Affrontements entre bandes, fusillades… quand la violence monte d'un cran. Épisode 2 de notre série documentaire sur les quartiers prioritaires de Valence : rencontres avec plusieurs acteurs de terrains qui tentent de venir à bout de ces rivalités
L'histoire est vielle comme le monde, deux groupes, deux territoires, des conflits et un sentiment irrationnel d'appartenance. Les affrontements entre bandes rivales ne sont pas le seul fait des quartiers prioritaires de banlieues. Nombres de villages en ont, eux aussi, fait les frais. Mais la dernière fois que les quartiers de Fontbarlettes et du Plan ont fait la une de l'actualité, une fusillade avait éclaté entre personnes cagoulées. Filmés par une voisine apeurée ces individus s'étaient tirés dessus à balles réelles selon la police.
"Ah la fusillade entre gamins ?" demande Adelkhader, un habitant né dans le quartier. Aujourd'hui il a la quarantaine et pour lui, ces affrontements ont pris une nouvelle tournure depuis que les armes se retrouvent entre les mains d'adolescents. Mais selon de nombreux témoins les raisons sont souvent futiles, une personne venue se faire coiffer dans le mauvais quartier, un regard, un geste.
Une rivalité qu'on se transmet
"C'est presque culturel!" raconte Daliha , originaire du Plan et en charge aujourd'hui de l'accompagnement des familles à la maison pour tous du quartier Fontbarlettes. "C'est quelque chose qu'on se transmet. Notre ennemi c'est Fontbarlettes, un ennemi invisible. Les jeunes sont incapables de dire pourquoi mais c'est étrange c'est comme une seconde nature."
Pour Johanna, responsable du service jeunesse, une des grosses difficultés c'est le mimétisme des réseaux sociaux. Elle tempère cependant : "C'est pas tous les jours non plus, c'est pas Chicago! Mais c'est quand même différent d'il y a quelques années ... On a un gardien qui s'est fait tirer dessus pour une histoire de regards..." La jeune femme est déterminée, elle connaît manifestement très bien le public des 16/25 ans. "Ils ont besoin qu'on les écoute et nous, on est une oreille. On les connaît depuis tout petits alors quand ils tombent dans la délinquance on peut leur parler. Moi je leur rappelle souvent qu'ils s'achètent de belles baskets mais que leur mère ne dort pas tranquille..."
"La drogue c'est une voie difficile, mais ça paye le loyer"
Les belles baskets, c'est une référence pudique aux trafics, notamment de stupéfiants qui viennent rajouter des étincelles dans cette ambiance propice à l'embrasement. A Fontbarlettes 7 habitants sur 10 ne sont pas imposables, et 29% des moins de 30 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté. La drogue est souvent qualifiée de "solution de facilité" un avis que ne partagent pas certains jeunes qui ont pu faire ce choix. " Moi par exemple j'ai vrillé" explique l'un d'entre eux rencontré dans le quartier. "L'illégal et la drogue c'est une voie difficile, mais ça paye le loyer."
Un discours de désillusion qu'entend régulièrement la responsable de la mission locale. "On a un public de jeunes qui ont du mal à franchir les portes des administrations. Alors on se déplace, on assure des permanences dans le quartier. Mais il faut beaucoup de temps car ils n'y croient plus et ont du mal à se projeter dans le travail."
La mairie de Valence, pour tenter de revenir au contact de ces jeunes, a augmenté le nombre d'éducateurs de prévention. "De 8 personnes nous sommes passés à 11" explique Nicolas Daragon, le maire (LR) de Valence. "Ces agents vont à la rencontre des publics les plus marginalisés. Ils ont accompagné 1500 jeunes en un an en toute confidentialité. Les plus problématiques ce sont les 13-17 ans, à un moment ils veulent rentrer dans le cadre pour s'installer mais cette période est très difficile."
Une situation fragile
Les animateurs de la maison pour tous tiennent le même discours. Selon une animatrice la drogue peut attiser les rivalités car les trafics créent des luttes de pouvoir. "Mais ce sont surtout des gamins, on essaie de leur présenter de projets et notamment avec des animateurs venus du quartier d'en face. Il faut qu'on décloisonne à notre échelle"
Le Maire reconnait que le climat des derniers mois est plutôt apaisé. "Mais on est quand même dans une situation fragile" précise-t-il. C'est pourquoi l'action sécuritaire de la municipalité est clairement assumée. Le nombre de policiers municipaux est passé de 32 à 70, un poste mixte avec la police nationale a été installé au coeur du quartier de Fontbarlettes et de nombreuses opérations anti-rodéos ont contribué à apaiser le climat dans le quartier estime le maire.
Renforts de police
Après la fusillade de mai 2020, le ministère de l'Intérieur s'était engagé à augmenter les effectifs. "Nous avons reçu du renfort" admet-il. "15 arrivées étaient annoncées, on a eu 12 postes mais on est bien loin des besoins. Si on voulait calmer les tensions définitivement il nous en faudrait une quarantaine" estime-t-il.
Valence compte aussi deux délégués à la cohésion police-population. Deux retraités de la police nationale qui viennent une fois par mois à la rencontre des habitants. "L'idée est de créer des points de contact, on reçoit tout public sur tout sujet." Ils traitent principalement de problèmes de voisinage avec l'ambition de rendre la police plus accessible. "On essaie d'expliquer comment ça fonctionne, et d'être disponibles pour éviter à certains de passer par les strates d'un commissariat."
Une histoire de confiance
Recréer de la confiance avec les institutions, chacun s'y emploie mais personne n'a encore trouvé la clé. Les habitants sont nombreux à raconter qu'ils ne font plus appel aux acteurs locaux. Pour Sophie, membre d'un collectif de femme intitulé "les mamans indignées" le divorce est tel que : "même s'il y a un accident, les gens n'auront pas le réflexe d'appeler la police par exemple".
Cette mère de famille constate, comme beaucoup de personnes rencontrées au cours de ce reportage, que la notion de respect des autres a évolué. "On peut échanger avec les plus jeunes, leur dire qu'ils font trop de bruit mais c'est vrai qu'on sent que ça peut vite dégénérer. Avant on était une grande famille, et maintenant on sent qu'il y a un décalage."
C'est pourquoi une quinzaine de femmes du quartier s'emploient à recréer du lien entre habitants et acteurs locaux, convaincue que cela passe par des projets inter-quartiers " y compris avec le centre ville" précise Sophie avant de conclure : "en fait on veut être des Valentinois à part entière."