Une création au TNP de Villeurbanne jusqu'au 22 mars : le "Dom Juan" de Molière vu par Macha Makeïeff. La metteuse en scène en donne une lecture qui résonne fortement avec l'actualité : le personnage principal y est dépeint en agresseur traqué, et non plus en dandy libertin et brillant.
Sur scène, les décors et les costumes sont signés Macha Makeïeff. Un dispositif simple, un décor unique qui figure le repaire de Dom Juan. C'est la première liberté que prend la femme de théâtre par rapport à la pièce de Molière : dans sa mise en scène, le personnage principal ne voyage pas, ne fuit pas, il se cache. C'est un homme traqué, en bout de course, qui tente d'échapper à ses créanciers, ses ennemis, et ses conquêtes abandonnées. Il se terre en compagnie de son valet Sganarelle, dernier de ses fidèles, qui oscille entre réprobation et fascination pour son maître.
La metteuse en scène le situe dans un XVIIIè siècle décadent, une ambiance Sadienne. Il n'est plus le brillant esprit du Grand Siècle qu'avait voulu Molière, le pourfendeur des hypocrisies de l'Eglise et d'une société aristocratique corsetée dans ses convenances. Le libertin est avant tout un prédateur, qui manipule, ment et méprise. Tout à la jouissance de son pouvoir, il use de stratagèmes autant que de violence. Séducteur impénitent, il place son bon plaisir avant tout.
Décortiquer le phénomène d'emprise
Ce Dom Juan n'a pourtant rien de manichéen, Macha Makeïeff le rend dans toutes les nuances de l'humain. "Dans sa part noire, de prédation, d'emprise, de destruction, de division des femmes, de transgression de toutes les lois, mais aussi dans ses failles", explique-t-elle. "Où est sa douleur pour être un tel méchant homme ?" La psychanalyse est convoquée, avec le personnage du père, Dom Louis : plutôt que la noblesse et l'honneur, il incarne une figure paternelle humiliante et castratrice.
Expliquer ne signifie pourtant pas justifier : ici, on montre le harcèlement pour mieux le dénoncer. Et l'œuvre, rédigée au XVIIème siècle, résonne puissamment avec la révolution féministe actuelle, et les scandales qui agitent, notamment, le monde du cinéma. "Dans les médias, on parle d'un phénomène, et là, on le décortique", précise Xavier Gallais qui joue le rôle-titre. "On se met a priori du point de vue du prédateur et on peut suivre sa manière de s'approcher de ses proies, de s'en saisir, et en plus, on peut partager ce que vit la victime, et c'est la catharsis du théâtre."
"Un ogre, une sorte de Depardieu"
Permettre d'observer au microscope les mécanismes de l'emprise, c'est l'une des grandes qualités de cette mise en scène. Et les femmes ne sont pas les seules à souffrir des abus de pouvoir du gentilhomme : son valet, incarné par Vincent Winterhalter, se retrouve mi-témoin, mi-complice. Il lui est impossible, dans sa position, de se faire lanceur d'alerte, ni même d'exprimer à son maître les réticences que lui inspire son comportement. Pour son interprète, Sganarelle "s'écrase car il y a un rapport de violence entre les deux et que, de temps en temps, il prend des coups. Donc il est un peu lâche parfois, mais ce n'est pas le benêt qu'on en fait dans d'autres mises en scène, et ce Dom Juan, c'est une sorte d'ogre, une sorte de Depardieu qui fascine et qui repousse en même temps."
La pièce, enfin, redonne leur place aux femmes et au consentement. Elvire, épouse séduite et trahie, revient en femme puissante qui, par la bouche d'Irina Solano, impose à Dom Juan, un "non" sans réplique.
Jouée au TNP jusqu'au 22 mars, la création sera donnée à Paris, au théâtre de l'Odéon, en avril et en mai prochain.