Récit : "Ils nous ont sauvé la vie!" Comment une simple salle ouverte le soir a réduit le sentiment d'insécurité des habitants de Saint Fons près de Lyon

Ressources urbaines : Un local a été mis à disposition d'un collectif d'habitants dans le quartier des Clochettes à Saint Fons. Quatre murs, quelques chaises et l'atmosphère a déjà changé en un mois. Si la nuit constituait un des enjeux majeurs dans les quartiers prioritaires ?

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Il y a trois ans nous rencontrions "un groupe de jeunes" au pied des immeubles de la cité des Clochettes à Saint Fons. Entre colère et sentiment d'abandon, ils demandaient un local. Depuis un mois et demi, une salle dont le loyer est payé par la mairie, est animée par des habitants, tous bénévoles. 

Il suffit de 5 minutes à l'intérieur pour sentir la différence. En arrivant dans le quartier en 2018, tout avait commencé par les formules de politesse habituelles du genre : "vous faites quoi ici? Vous êtes qui vous?" Le tout, assis dans un canapé imitation cuir positionné à l'entrée du quartier prêt d'un panneau STOP. Les jeunes qu'on avaient rencontrés à l'époque étaient donc "ceux du STOP" 

Novembre 2021, j'arrive devant une salle qui vient visiblement d'être repeinte. Facile à trouver, c'est la seule lumière allumée en pied d'immeuble. Une quinzaine de femmes attendent un cours de gym tandis que deux jeunes hommes, la vingtaine, finissent une partie de jeux vidéo sur leur console. 

Je suis frappée par le mélange de personnes présentes. Des ados, des jeunes de 20 ans des mères de familles … 18 h : le rideau se baisse, les femmes peuvent faire leur cours de gym sans forcément être vues par tout le quartier. Un espace sûr et motivant.

Dans la salle d'à côté on sert des sirops, des friandises, à prix associatif pour faire tourner le lieu et Kenza 24 ans vient de terminer une manucure.

"Je fais ça bénévolement." explique t-elle tout sourire. "Je viens pour participer un peu à faire vivre ce lieu. Quand ça a ouvert ça nous a redonné du courage." Kenza s'est lancée dans une boutique de prêt à porter qu'elle a du fermer, Covid oblige. Alors venir ici, c'est aussi l'occasion de rebondir, de voir du monde, d'être entourée. "Moi j'ai toujours travaillé et je trouve ça bien d'avoir un endroit où on peut se rencontrer et parler avec d'autres jeunes qui n'ont pas tous le même parcours." 

Les gens ont besoin de parler mais ne se connaissent plus 

L'idée vient de deux habitants très impliqués et respectés dans le quartier.  Afsa Meflah et  Kabil Souissi ont crée l'association l'Effet la Cloche. Elle, voulait trouver des créneaux et un espace adapté pour les mères de familles qui avaient délaissé le centre social. Lui, en avait assez de voir les jeunes traîner dehors sans rien faire. Alors ils ont uni leur force et ont décidé de créer un lieu en commun, apolitique, sans religion et intergénérationnel. 

"Je me suis rendu compte en parlant avec les gens du quartiers, que les gens avait besoin de se parler, mais ils ne se connaissaient plus." explique Kabil. 

" On a des gens qui viennent passer un moment et d'autres qui viennent se confier" raconte Afsa. Cette mère de trois enfants et habitante du quartier "depuis 20 ans" a lâché son poste dans une entreprise de climatisation, pour s'occuper de ce lieu à plein temps.

La force de l'engagement

Un engagement bénévole, pour lequel elle ne touche donc aucune rémunération. "Je ne regrette pas, financièrement c'est un frein mais on s'adapte. Le plus fort c'est ce qu'on a crée. Tu vois au moment où je te parles je suis émue" me dit-elle et ça se voit. Tout en pudeur et très calme, son visage à la fois fatigué et rayonnant en témoigne. "Ici le principe est simple, n'importe qui vient à n'importe quelle heure, pour rencontrer quelqu'un".

Ne plus passer la journée sur un banc

Le déclic, elle l'a eu en voyant "des mamans passer toute la journée sur un banc". Parmi elles, certaines sont en train de s'activer de plus en plus vite en musique avec leur coach, elle aussi bénévole. 

Le rythme et le son de la musique coupe un temps la conversation, je me lève pour prendre des photos de l'atelier gym et salue leur énergie. "Mais venez madame ! C'est ouvert à tout le monde vous savez!" Je vois des sourires par quinzaine et les regards de Kabil et Hafsal laissent deviner leur sentiment de victoire face à cette situation que beaucoup jugeraient pourtant pourtant "pas si extraordinaire"

"Je me sens bien, j'avais arrêté le sport et la salle c'est super on est à l'aise" raconte Zaïra venue avec son petit garçon. "La mairie avait essayé de faire des choses mais à chaque fois il y avait des problèmes. Là on espère que ça va tenir, moi je l'aime ce quartier, j'y ai grandi et j'ai envie de le voir animé comme avant" explique-t-elle. Ses amies la rejoignent et je vois les silhouettes de trois femmes s'éloigner tapis de sport dans une main, l'autre sur l'épaule de son amie dans un éclat de rire. 

Nuit tombée : place aux jeunes 

A peine le temps de me retourner, et je vois passer quatre jeunes hommes par la porte d'entrée. En un instant, une table de ping-pong est dépliée, dans la salle d'à côté deux joueurs attrapent les manettes de la console. C'est parti pour la deuxième partie de soirée. La salle reste ouverte jusqu'à 22h /22h30 notamment les soirs de matchs de football. 

"Quand le bureau de tabac a fermé, il ne restait plus que la boulangerie" explique Kabil, "et je me suis dit : mais en fait on est seul au monde ici, y a rien"  Alors il a opté pour la stratégie politique : "On a demandé aux candidats aux municipales de venir dans le quartier et de s'engager pour nous trouver un lieu." 

Et si on parlait d'avenir? 

"Vous avez vu ça a changé!" nous coupe un des jeunes présent dehors. Il était parmi ceux que j'avais rencontré au STOP trois ans plus tôt. Bilel a passé son Bac depuis, mais le domaine dans lequel il s'est retrouvé ne l'intéressait pas alors il bricole, pour mettre de l'argent de côté et mener ses propres projets. Il m'en dira un peu plus mais préfère rester discret. "C'est comme ça ici" on parle pas trop de nous et "on croit à la guigne" rajoute Kabil. 

"Je leur ai fait comprendre qu'ils était utiles. Ça nous a prouvé que ça marche, qu'on peut se faire entendre" explique le quarantenaire. "Il a fallu beaucoup de temps pour être entendu et beaucoup de patience. Ils m'ont suivi aveuglément c'était ma première force.  Mais aujourd'hui il y a un climat nauséabond parce que tout le monde se tait dans les quartiers, personne ne se fait entendre par les urnes. C'est affreux ce qu'il se passe, parce que ça laisse la place à des discours de haine." 

"Eric Zemmour, j'aimerais bien l'avoir en face de moi!"

Ranya, 24 ans, acquiesce. "Tout ça c'est de la provocation commente-t-elle! Moi Eric Zemmour j'aimerais bien l'avoir en face de moi et lui dire ce que je pense" La jeune femme cumule trois boulots. Son Bac +2, BTS en management des unités commerciales en poche, elle a obtenu un poste "à responsabilité" dans une boulangerie, donne un coup de main dans un bureau de tabac et assure le service dans des mariages. "Moi je travaille tous les jours mais c'est pas le cas de tout le monde. Avec ce lieu on leur apporte de l'importance, plutôt que d'être dehors sur sa chaise de camping, dans le froid, on est bien ici.  Moi je pense que quand on est dehors, on a une mauvaise image de nous"

Besoin de se sentir chez nous, protégés, ne pas rester dans la rue 

"Regardez ici, il n'y a pas de manque de respect il y a pas de délinquants, tient elle à préciser. Il y a des gens dans le besoin. Avant on avait le cinéma en plein air, des sorties, mais maintenant on a l'impression que les Clochettes ne font pas vraiment partie de Saint Fons. On avait besoin de se sentir chez nous et entre guillemet d'être protégés."

Yanis, 18 ans, réservé prend la parole à voix basse. "C'est beaucoup plus calme maintenant dehors. On fait connaissance avec les petits avant on les connaissait même pas! Nous ce qu'on veut c'est que ça reste ouvert." Lui, habite au fameux STOP, drôle de signalétique pour ces jeunes qui pour beaucoup ont le sentiment d'être souvent arrêtés dans leur élan…  Une partie d'échec s'engage.

_"Moi je suis nul". L'air de rien la partie se poursuit, et ça joue plutôt bien. 

_"Je suis allé à mission locale, pendant 7 mois j'ai travaillé, débarrassé les encombrants. Mais je voudrais un CDI.

_"Tu me mets en échec là…"

_"Moi j'ai bossé en intérim"  

Un pied dedans, un pied dehors 

A voir ces gamins rencontrés deux ans plus tôt, on est forcés de se dire qu'ils avaient raison. Leur sentiment de relégation très fort et leur certitude qu'ils n'avaient pas les mêmes chances que tout le monde se confirment dans les faits. Ils ont du talent, de l'humour, des compétences c'est indéniable. Mais ils on essayé de frayer leur chemin entre mauvaises orientations, jobs en intérims, chômage … et pour certains la prison. L'un d'entre eux se souvient très bien de moi, moi aussi je remet son visage. "On peut lui dire? demande Kabil?" 

_"Oui, vas-y"

_"Il a un pied dehors un pied dedans." me dit Kabil. Je comprends vite qu'il est revenu dans le quartier il y a peu. Ce jeune homme de 24 ans désormais appelait des ses vœux un "lieu pour les jeunes" il y a deux ans. Si cette salle avait été ouverte plus tôt, peut être qu'il aurait connu le même parcours, qu'il aurait commis les mêmes erreurs ou choisi la même voie. Peut-être pas…

"Je veux avoir des problèmes de riches !"

Ce soir là il est avec les autres, pas ailleurs… et il a trouvé un boulot dans le déménagement. Quand on lui demande ce qu'il attend de l'avenir, on explose tous de rire: 

_"Je veux être millionnaire, je veux avoir que des problèmes de riche.!"  Je lui demande si c'est par ce qu'il a manqué de choses étant petit.

_ "Pas du tout j'étais pourri gâté! Mais c'est comme ça. On ne parle pas de tout ça ici !"  Il le reconnaît, en fait le plus important, la réussite, c'est d'avoir une vie de famille.

A Saint Fons en deux ans le regard des habitants du quartier des Clochettes a changé sur la jeunesse des pieds d'immeuble. Certains habitants regrettent les attroupements tardifs , mais au moins le sentiment d'insécurité s'est atténué. "Ce sont des enfants" rappelle Hafsal en parlant des jeunes de 13/14 ans qui étaient postés devant les commerces. "Il y a des mamans qui ne voulaient plus aller à la boulangerie, et en un mois on a déjà résolu quelques problèmes". 

Cependant, personne ne ferme les yeux sur l'insécurité et Kabil le reconnait, il faut de la répression. Mais il faut aussi des lieux ouvert le soir . "Parce que quand on a 10 ans et qu'il n'y a rien dans le quartier on n'attend qu'une chose, rejoindre ceux qui en ont 15 et faire des conneries. Il faut leur donner le choix d'une alternative." 

Je repars ce soir là , avec la certitude que ce type de lieu peut constituer cette alternative pourvu qu'il soit ouvert aux bons moments. Simple constat: en ressortant ce soir là il fait froid, vers 22heures, très peu d'entre eux auront l'idée de rester dehors après quatre heure au chaud à passer une soirée assez banale, mais suffisamment agréable pour ne pas se retrouver dans la rue, à rien faire.

Avant de partir et comme souvent après ce type de rencontre on m'indique que la porte sera toujours ouverte,  Kenza me propose même de revenir pour une manucure, je souris et décline poliment a proposition en disant que si elle m'en fait une je paierai la prestation. "Mais non je suis bénévole ici" insiste t-elle. Et Kabil conclut au moment de passer la porte: "Considère que tu es ici chez toi." 

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