"Il faut maintenir le lien même avec les dealers" Yazid Kherfi, ex braqueur, forme à la prévention de la délinquance

Ressources urbaines : Yazid Kherfi ancien braqueur et une expert des mécanismes de la violence parcourt les quartiers prioritaires en quête de dialogue. Récit d'une journée de formation pour comprendre comment agir dans des quartiers qualifiés à tort de "zones de non droit".

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Caillassage d'un théâtre en plein concert à Rilleux la Pape, affrontements entre bandes à Valence, voitures brulées à Vénissieux, les quartiers prioritaires sont régulièrement le théâtre de violences soudaines et particulièrement visibles.

Ces incidents, élus, policiers et acteurs sociaux s'accordent pour le dire, sont souvent le fait d'une poignée d'individus de plus en plus jeunes et sortis des radars de toutes les institutions. Mais comment les aborder ? Comment recréer un lien totalement rompu ? Yazid Kherfi, ancien braqueur devenu spécialiste de la prévention de la délinquance souligne une très grande lacune en termes de formation des acteurs de terrain. Il faut selon lui avoir les codes et surtout continuer d'aller au contact de tous. "Il faut maintenir le lien y compris avec les dealers" affirme-t-il. Facile à dire mais dans les faits, un climat de peur et d'ignorance s'instaure et creuse le fossé entre différents mondes au sein d'un même quartier. 

Ce jour-là la ville de Belleville en Beaujolais, dans le Rhône, a fait appel à lui.  Pendant deux jours il anime une formation à laquelle assistent élus locaux, médiateurs sociaux, éducateurs, agents d'entretien bailleurs et moi, invitée à suivre les échanges. Nous avons en commun d'être des acteurs de terrain et de constater pourtant la distance qui nous sépare des habitants de ces territoires. 

Un sentiment d'impuissance 

Il existe dans cette commune de 6000 habitants un seul quartier prioritaire de la politique de la ville. Mais le maire insiste : "il faut retrouver une unité et parler de tous les habitants au sein d'une même ville. Ne pas considérer ce quartier comme différent ou à part." Voilà pour l'intention politique.

Mais pour la mise en pratique, les acteurs sociaux, bailleurs, agents d'entretien se sentent pour certains démunis et reconnaissent un sentiment d'impuissance face aux comportements irrespectueux, aux trafics de drogue ou à l'impunité de certains locataires. 

C'est là que Yazid Kherfi intervient. Il anime une formation auprès des acteurs de terrain pour les aider à mieux connaître les mécanismes de violence et leur redonner le sentiment de pouvoir agir ou s'interposer. 

"Je préfère ne rien dire..."

Les plus pertinentes sont les femmes de ménages ou agents de services selon le mot qu'on choisit pour les nommer. Elles sont fières de leur métier, de leurs tâches qui rendent la vie plus vivable, alors le nom qu'on leur donne leur importe peu....  Assises en ligne, elle écoutent respectueusement leur interlocuteur mais ne semblent pas convaincues. 

Je les vois faire les gros yeux, l'une d'entre elles chuchote : "oui aller leur parler c'est ça ... mais ça peut faire mal les pierres ....", je les invite du regard à prendre la parole, "non je préfère ne rien dire !" Il faut dire qu'elles sont arrivées en cours de matinée car elles n'avaientt pas eu la bonne date de formation. Alors le visionnage d'un film sur le parcours de leur formateur va les aider à prendre la parole. 

Le parcours d'un combattant 

Yazid Kherfi cherche à rencontrer tous les habitants mais particulièrement ceux qu'on voit le moins. Au volant de son camion il parcourt les quartiers réputés pour leur faits de délinquances et espère chaque fois rencontrer des fauteurs de trouble. 

"Si on n'y va pas ça veut dire qu'on est tous complices, c'est à nous d'y aller, surtout dans les quartiers les plus compliqués. Quand on fait de la prévention de la délinquance, il faut savoir travailler avec les voyous." L'affirmation parait évidente et pourtant... Toute l'assistance présente ce jour-là reconnait qu'elle n'a pas les codes. "Vous, vous arrivez, vous racontez votre parcours, vous savez leur parler. Nous on n'ose pas, on ne sait pas comment s'y prendre" commente une élue

"Il faut créer des espaces de parole dans les lieux publics, car de moins en moins de personnes se rendent dans les structures. Ce n'est pas normal qu'en France les centres sociaux aient des horaires de Mairie ! On sait bien que les problèmes de délinquance, avec les voisins, avec la police se déroulent la nuit !"  Il y a donc de la prévention à faire le soir son leitmotiv : remettre des adultes bienveillants sur l'espace public, car les malveillants, eux, occupent le terrain. 

"Parler? Ça sert à rien !" 

"On a essayé de leur parler mais ça ne sert à rien !" les mots fusent, sans doute retenus trop longtemps dans la bouche des dames de ménage. "J'ai tout essayé mais on ne peut même pas aller aux toilettes parce qu'ils sont tous là en train de fumer. Ils ont pris possession du terrain. En vous ils gagnent autant que vous et moi sur un an en une seule journée." Yazid Kherfi écoute attentivement et entend ce qu'il a déjà entendu des centaines de fois, il ne minimise pas la situation mais il réagit : 

"On y va ensemble ce soir ? Vous venez faire un tour avec moi ?" Pour diverses raisons, l'invitation sera déclinée. Alors place à la pratique, même dans une salle de la mairie on peut agir. "Mettez-vous par petit groupe et demandez-vous quelles seraient vos propositions pour apaiser les tensions? "

Et si vous aviez le pouvoir de décider? 

La salle se transforme alors en trois groupes de réflexion qui, le temps d'une demi-heure, ont les cartes en main. D'abord les constats : Lionel, l'éducateur écoute attentivement les témoignages des femmes de ménage. "Un jour, ils ont fait exploser mes poubelles" raconte-t-elle. Les mines sont graves et une idée surgit : et si on leur reprenait leur logement quand ils posent problème ? Une responsable du service jeunesse tempère, argumente... On va réfléchir à une autre solution. 

A la table d'à côté le responsable de la police municipale, une femme de ménage et la cheffe de projet territorial sont réunis pour dresser une liste d'idées. La salariée de l'office HLM, dans ce quartier depuis 18 ans, est convaincue qu'avec des acteurs de théâtre ont pourrait fait évoluer les mentalités.  "Si on arrive à imiter les jeunes qui pourrissent le quotidien je suis sûre qu'ils se trouveraient eux-mêmes ridicules." 

 

Quand la police demande conseil 

Donatien Cebon, responsable de la police municipale sourit et acquiesce. "Pourquoi pas !"  Lui, défend une certaine idée de la police : une police de proximité, et il sait de quoi il parle puisqu'il est là depuis 20 ans. Mais il reconnait qu'il a besoin de nouveaux outils pour savoir gérer un conflit, avoir les bonnes réactions en fonction des comportements. "Si on a des codes communs on peut y arriver" affirme-t-il, "l'idée c'est de trouver des points d'accroche."  Pour lui, le problème majeur c'est le rajeunissement des publics qu'il rappelle à l'ordre. "Avant on les avaient vers 14/15 ans, maintenant ils se font remarquer dès 7/8 ans."

 

Interrogez-vous, demandez-vous comment on parle des jeunes dans notre pays, comment on parle des quartiers, des arabes des pauvres ? Et bien dites-vous que certains de vos interlocuteurs cumulent tout ça, mettez-vous à leur place, et imaginez le manque de reconnaissance. A chacune de mes rencontres nocturnes, je rencontre des personnes convaincues que "les gens ne les aiment pas

Yazid Kherfi

"Ce n'est pas qu'on les aime pas c'est que les gens ont peur !" rétorque du tac au tac un responsable d'un bailleur immobilier en charge d'une résidence d'une trentaine de logements. 

Ouvrir des lieux en pied d'immeuble la nuit 

Je connais le travail de Yazid depuis longtemps. Suffisamment pour savoir qu'il ne fait pas dans l'angélisme ni dans la victimisation. Son discours ne consiste pas à trouver des excuses aux délinquants mais à recréer des espaces de dialogue partout où c'est encore possible.  "Si les gens ont peur c'est parce qu'il n'y a plus d'espace de rencontre. Et le lieu de la rencontre c'est là où ils se trouvent" C'est pourquoi il appelle de ses vœux des ouvertures nocturnes en pied d'immeuble et des médiations nomades comme celles qu'il anime avec son camion. Lancé il y a 10 ans son dispositif a inspiré une quinzaine de villes à en faire autant.

A Lyon, un collectif du MAN (Mouvement pour une alternative non violente sillonne les quartiers de Saint-Fons, Vénissieux et Vaulx-en-Velin. Nous y étions allés pour suivre une équipe de bénévoles à la rencontre des jeunes. C'était en 2018, nous avions longuement échangé avec eux, leur sentiment de relégation était très fort. Avec une revendication principale : obtenir un local, pour se retrouver, notamment le soir. Local qu'ils n'ont jamais eu avec l'ancienne municipalité. 

Pourtant les demandes ont été relayées par les bénévoles de la médiation nomade, seuls à aller à la rencontre des plus jeunes en soirées. Une association a cependant ouvert un lieu de rencontres à quelques mètres de là et espère y recréer du lien.

En attendant les jeunes se retrouvent encore, mais moins souvent au STOP, du nom du panneau situé à l'entrée dans leur quartier. Lire la suite 

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