Trois mois depuis la première greffe mondiale des deux bras jusqu'au épaules c'est l'heure du premier bilan pour Felix Gretarsson. Lui et ses médecins de l'Hôpital Edouard Herriot de Lyon, ont accepté que nous suivions les examens de contrôle de ce premier bilan post-opératoire.
Un sentiment paradoxal guide Felix Grertarsson à ce premier bilan post opératoire. Un sentiment de grande victoire mêlé à la réalité de sa perte d'autonomie depuis son opération. Car retrouver des bras, compte-tenu de la lourdeur de l'intervention a également signifié beaucoup de fatigue, de récupération, de rééducation ces dernières semaines.
Pendant deux jours il va réaliser toute une batterie d'examens qui commencent au service dermatologie.Un prélèvement de peau sans anesthésie car actuellement Felix ne ressent absolument rien. Les nerfs vont progresser d'environ un millimètre par jour, il faudra donc six à neuf mois avant que Felix puisse ressentir ses premières sensations.
Retour sur une histoire hors du commun
C'est l’histoire d'une prouesse médicale conjuguée à la détermination presque surhumaine d'un homme pour retrouver des bras. Une histoire individuelle, collective, intime et universelle.
La vie de Felix Gretarsson bascule le 12 janvier 1998, en Islande, quand le jeune électricien de 26 ans est électrocuté sur une ligne à haute tension. Au sommet du mât, une décharge de 11.000 volts lui brûle ses mains et le projette sur le sol. Après trois mois de coma et des dizaines d'opérations, il est vivant mais amputé à hauteur des épaules, un homme tronc qui mettra tout en œuvre pour retrouver la partie manquante de lui-même.
"Le plus important, c'est qu'il puisse accomplir son rêve"
"Pour moi, ça ne change absolument rien que Felix ait des bras ou pas. Quand je l’ai rencontré à Lyon, il n’en n’avait pas" nous expliquait alors sa femme Sylwia, "Ce qui est le plus important, c'est qu'il puisse accomplir son rêve. C'est son rêve et c'est un projet qui a commencé il y a tellement longtemps, donc pour lui il n'y a aucune option, aucune possibilité d'aller en arrière."
Car en 2007 Felix décroche une entrevue avec le professeur Jean-Michel Dubernard, célèbre chirurgien lyonnais dont l’équipe a réalisé la première greffe mondiale de mains, venu donner des conférences à Reykjavik. C’est le début d’une étonnante aventure qui le conduira à vendre tout ce qu’il possède sur son île glacée. En 2013, il vient s’installer à Lyon en vue de bénéficier de ce qui sera une nouvelle première médicale.
« Je suis le candidat parfait, dit Felix, parce que j’ai déjà subi une greffe de foie, je dois déjà prendre un traitement anti-rejet à vie ». Il lui faut suivre le long travail préparatoire à la chirurgie et surtout attendre un donneur. Pendant des années, il a gardé constamment son téléphone allumé, sans s’éloigner de Lyon. A attendre l’heure de la transplantation en étant à moins d’une heure de route de l’hôpital.
Le 13 janvier 2021, nous étions là, à attendre fébrilement les résultats de cette intervention de 15 heures. Une cinquantaine de praticiens se sont mobilisés, dont plusieurs chirugiens publics et privés dans un bloc opératoire de l'hôpital Edouard Herriot.
Une prouesse chirurgicale
L'opération s'est bien passée. Cette greffe bilatérale s'est accompagnée de la reconstruction totale de l'épaule sur un côté. "C'est la plus haute jamais réalisée jusqu'à ce jour", expliquait le Pr Lionel Badet, chef du service transplantations et coordinateur de l’opération. "Réunir du jour au lendemain 50 personnes, pendant 24 heures, en pleine crise sanitaire, c'est un truc de fou !", s'exclamait le professeur Emmanuel Morelon.
Réapprendre au cerveau qu'il a des bras
Trois mois plus tard, Felix Gretarsson suit un programme intense de rééducation à l’hôpital Henri Gabrielle de Saint-Genis-Laval. Après 23 ans sans bras, il doit apprendre à vivre avec ses nouveaux membres, 3,5 kg de chaque coté, qui réclament beaucoup d'efforts et d'attention, encore inertes mais qui bousculent le quotidien jusque dans le domicile conjugal où Felix Gretarsson est de retour après de longues semaines d'hospitalisation. Pour l’instant Felix a recupéré de manière optimale mais il faudra au moins trois ans pour mesurer tout le bénéfice de la greffe. Des efforts, des étapes progressives qu'il relate sur son compte Instagram au quotidien. Il s'y présente comme un "life Coach". Felix Gretarsson : coach de vie, c'est le moins que l'on puisse dire en effet.
Premier bilan avec les chirurgiens
Pour l'instant, surveiller tous signes de rejets reste la préoccupation majeure de tous les médecins, chacun dans sa spécialité. Dans la pénombre, Felix a fermé les yeux. Un aéropage de blouses blanches dans le bureau du chef du service traumatologie des membres supérieurs. Le chirurgien, qui suit Felix depuis des années et a pris part à l'exceptionnelle opération, étudie les radios du jour...
"Je suis entier"
"On regarde l'interface entre l'os du donneur et l'os du receveur et on cherche les signes de fusion. Là il n' y en a pas. On aimerait en avoir mais on n'est pas inquiets c'est un os vascularisé, il va consolider." raconte le docteur Aram Gazarian, chef du Service de chirurgie orthopédique du membre supérieur à l'hôpital Edouard Herriot.
Les médecins espèrent que Felix retrouvera la mobilité de ses coudes mais n'ont pas beaucoup d'espoir de le voir utiliser ses mains. Felix Gretarsson conclut, pragmatique : " je ne m'attendais pas à jouer du piano au bout de trois mois mais j'ai l'impression d'avoir réussi." Et il résume avec force son sentiment en trois mots : "Je suis entier."