étaient là en même temps, qui faisaient la fête, qui écoutaient de la musique. J'ai réussi à retrouver une photo d'elle ce jour-là au Bataclan et elle est au milieu de tous ces gens. J'en ai rencontré quelques-uns qui étaient dévastées,10 jours après, quand on a fait les papiers à la PJ. J'ai besoin d'entendre leurs histoires, ça fait partie de ce qu'elle a vécu aussi. Elle ne peut pas le raconter. "
La maman de Caroline prend avec elle de quoi écrire, continuer de poser sur papier son témoignage : "J'ai un cahier que les copines m'ont offert, je l'emmène. Je pense que j'aurais besoin d'écrire certainement.
C'est l'écriture qui fait que les choses ne restent pas en vous à macérer, elles sortent.
Et je pense que c'est une bonne chose. De les lire, c'est bien, de les écrire, ça libère."
Six ans après les attentats jihadistes les plus sanglants commis en France, le procès s'ouvre sous très haute surveillance. La cour d'assises spéciale doit juger vingt accusés, soupçonnés d'être impliqués
à divers degrés dans la préparation des attaques. 1 800 parties civiles vont se succéder à la barre. Les témoignages des rescapés et des proches des victimes débuteront le 28 septembre et dureront 5 semaines.