Un tableau noir, des craies à disposition des voyageurs pour les inviter à formuler leurs souhaits après un an de crise. La SNCF lance cet été des "murs d’expression" dans toutes les régions. L'un d'eux se trouve en gare de Lyon Part-Dieu. Un chercheur va recueillir ces paroles... pourquoi faire ?
A la proposition "Demain, j'aimerais"... il y a ceux qui souhaitent "un monde en paix", "une bonne santé à tous", "de la bienveillance envers l'humanité", "que tout le monde s'aime", "avoir mon bac", "faire top 1 sur fortnite", ou encore "que les horaires des trains soient respectés". Mon coup de coeur va à la petite phrase "être grande", qu'une anonyme a inscrit un peu bas sur le tableau.
Ces messages de bonne volonté, ces coups de gueules, ces souhaits touchants de naïveté et de spontanéité sont autant de petites phrases que des voyageurs et des passants ont pris le temps d'inscrire à la craie sur deux tableaux noirs installés dans le hall. Ils trônent devant l'une des entrées de la gare Lyon Part-Dieu. Ces écrits éphémères sont ainsi lisibles par tous.
Après un an et demi de crise Covid et plusieurs épisodes de confinement, la SNCF a invité les voyageurs et autres personnes déambulant dans la gare à venir s'exprimer par écrit. Ecrire ses aspirations pour les mois à venir, ses souhaits, ses sentiments, ses espoirs. Ces écrits sont autant de témoignages de cette époque "particulière". La démarche est avant toute chose scientifique.
"Un immense gisement de mots"
A première vue, "ces messages ont à la fois une dimension très personnelle, très intime, et à la fois collective". Selon Christophe Rioux, enseignant-chercheur à la Sorbonne et à Sciences Po, l'idée de cette formule au conditionnel "Demain j'aimerais" est de "se projeter dans l'avenir, de faire part de ses aspirations pour le futur". Au-delà des belles paroles ou des petites phrases pleines de bonnes intentions, "les grandes questions sociétales se sont invitées, les questions d'égalité homme - femme, les questions liées au monde du travail, au racisme ou à l'évolution de la société", constate le chercheur.
"C'est un immense gisement de mots et on va tenter de les analyser. Comprendre si il y a des occurences, des termes qui reviennent plus souvent, essayer de trouver des liens, pour pratiquer une restitution sous une forme écrite et digitale." Cette démarche scientifique va, en outre, se doubler d'une dimension artistique : une oeuvre, réalisée à partir de ce "gisement de mots" va voir le jour, en collaboration avec une institution culturelle, le 104 à Paris.
Analyse sémantique et démarche scientifique
Début juillet, ces paroles seront collectées et feront l’objet d’une analyse sémantique scientifique menée par Christophe Rioux et ses équipes. "Nous commençons à synthétiser l'ensemble des messages et à réunir la collecte", explique-t-il. L'opération semble insolite. "Cela donne des résultats que l'on n'a pas forcément dans une démarche de sondage, d'enquête quantitative". Bien au-delà d’une enquête, d’un sondage ou d’une étude traditionnels, ce projet choisit une forme d’emblée ludique pour atteindre le plus grand nombre, a indiqué de son côté la SNCF. L'opération est d'ailleurs lancée dans 15 gares en France.
On a accès en temps réel à un instantané de la société française, et de ses fractures aussi. C'est relativement inédit et extrêmement instructif. Ça n'a pas de prix.
Les gares : les "agoras de demain"?
Ces murs d'expression ne sont donc pas uniquement des collecteurs de mots. "On voit également que cela crée des échanges et des réunions autour de ces murs d'expression," explique l'enseignant-chercheur. "Ces gares ont été longtemps présentées comme des lieux de transit. On découvre que ce sont des lieux de vie à part entière, qu'elles ont une dimension sociétale, qu'elles peuvent avoir aussi avoir une dimension culturelle."
Les murs d'expression permettent ainsi de donner la parole à chacun, à une échelle inédite.
Selon le chercheur, les gares sont "peut-être en train de devenir les agoras de demain". Il évoque une dimension de "politique", au sens de "polis" ou "cité". Les gares auraient ainsi tendance à devenir d'après le chercheur des "agoras modernes où l'on peut se rencontrer et échanger".
►Où sont les murs d'expression ?
Ces murs sont installés, jusqu'à début juillet 2021, dans 15 gares, partout en France :
►Paris Gare du Nord : Palissade Étoile du Nord
►Paris Gare de Lyon : Entre le Hall 1 et la Galerie des fresques
►Paris Est : Hall Alsace et Hall Saint-Martin
►Paris Austerlitz : Salle des pas perdus
►Rennes : Entrée Hall Nord
►Nantes : Mezzanine, côté Starbucks
►Tours : Accès Tram
►Limoges-Bénédictins : Palissade Hall Principal
►Dijon : La rotonde de la gare
►Lyon Part-Dieu : Entrée Côté Belcier
►Rouen Rive Droite : Hall Historique
►Lille Flandres : Quai transversal
►Mulhouse : Hall Historique
►Toulouse : Hall 2
►Marseille Saint Charles : Espace Podium