Victime quotidienne pendant douze ans, Hugo Martinez estime que le harcèlement scolaire lui a volé son enfance. Aujourd'hui, avec son association, il souhaite replacer la protection de la jeunesse au cœur de la prochaine élection présidentielle. Invité de "Vous êtes formidables", il témoigne.
Cela n’arrive pas, malheureusement, qu’aux enfants des autres. En France, le harcèlement scolaire est un fléau qui touche même un jeune sur 10. Hugo Martinez, qui en a été victime durant une douzaine d’années, a fondé, en janvier 2018, l’association Hugo, afin de mieux le combattre.
Il faut dire que, très tôt, Hugo Martinez a subi la pression du harcèlement. Dès l’âge de 6 ans, pour être exact. « Cela s’installe d’une telle manière que l’on ne se rend pas compte que cela nous arrive. Ce dont je me souviens aujourd’hui, c’est que ce sont des actes qui s’installent dans le temps, et qui s’intensifient petit à petit. Une insulte en cours, une autre à la récréation…Cela devient presque habituel et il est déjà presque trop tard lorsque j’en prends conscience » raconte-t-il.
Difficile, alors, d’en comprendre les causes. « Quand, finalement, d’années en années, je vois que je reste la cible constante de ces attaques… d’abord des insultes, puis des menaces, et même carrément des coups… je me pose forcément la question : pourquoi moi ? » Une réflexion qui amènera Hugo, en fin de collège, à se faire diagnostiquer. Résultat : Il est HPI : « haut potentiel intellectuel ». Une forme de « différence » qui apporte un début de réponse. « Mais qui n’explique pas tout, mais c’est vrai que cal permet de comprendre un peu mieux pourquoi » précise notre interlocuteur.
Avec le recul, Hugo parvient –un peu- à expliquer ce qu’il a vécu. « Ce que je constate, c’est que les enfants ont une capacité à détecter beaucoup plus facilement que les adultes une différence qui n’est pas forcément physique. Quand on est HPI, on a un raisonnement qui n’est pas le même que les autres. Les enfants savent le voir, sans forcément le verbaliser. »
Aucun enfant n'est à l'abri du harcèlement
Le harcèlement peut toucher n’importe quel enfant. « Il n’y a pas de profil-type. Ni du harcelé, ni du harceleur. Mais il peut y avoir un contexte : un complexe physique ou intellectuel… un environnement familial difficile… des difficultés scolaires… Autant d’éléments qui peuvent être un argument de différence pour le groupe « classe » qui va mener du harcèlement » explique-t-il. Dans son cas personnel, il a trouvé refuge dans la nourriture. Cela a entrainé, chez lui, un complexe physique supplémentaire.
Une spirale qui devient infernale avec les années qui passent. Un sentiment de culpabilité naît, appuyé par la réaction maladroite des adultes. « Quand je finis par en parler à mes parents, ils vont rencontrer l’établissement scolaire. Le retour est comme un boomerang. On leur explique que, si je ne sais pas m’intégrer dans un groupe, je n’ai qu’à changer d’école » se souvient-il. « En fait, on reporte la faute sur la victime.»
Un déni « officiel » qui l’a poussé à se sentir coupable de sa situation. « J’en suis arrivé à me dire que, finalement, c’était peut-être normal que je subisse ces actes » témoigne Hugo. « Je me souviens, par exemple, que j’avais hâte de finir ma période au collège pour pouvoir entrer au lycée, en espérant que mon calvaire prendrait fin en changeant d’établissement. Dès la 3ème, je cherchais déjà mes études post-bac… C’était juste, pour moi, un moyen de fuir mon quotidien. »
Et même pire, on lui reproche à ce moment-là de ne pas assez se défendre. « A une certaine époque, on parlait simplement de bagarre, de chamailleries entre élèves. La violence physique était presque une normalité. La réalité, c'est que cela n’est pas normal. Un enfant ne va pas à l’école pour y souffrir. Il y va pour apprendre et s’épanouir. »
Les familles, aussi, sont détruites. Les parents, mais aussi la fratrie. Parce que le temps accordé pour résoudre ce fléau est perdu pour les frères et sœurs. C’est particulièrement destructeur, et cela laisse des marques à long terme.
Hugo considère, aujourd’hui, qu’on a volé son enfance. « La base de l’enfance c’est l’insouciance. C’est d’essayer, le plus possible, de se déconnecter de la réalité, à travers de belles histoires. Quand on a passé 12 ans dans la souffrance, à se défendre tout seul au lieu de se construire, comment se déconnecter de cette réalité-là ? » C’est pour tenter de rattraper ce temps perdu qu’il a créé son association, « afin que cette enfance volée ne soit pas gâchée, qu’elle puisse avoir une utilité publique. »
Au-delà de l’enfant, qui est la première victime, le harcèlement scolaire touche aussi les parents. « Les familles, aussi, sont détruites. Les parents, mais aussi la fratrie. Parce que le temps accordé pour résoudre ce fléau est perdu pour les frères et sœurs. C’est particulièrement destructeur, et cela laisse des marques à long terme » avertit Hugo.
Que se passe-t-il dans l’esprit de la victime ? Comment voit-il ses harceleurs ? « Sur le moment, c’est une sorte de flou artistique, on passe par plusieurs étapes, telles que la révolte, la haine.... Ensuite, au moment de la reconstruction, j’ai dû passer par des soins médicaux, et notamment des injections particulièrement douloureuses. J’étais là, à souffrir encore, pendant que mes harceleurs vivaient une vie heureuse. Il naît alors un sentiment de révolte, face à une injustice. Une envie de rétablir la vérité. »
Un sentiment qui évoluera pourtant à l’opposé avec le temps. « Aujourd’hui, avec l’action que je mène au sein de mon association, j’en suis presque arrivé à remercier mes bourreaux, sans qui je n’aurais pas vécu tout cela. »
Incroyable retournement de situation. Hugo Martinez va même plus loin. « Je le dis. Les harceleurs souffrent presque autant qu’ils font du mal. Ils sont souvent eux-mêmes soit d’anciennes victimes de harcèlement scolaire, soit des personnes qui ont un complexe intellectuel ou physique à cacher, et ils y parviennent en mettant « en lumière » quelqu’un d’autre. » Hugo estime qu’il s’agit surtout d’enfants qui n’ont pas appris à exprimer leur mal-être autrement que par la violence.
Sortir de la spirale du harcèlement
Comment s’en sortir ? Le premier réflexe de l’enfant est, à priori, de se tourner vers ses parents. Mais chaque enfant est différent. « Moi, par exemple, je me souviens que je me réfugiais beaucoup à la bibliothèque du collège, parce que je savais que la documentaliste n’était pas une enseignante. Elle représentait un autre point de contact, auprès duquel on espère une écoute » raconte Hugo. L’important étant, quel qu’il soit, de pouvoir trouver le bon relais, qui pourra déclencher les actions nécessaires pour venir en aide à la victime.
A condition d’actionner les bons leviers, afin de ne pas aggraver la situation. « Par exemple, les parents de l’enfant harcelé qui vont rencontrer la famille du harceleur, c’est une mauvaise idée » répond-t-il d’emblée.
Il n'est pas si simple d'aborder un tel sujet. En France, on utilise le même mot pour parler de tous les harcèlements (sexuel, au travail, dans la rue, à l’école). Ce qui en fait un terme fort. « Du coup, lorsque vous dites à des parents que leur enfant est un harceleur, ils ne l’acceptent pas et se crispent. Il est donc plutôt recommandé de passer par l’établissement scolaire. Si cela ne fonctionne pas, il faut alors faire appel à des associations. Ces dernières vont ensuite tenter de créer un climat d’échange et d’installer un dialogue. »
Un électrochoc personnel
A titre personnel, il lui a fallu se reconstruire. A l’époque, ce qui lui a permis, à lui, de tenir face à cette menace quotidienne, c’était notamment sa passion pour le théâtre, le cinéma, et la scène en général. « J’ai suivi un atelier d’art dramatique au théâtre de Villefranche-sur-Saône, chaque semaine durant plusieurs années. C’est une vraie scène professionnelle, où j’ai rencontré de nombreux artistes, comédiens ou chanteurs. Pour moi, c’était un lieu un peu… en apesanteur. » A la fin de l’année avait lieu une grande représentation, à l’occasion de laquelle il retrouvait toute sa famille. « C’était à la fois un moment de fierté, et une bouffée d’oxygène. Une vraie reprise de confiance en moi » se souvient Hugo.
Mais cela n’a pas suffi. Ses problèmes physiques, liés à son mauvais comportement alimentaire, l’amènent à vivre un véritable électrochoc, en mai 2017. « A ce moment-là, je me bats contre le diabète. Les résultats ne sont pas bons. On m’annonce un vendredi que l’on va m’hospitaliser sur une longue durée. Dès le lundi, prenant subitement conscience de ma situation je mets en ligne des vidéos sur les réseaux sociaux. »
Il s’adresse alors au président de la République et au ministre de l’éducation nationale. Et, chaque soir depuis l’hôpital, il montre en direct sa réalité et développe un point d’action qu’il souhaite mener contre le harcèlement scolaire. « Cela devenait un rituel, suivi par de plus en plus de monde. Cela m’a montré que je pouvais peut-être me reconstruire en parlant de ça » conclue-t-il. Il débute sa nouvelle vie.
Obtenir de l'Etat la création d'un délit de harcèlement scolaire
Fort de son expérience, Hugo Martinez avance des pistes de solutions à plus long terme : « A une époque, en France, les enfants pratiquaient de façon très large et majoritaire une activité artistique ou sportive régulière. Aujourd’hui, malheureusement, avec l’avènement des réseaux sociaux et des jeux vidéos, cela a tendance à disparaître. Et on constate que cela augmente les violences à l’école. » Sans les exonérer, Hugo essaye ainsi d’expliquer ces comportements.
Notre interlocuteur milite aussi pour la création d’un véritable « délit de harcèlement scolaire ». L’objectif étant de pouvoir faire, à l’échelle nationale, ce travail d’accompagnement que propose son association, modestement. 120 000 jeunes et familles en ont tout de même bénéficié en trois ans d’existence. « Il faudrait que ce travail d’artisan que l’on effectue auprès de ces familles puisse être assumé par l’Etat. Ce délit spécifique permettrait de prendre en charge les frais thérapeutiques des familles qui sont estimés, à peu près, à 500 euros par mois. »
Un combat actuellement freiné par l’approche de l’élection présidentielle, et la fin, en février 2022, de la législature actuelle. En attendant, il tente de se faire entendre auprès des élus et des parlementaires. « Je suis très choqué de voir que l’on parle de beaucoup de choses, mais pas des jeunes. La jeunesse est complètement oubliée dans les thèmes actuels de la présidentielle de 2022. »
REPLAY : Voir ou revoir l'intégralité de l'émission "Vous êtes formidables" avec Hugo Martinez