Il y a plus d'un siècle, Edmond Locard était à la tête du tout premier laboratoire de police scientifique, à Lyon. Restent aujourd'hui des archives exceptionnelles. Mais ce précieux fonds documentaire a bien failli disparaître. Des photographies sur plaque de verre ont notamment été très endommagées. Le fonds va être numérisé.
Au sous-sol des archives municipales de Lyon, c'est un véritable trésor qui dort : le fonds documentaire du docteur Edmond Locard, considéré comme l'un des pères de la police scientifique. Sur des étagères reposent des cartons d'une dizaine de kilos chacun. Ils occupent plusieurs mètres linéaires. À l'intérieur, de petites plaques de verre soigneusement emballées pour éviter qu'elles ne se collent les unes aux autres. Des documents vieux d'un siècle qui ont été sauvés de la destruction.
Mémoire criminelle sur plaques de verre
"C'est extrêmement fragile, je la tiens par la languette pour ne pas toucher à la couche photographique (...) elles sont extrêmement difficiles à manipuler. Il y a donc difficulté d'inventaire et risque de bris", explique Louis Faivre d'Arcier, directeur des archives municipales de Lyon.
Le fonds documentaire Locard est riche de documents papiers, mais surtout de plaques de verre immortalisant scènes de crime, pièces à conviction, empreintes digitales, expertises balistiques et graphologiques. Certaines de ces photographies ou négatifs de photographies représentaient parfois des scènes insoutenables.
Autant de témoignages de l'histoire criminelle du début du XXe siècle. Des pièces qui se trouvaient dans le premier laboratoire de police scientifique au monde, installé en 1910 au Palais de justice de Lyon, en bord de Saône. À sa tête, Edmond Locard, expert lyonnais, diplômé en médecine et en droit.
Stockées dans les combles du palais de justice depuis la mort du Docteur Locard en 1966, les archives de l'expert avaient été transférées durant les années 1970 dans les locaux de la police scientifique à Écully... Et oubliées durant plusieurs décennies.
Contamination fongique : archives en péril
Ce trésor était menacé. En 2010, les archives municipales de Lyon ont récupéré ces précieux documents pour éviter leur destruction totale. Ces plaques de verre étaient alors remisées, en vrac, dans un local humide de la Police scientifique d'Écully. Un stockage qui a failli être fatal.
Les plaques ont surtout beaucoup souffert de ces mauvaises conditions de conservation. Certaines ont été cassées, d'autres étaient couvertes de moisissures. Particulièrement fragile, la couche photographique de ces plaques rectangulaires, d'une dizaine de centimètres, a bien failli disparaitre à jamais.
Une partie importante de ces plaques a été perdue. Au moins la moitié (...) Certaines n'étaient pas récupérables. Il y a eu une contamination fongique provenant probablement des conditions de conservation.
Louis Faivre d'ArcierDirecteur des Archives Municipales de Lyon
À l'origine du développement de la moisissure : la couche de gélatine qui recouvre le verre et qui offre un terrain favorable à la multiplication des champignons.
Devant l'ampleur des dégâts, les archivistes ont décidé d'employer les grands moyens : la désinfection globale avec un procédé d'ordinaire utilisé pour le papier. Mais il a fallu faire des choix. Toutes n'ont pu être traitées et préservées. Initialement, le fonds Edmond Locard comportait environ 30.000 plaques de verre.
"Dans l'idéal, il aurait fallu nettoyer toutes les plaques de verre, à l'unité. Mais avec un volume aussi énorme à traiter, on a choisi une option permettant de sauvegarder l'information encore présente sur les plaques qui n'étaient pas endommagées. Pour les autres, il a fallu faire un tri", explique Virginie Gentien, responsable des archives privées et du fonds Locard.
Numérisation
Un peu moins de la moitié des plaques de verre, soit près de 13.000 pièces, a ainsi pu être sauvée. Fragiles et difficiles à manipuler, elles sont aujourd'hui conditionnées dans des boîtes provisoires, à l'abri. Prochaine étape : elles seront bientôt scannées et numérisées afin d'être inventoriées.
"C'est l'enjeu de la numérisation : permettre la manipulation et, à terme, l'inventaire de ces plaques pour essayer de comprendre comment ce fonds a été constitué et ce qu'il peut apporter à l'histoire", précise Louis Faivre d'Arcier.
Pour mener à bien cette opération, les archives ont un partenariat avec un éditeur, spécialiste de criminologie, qui devrait prendre à sa charge la numérisation intégrale du fonds Locard. Elle devrait prendre plusieurs mois.
Mais le fonds documentaire n'a pas livré tous ses secrets. Il reste une énigme à résoudre pour les archivistes : la clé d'accès pour comprendre ces documents. "Toutes les plaques sont identifiées par un numéro, mais il n'est pas parlant. Pour l'instant, nous n'avons pas retrouvé la clé d'entrée dans les plaques", explique le directeur. "L'organisation des plaques de verre est un peu mystérieuse pour nous," confirme Virginie Gentien. L'enquête pour retrouver un éventuel inventaire du premier laboratoire de police scientifique n'a pas encore abouti.