Une greffe de larynx réalisée pour la première fois en France. L'opération s'est déroulée avec succès à Lyon, début septembre 2023, grâce à la collaboration d'une dizaine de spécialistes ORL français. Karine, la patiente greffée, retrouve peu à peu sa voix, 23 ans après l'avoir perdue. Nous l'avons rencontrée.
"Je n’aime pas trop ma voix. Je la trouve trop grave, articule Karine lentement, mais bon, je gère". La voix est rocailleuse et les mots prononcés faiblement. Cette ancienne aide-soignante de 49 ans vient de retrouver sa voix, 23 ans après avoir perdu l’usage de son larynx à cause d'un traumatisme. Aujourd’hui, elle parle avec le larynx d’une autre, et réapprend à le faire fonctionner. Un petit miracle médical.
Le docteur Pierre Philouze, chirurgien ORL à l’hôpital de la Croix-Rousse, temporise. "C’est normal, l’opération date de deux mois et les cordes vocales du nouveau larynx viennent à peine de se repositionner en position fermée. Vous allez progresser avec l’orthophonie, et on entend déjà votre accent du sud !"
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Une première en France
La greffe s'est déroulée début septembre. Le matin, une grande partie de l’équipe de chirurgiens engagés dans cette opération de greffe s'affaire autour d’une donneuse, en état de mort cérébrale, et dont la famille a accepté le don d’organes. Le Professeur Sébastien Vergez, chirurgien ORL au CHU de Toulouse, va donner le premier coup de scalpel. La zone au centre de leur attention se situe dans le cou : un petit organe d'une dizaine de centimètres, le larynx.
Il faudra plus de huit heures pour dégager cette zone pharyngée et identifier tout le système vasculaire et nerveux qui l'entoure. "Tout l’enjeu est de repérer méticuleusement toutes les artères et les veines qui alimentent le larynx en sang, mais aussi les nerfs qui servent à faire fonctionner le larynx", précise le docteur Philouze.
10 chirurgiens au bloc
Le larynx est un organe complexe qui sert à la respiration, pour la parole et pour l’alimentation. Une mécanique commandée par le cerveau dont les ordres passent par les nerfs. Lors du prélèvement, les chirurgiens ont donc repéré une vingtaine de nerfs, veines et artères, et les ont étiquetés précisément. Un préalable indispensable pour ensuite pouvoir les replacer correctement chez la patiente receveuse.
La course contre-la-montre se poursuit. Vers 23 heures, l’opération de greffe, proprement dite, commence à l’hôpital de la Croix-Rousse. Tour à tour, les dix chirurgiens vont se succéder, par binôme, pour raccorder les artères du greffon à la carotide, les veines à la jugulaire et les nerfs à ceux de la patiente. Des opérations très complexes.
Au fil de la nuit, chaque médecin va remplacer l'autre en fonction de la fatigue ou encore de sa spécialité. "Moi, ma spécialité, ce sont les nerfs" précise le Professeur Jean-Paul Marie, chef du service ORL au CHU de Rouen. "Depuis des années, je travaille sur la réinnervation laryngée : mon rôle a été de repérer et bien identifier les différents nerfs. Ceux qui sont plutôt "moteurs" ou "sensitifs". Il faut bien les rebrancher pour espérer avoir par la suite un larynx parfaitement fonctionnel".
Le Professeur Bertrand Baujat, chef du service ORL à l’hôpital Tenon, et son confrère parisien, le Professeur Sébastien Albert, ont surtout opéré les reconnexions vasculaires.
On a travaillé en microchirurgie tout au long de cette nuit, car on rebranche des vaisseaux qui font entre et 2 et 3 millimètres de diamètre maximum.
Professeur Bertrand Baujat,chef du service ORL
Un chirurgien, note scrupuleusement tout le déroulé de l’intervention. C’est le Professeur Philippe Céruse, chef du service ORL à la Croix-Rousse et coordinateur de cette première française. "Nous sommes dix chirurgiens ORL à travailler sur ce projet. Dans le monde, il y a eu très peu de greffes de larynx documentées et validées scientifiquement. Nous, cela fait dix ans que nous préparons cette intervention délicate. Nous avions une patiente motivée pour subir cette opération et pour retrouver sa voix ; nous n’attendions plus que le donneur compatible".
Comme pour toute greffe, l’opération s’est décidée moins de 48h avant. Il a fallu réunir à Lyon, tous les chirurgiens venant de Toulouse, Rennes, Nantes, Rouen et Paris. L’aboutissement d’un travail collectif. Au petit matin, l'opération est terminée. Les chirurgiens semblent optimistes : le nouveau larynx devrait fonctionner.
Ça a été une opération marathon ! Près de 27 heures de bloc en cumulé, depuis le prélèvement hier matin à maintenant. On y est arrivé, car on s’est tous relayés... C’est un travail d’équipe extraordinaire !
Pr Philippe Céruse,chef du service ORL à la Croix-Rousse et coordinateur de la greffe
Un long travail de rééducation
Pour Karine, le travail ne fait que commencer. Elle porte encore une canule de trachéotomie qui lui sert à respirer tant que son nouveau larynx n’est pas pleinement opérationnel. Avec les encouragements de Nathalie Crouzet, l’orthophoniste de la Croix-Rousse, elle réapprend à maîtriser son souffle, fait travailler ses cordes vocales quotidiennement.
Pour un exercice, Karine récite un petit poème. Régulièrement, elle inspire bruyamment par sa canule puis, la bouche à nouveau, afin que l'air expiré passe par le larynx pour prononcer quelques syllabes. Chaque mot paraît être un combat, incontournable pour récupérer toutes les fonctions du larynx greffé. "Pour l’instant, c'est très mécanique, souligne l’orthophoniste. Il faut qu’elle s’approprie la chose, et que sur le plan neurologique, les commandes fonctionnent. Il y a tout le matériel, mais il n’est pas encore complètement à elle".
Sur le plan neurologique, ça va “repousser” et cet organe deviendra le sien. Elle va le dompter !
Nathalie Crouzet,orthophoniste de la Croix-Rousse
Rééduquer son larynx pour la parole, mais aussi pour la déglutition. Ce travail avec des orthophonistes et des kinésithérapeutes va durer plusieurs mois. L’objectif pour Karine est de pouvoir s’alimenter normalement et de retrouver pleinement sa voix.