Karine, ancienne aide-soignante de 50 ans, a retrouvé sa voix, début septembre 2023, 23 ans après avoir perdu l’usage de son larynx à cause d'un traumatisme. Un an de rééducation plus tard, cette opération exceptionnelle - réalisée à l'Hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon - a tenu ses promesses. La patiente a réappris à parler et espère pouvoir bientôt pouvoir se nourrir à nouveau par déglutition.
"Fière, je ne le suis pas encore, mais contente, oui", confie Karine, un an après sa greffe du larynx. Sa voix est grave, encore timide, mais c'est bien elle qui répond aux questions des journalistes venus l'interroger. "Il y a encore beaucoup de travail, pour que ma voix soit plus aiguë, et plus forte, car je manque encore de souffle. Mais avant, je ne pouvais pas communiquer : les gens ne me comprenaient pas."
Karine a la victoire modeste, et c'est l'orthophoniste qui la suit à l'Hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, qui dit tout son mérite. "Karine a été très courageuse : c'est un travail très long, très difficile de rééduquer une voix, grâce à des exercices quotidiens de respiration et de vocalisation", explique Nathalie Crouzet. "L'acte chirurgical dont elle a bénéficié est exceptionnel, mais il y a aussi eu un parcours psychologique important à faire".
Elle ne ressentait plus les odeurs, ni les goûts
Suite à des complications liées à une intubation en réanimation, Karine avait perdu la fonctionnalité de son larynx, en 1996. Pendant 23 ans, elle ne respirait plus que par une trachéotomie, ne prononçant que quelques sons chuchotés. "Le larynx est un organe complexe qui sert à la respiration, à la parole et à la déglutition", précise l'orthophoniste. "Pendant plus de 20 ans, notre patiente n'avait plus aucune activité au niveau des voies aériennes supérieures, elle ne ressentait plus les odeurs, ni les goûts. Toutes ces sensations ont été une énorme redécouverte, pour elle".
Karine confirme, "la première fois que j'ai respiré, c'était comme une brûlure. Et au début, les odeurs m'agressaient. Je les trouve encore un peu trop fortes, rarement agréables, même pour les parfums." Il n’empêche que pour elle, les bénéfices de l'opération sont inestimables : "J'ai retrouvé une vie presque normale. Je ne subis plus le regard des gens, leurs réflexions, je suis plus indépendante. Avant, je ne pouvais pas téléphoner ou aller seule à un rendez-vous, maintenant, je suis autonome."
Même enthousiasme du côté du professeur Philppe Céruse, chef du service ORL et de chirurgie cervico-faciale à l’hôpital de la Croix-Rousse, qui a coordonné l'intervention : "Le résultat à un an est au-delà de ce que j'avais espéré : même s’il y a encore un versant déglutition à régler, on est très satisfait."
Une probable première mondiale
Ce type de greffe, avec ré-inervation, est rarissime. Organe très complexe, le larynx comprend des nerfs et des muscles qui s’entrecroisent et, contrairement au cœur ou au rein, la revascularisation ne suffit pas à le rendre totalement fonctionnel. Ses nerfs doivent être reconnectés pour assurer la motricité des cordes vocales. Ainsi, dans toutes les greffes précédentes, les cordes vocales sont restées statiques, les patients ne pouvant parler qu’en murmurant.
La greffe lyonnaise de septembre 2023 avait nécessité 10 ans de préparation, 27 heures de bloc, une équipe de dix chirurgiens ORL - dont la moitié du CHU de Lyon, mais aussi de Toulouse, Rennes, Nantes, Rouen et Paris - qui se sont relayés par binômes. Il faudra attendre encore plusieurs mois pour savoir si les Français seront les premiers au monde à réussir la prouesse.
Un espoir pour une quinzaine de patients potentiellement en France : des personnes dont le larynx n’est plus fonctionnel à la suite d’un traumatisme et qui sont trachéotomisés. Les patients atteints de cancer ne sont pas éligibles sauf des cas rares où ces patients sont déjà sous immunosuppresseurs.
Karine peut retrouver la voix de ses 25 ans
Pour Karine, beaucoup de travail reste à accomplir, mais l'espoir est immense. "Les cordes vocales, c'est comme un instrument de musique à air et à muscle", décrit son orthophoniste. "Il faut retrouver la coordination avec la respiration, et la tonalité de la voix va revenir : ses muscles sont les mêmes, ses sonateurs aussi, on a juste rajouté des cordes au violon et on va le faire vibrer comme avant !"
Lorsque le moral est en baisse, Karine s'accroche aux progrès à venir. Dès qu'elle pourra se nourrir normalement, la canule de sa trachéotomie pourra être retirée, et elle va enfin pouvoir faire ce dont elle rêve depuis longtemps : aller à la piscine avec ses filles. Elles qui n'avaient jamais entendu la voix de leur mère avant cette année, vont un jour la voir nager.