C'est une première en France. A l'initiative de l'Association "Les Audacieuses et les Audacieux", une résidence pour personnes âgées LGBT+ ouvrira ses portes en décembre 2024 à la Croix-Rousse. Loin d'un "ghetto pour gays", le projet se veut protecteur de minorités fragilisées par l'âge, mais aussi ouvert sur son environnement.
Un immeuble neuf, cinq étages pour une surface habitable de 650 m2 et un jardin de 200 m2. Le projet immobilier n'a rien d'extraordinaire, si ce n'est sa destination. Cette future résidence pour personnes âgées doit accueillir des locataires appartenant à la communauté LGBT+. L'Association nationale "Les Audacieuses et les Audacieux" a réussi à Lyon ce qu'elle espère réaliser dans 10 villes en 10 ans : proposer un habitat participatif donnant la priorité aux minorités sexuelles et de genre.
La Métropole lyonnaise lui a accordé le précieux label "habitat inclusif", et la Ville de Lyon a voté à l'unanimité un bail à construction de 65 ans. Le programme prend ainsi un temps d'avance sur d'autres projets à Nantes, Paris, Marseille, Nice, Montreuil ou Romainville. Il devrait voir le jour fin 2024 dans le 4è arrondissement, pour un investissement de 3 millions d'euros.
Cette Maison de la Diversité, dont la construction et la gestion ont été confiées à Croix-Rouge Habitat, comptera 16 appartements, en plus des espaces communs (chambre d'ami, salle d'activités) et d'un studio étudiant. En détail, 7 logements sociaux et 9 à loyers intermédiaires seront proposés à la location.
Et c'est là qu'est la véritable révolution : en France, toute discrimination dans le logement est interdite par l'article 225-1 du code pénal (fusse une discrimination positive en faveur d'une minorité) et l'orientation sexuelle des candidats ne peut être prise en compte par les commissions d'attribution des HLM. Mais à force de discussions avec les acteurs politiques et le bailleur, "Les Audacieuses et les Audacieux" ont obtenu un aménagement du principe : les appartements de cette résidence, ne pourront être attribués qu'à des adhérents de l'association, donc au minimum en accord avec l'esprit du lieu. Une entorse à l'universalisme républicain ? "Une innovation", répond Stéphane Sauvé, qui a fondé l'asso il y a 5 ans.
Sans enfant pour la plupart, 65% d'entre eux vivent sans aucun soutien familial. Quand ils se retrouvent en EHPAD - environnement très hétéronormé - il leur est particulièrement difficile de devoir faire (ou refaire) un coming-out, de devoir répondre aux questions pressantes : vous n'avez jamais été marié ?... Vous n'avez pas eu d'enfant ?
Stéphane Sauvé, porteur du projet
Lutter contre les discriminations
Il a été directeur d'EHPAD. "Le scandale de la maltraitance dans les maisons de retraite, je l'ai vécu dans mes tripes... C'est un système que j'ai quitté faute de pouvoir le changer et pour proposer des alternatives," explique-t-il. "Il faut savoir que les seniors LGBT+ (un million de personnes en France) ont des besoins spécifiques : sans enfant pour la plupart, 65% d'entre eux vivent sans aucun soutien familial. Quand ils se retrouvent en EHPAD - environnement très hétéronormé - il leur est particulièrement difficile de devoir faire (ou refaire) un coming-out, de devoir répondre aux questions pressantes : vous n'avez jamais été marié ?... Vous n'avez pas eu d'enfant ?"
Autre particularité, médicale celle-ci, qui plaide pour un accueil différencié : les porteurs du VIH. La génération frappée par le SIDA dans les année 80 arrive à l'âge de la retraite et nécessite une attention particulière.
C'est pour protéger ces personnes devenues très vulnérables que "Les Audacieuses et les Audacieux" œuvrent pour l'ouverture de "lieux sûrs", d'"espaces bienveillants", ce qui ne signifie pas qu'ils sont réservés aux seniors gays.
Depuis la loi Elan (2018), les colocations de personnes âgées ou handicapées se développent sous le label "Habitat inclusif". Celui-ci permet notamment le versement par la Métropole de 3000 à 10 000 euros par an et par résident, pour financer un poste d'animateur afin de développer les activités en lien avec le quartier.
Recherche "hétéro friendly"
La Maison de la Diversité revendique un caractère communautaire, mais elle conteste tout repli communautariste. François, 61 ans, l'un des 48 adhérents lyonnais, est aussi l'un des 12 futurs locataires de la résidence. Séduit par l'idée d'habitat participatif, il a été emballé à l'idée de partager son quotidien avec d'autres membres de sa communauté, mais aussi avec des "hétéros ouverts", selon ses termes.
J'habite un quartier de Lyon qui n'est pas facile pour les personnes différentes(...). Dans mon immeuble, je ne pourrais pas dire que je suis gay, c'est pas possible
François, futur résident
Pour lui, malgré les acquis des dernières années (PACS, mariage pour tous, et PMA pour toutes), l'homophobie est toujours d'actualité. "Moi, j'habite un quartier de Lyon qui n'est pas facile pour les personnes différentes(...). Dans mon immeuble, je ne pourrais pas dire que je suis gay, c'est pas possible, il y aurait une discrimination". (Un extrait de son interview en vidéo ci-dessous)
Le risque, pour ce lieu qui sera ouvertement lié à la communauté LGBT+, c'est de devenir une cible. Stéphane Sauvé, fondateur des "Audacieuses et des Audacieux", en a parfaitement conscience. "Agressions verbales, vandalisme, et même terrorisme homophobe, nous ne sommes à l'abri de rien", admet-il. "Mais nous n'avons pas l'intention de nous afficher, de tendre des drapeaux arc-en-ciel sur la façade", ajoute-t-il avec un sourire. "L'immeuble disposera bien sûr d'un dispositif de sécurité, en accord avec la mairie et la police, mais je suis convaincu qu'en entretenant des liens cordiaux avec le voisinage, tout se passera de manière pacifique. Le projet est bien accueilli dans le quartier."
Rendez-vous en décembre 2024, date à laquelle, selon le calendrier du chantier, la résidence devrait recevoir ses premiers locataires.