Zoom sur la "Mission Opéra" au lycée professionnel Tony-Garnier de Bron, spécialisé dans les métiers du bâtiment. Depuis un mois, des élèves de CAP font des vocalises et répètent sous la direction d'une chanteuse lyrique de l'Opéra de Lyon. Une initiation au bel canto et à un répertoire difficile. A la clef : un concert.
Dans l'un des ateliers du Lycée professionnel Tony Garnier de Bron, les cours de peinture ont un accent un peu particulier depuis début janvier. Voilà déjà quatre semaines que des élèves de CAP apprennent en musique. Mais pas n'importe quelle musique. De l'opéra ! Mozart, Wagner ou encore Gounod... Du chant lyrique plein les oreilles, ils peignent, découpent, mesurent ou poncent. Impassibles malgré l'ambiance sonore.
Dans les boxes, chacun s'affaire, parfois en fredonnant. Les élèves n'ont pas l'habitude de cette musique comme l'explique le jeune Zidane, derrière son établi. "L'opéra, ce n'est pas notre style de musique préférée mais on s'y met au fur et à mesure". "Travailler en musique, ça fait du bien, on se sent à l'aise", s'exclame Fawas, qui reste concentré sur des baguettes à poser. Il l'admet, il chante parfois en travaillant.
Ces airs d'opéra diffusés à l'atelier, les élèves les connaissent par coeur. Il faut dire qu'ils les répètent depuis début janvier dans le cadre de l'opération "Mission Opéra". Trois extraits d'opéra et un chant gospel en anglais. C'est la soprano Caroline MacPhie qui dirige les répétitions, accompagnée d'un pianiste. La cheffe de choeur de la maîtrise de l'opéra de Lyon a choisi un répertoire abordable aux voix masculines.
"Courage et volonté", paroles de chanteurs
Au piano, la cadence évoque une marche militaire. Si ce chant tiré du Faust de Gounod leur donne un peu de fil à retordre, Caroline MacPhie n'hésite pas à galvaniser les jeunes ténors du premier rang "Allez ! Vous êtes des soldats, des militaires... soyez fiers !" Et tous reprennent en cadence: "Gloire immortelle de nos aïeux... dirige nos pas, dirige nos pas... enflamme nos coeurs !"
Certains de ces adolescents, comme Oumar, ne pensaient pas réussir si vite. "Quand on a commencé à chanter, je ne croyais pas que j'allais chanter en anglais ! C'est la première fois que j'écoute de l'opéra et que je participe aussi. Ça m'a beaucoup plu. C'est difficile mais quand on suit le cours avec courage et volonté, on peut s'en sortir", assure-t-il tout sourire.
Même discours volontaire pour Serge : "avant je ne pensais pas pouvoir parler ou chanter en public, maintenant je sais que c'était quelque chose qui était caché en moi et que j'ai fait sortir. Au début, ça n'a pas été facile... mais on a atteint notre but grâce à nos professeurs et je suis ravi". Serge fait partie du petit groupe de ténors. Concernant la qualité de sa prestation vocale, Serge préfère s'en remettre au public, en toute modestie.
"Une école de la vie"
Les cours de chant ont lieu deux fois par semaine, le mardi et le jeudi. La séance d'une heure trente commence invariablement par de petits exercices de cohésion d'équipe. Car ces ateliers vocaux ont aussi vocation à souder le petit groupe.
Ce projet musical consiste à ouvrir à ce public un répertoire qui peut être perçu comme élitiste. Mais pas seulement. Pour Caroline MacPhie, les vertus du chant sont inestimables. "En travaillant le chant, on travaille la confiance en soi, la posture, le travail d'équipe, l'autonomie, la persévérance", explique-t-elle.
On travaille plusieurs compétences qui sont essentielles pour la vie. C'est une leçon de vie par le biais du chant lyrique (...). C'est une expérience inédite pour ces jeunes.
Caroline MacPhiesoprano
Travailler avec ces jeunes débutants, dénués de pratique et de culture du chant lyrique, pourrait paraître abrupte au premier venu. Pour la cheffe de choeur, leur inexpérience n'est pas un obstacle. C'est au contraire un public sans préjugé. "Ils se lancent, ils sont ouverts", assure la professionnelle. En revanche, "ils doivent être prêts à travailler et doivent aussi oser faire des erreurs. Pour moi, c'est un projet très humain et très riche", résume-t-elle.
"Un énorme défi"
Faire chanter des élèves qui n'ont pas l'habitude de chanter, sur un répertoire auquel ils ne sont pas habitués, pour l'équipe pédagogique, c'est "un énorme défi" et un "projet hors norme", comme l'explique Laurence Lannic, professeur documentaliste. Elle est aussi la référente culture au sein de l'établissement et a porté le projet.
Mission opéra profite déjà aux jeunes, à plus d'un titre : "pour la classe, c'est une cohésion de groupe. Ça crée du lien entre les élèves, et entre les élèves et les adultes. C'est une ouverture vers un univers qu'on n'irait pas spontanément explorer (..) On est bien conscient que nos élèves n'iraient pas forcément vers l'opéra, c'est un univers qui n'est pas facile d'accès, tant sur le plan culturel que financier".
On est assez nombreux à être mobilisés autour de ce projet. Le point positif pour l'établissement, c'est aussi une "cohésion" d'équipe.
Laurence Lannicprofesseur documentaliste, référente culture
Autre bénéfice : le renforcement de la cohésion au sein même de l'équipe pédagogique. Lorsque la proposition de faire découvrir l'art lyrique et le bel canto aux élèves de l'établissement a vu le jour dans ce lycée des métiers du bâtiment, l'idée a séduit. Six classes se sont manifestées mais une seule a été retenue : celle qui n'avait pas de projet pédagogique, tout simplement. Il ne s'agissait pas de distinguer les élèves les plus méritants, selon le proviseur, Kamal Youssefi.
Après le concert, la mission opéra suivra son cours : les élèves iront visiter l'opéra de Lyon et ensuite assister à une représentation. Ce projet a été financé par la DAAC, la région Rhône-Alpes et une entreprise du bâtiment. Objectif ultime pour ces jeunes choristes : donner un concert en public dans une salle d'une centaine de personnes. La représentation aura lieu le jeudi 26 janvier dans la salle du Jack Jack à Bron.