VOST : "A 14 ans, j'ai dû tout quitter", Sadia Hessabi, de Kaboul à Lyon

Elle n’a presque rien gardé de son pays d’origine, sauf quelques photos, un accent chantant et les parfums de la cuisine Afghane. Sadia a quitté Kaboul pour la France, il y a 30 ans… elle n’était alors qu’une adolescente. Un choc culturel à l'atterrissage pour une toute jeune fille de 15 ans.

Son visage est ouvert, son regard franc et son rire communicatif... Dire que Sadia est une femme de caractère avec un mental en acier trempé, est encore loin du compte. Deuil, déracinement, exil, maladie ... elle ne veut ni s’apitoyer sur son passé, ni se vanter de son parcours. Entre ténacité et détermination. 

Une famille en terre inconnue

Elle est née à Kaboul, en Afghanistan, en 1976. Le pays était alors tenu par les Soviétiques. Elle n'a que 14 ans lorsqu'elle perd sa mère. Son père est mort quelques années plus tôt, elle n'est encore qu'une fillette. Sans frère, ni soeur, elle se retrouve seule, avec des hommes qui commençaient à lui « tourner autour », comme elle le raconte pudiquement dans un podcast publié sur "La Voix des Lucioles". Mais une autre menace plane, celle des Talibans qui se rapprochent de Kaboul. La suite est connue ... 

Sadia doit se résoudre à quitter l'Afghanistan. Elle n'est jamais sortie du pays et il lui a fallu un an pour se décider à partir. "Je voulais que mes parents aient une tombe comme les autres," explique-t-elle, "avant mon départ, je suis allée leur dire au revoir et leur demander de me donner du courage".

Un oncle maternel s'est proposé de l’accueillir en France. C'est un saut dans l'inconnu pour l'adolescente, qui ne parle pas un mot de français et ne connaît même pas cette famille qui vit à des milliers de kilomètres. Pour pouvoir partir seule, son âge légal est modifié. Lors de son départ, elle a officiellement 18 ans.

Le souvenir de l’avion qui quitte Kaboul est gravé à jamais dans sa mémoire : c’était le 5 juin 1991. C'est un sentiment inexplicable de "déchirement". "Je voyais ma terre s'éloigner avec tous mes souvenirs et je ne savais pas où j'allais. Ce déchirement me marquera jusqu'à ma mort." Elle est trop jeune et n'a aucune idée des épreuves qui l'attendent. L'inconscience de la jeunesse, explique-t-elle avec du recul. Mais si c'était à refaire... 

Un choc culturel total ... 

Après une première escale à Moscou, où elle rate son avion et une deuxième escale à Prague, c’est l’arrivée à Paris. N'allez pas imaginer que c'est une jeune fille voilée qui descend de l'avion. Sadia remet les pendules à l'heure tout de suite. C'est une ado en jean, basket et sac Montana qui débarque à Roissy. Le choc visuel, c'est elle qui le vit. Pour l'adolescente venue des contreforts de l'Himalaya, sa première image de la France, c'est celle d'un pays "tout plat, avec des gens tout blancs". Sadia se souvient encore aujourd'hui, avec amusement, de sa surprise. 

Avec cette famille inconnue, elle prend alors la direction la Bourgogne. Elle aime raconter son premier souvenir culinaire et l'évoque encore avec malice. Pour la pause repas sur une aire d’autoroute, c'est une andouillette frite appétissante qui lui fait de l’œil. "C'était comme un kebab bien grillé…(on dit kabob chez nous)". Malgré l’avertissement de son oncle, elle l'engloutit et commet son un premier acte de rébellion. "Je me suis dit, c’est moi qui décide. Personne ne décide à ma place !". De cette andouillette bourguignonne, elle n’en garde pas un souvenir impérissable. Mais ce choc culinaire ne sera pas le dernier. Question anecdotes, Sadia est intarissable. Crevettes, crabe, cuisses de grenouille et escargots sont autant d'aliments "exotiques" qu'elles ne pensaient pas trouver un jour dans une assiette. 

Il y a aussi ce décalage du quotidien, banal mais abyssal pour la jeune femme qui avait l'habitude des rues pleines de vie de Kaboul. Ce qu'elle décrit, c'est une sensation lunaire, le sentiment d'avoir posé ses valises dans une ville fantôme. "Dans ce patelin, c’était très vide, calme mais vide! Chacun dans sa maison. On ne connait pas les gens, ils ne sortent pas. En Afghanistan, ça vivait dehors et là je ne croisais personne, je ne parlais pas la langue, c’était ennuyeux pour moi!". 

De ses années d’adolescence perdue, Sadia se souvient aussi des petites vexations et des grandes blessures… autant de bleus à l’âme qui ont forgé son caractère mais surtout mis sa résistance à rude épreuve. Elle intègre une classe de 4e et apprend la langue française. Un apprentissage éclair et une capacité d'adaptation remarquable pour la petite exilée. Car ce qui marque aussi l'adolescente, c'est ce sentiment d'être "prisonnière à l’intérieur d’elle-même", faute de pouvoir communiquer avec les autres.

"Mon oncle parlait peu, sa femme et ses enfants sont français. J’ai très vite appris, en trois mois environ. J’ai appris vite, je suis allée à l’école… et j’en ai mangé des flans," ajoute-t-elle. Parfois jusqu’à l’overdose. Mais pourquoi ? "Parce que c’était le seul mot que je pouvais dire dans les boulangeries, « Flan ». Je trouvais que c’était facile à dire… Depuis mon adolescence jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas mangé de flan… c’était trop ! », explique-t-elle avec une petite moue. 

Un virage professionnel

C'est à l'âge de 18 ans qu'elle apprend la vérité sur ses origines : ses parents l'ont adoptée alors qu'elle n'avait que 3 jours. Sa mère biologique est morte en couches et son père est alors trop pauvre pour l'élever. Le pays avait subi une grande sécheresse cette année-là, en 1976.

Un véritable séisme pour la jeune femme qui décide de quitter la famille qui l'a hébergée et de voler de ses propres ailes. Direction un foyer de la DDASS, puis un foyer de jeunes travailleurs où elle reste deux ans. Elle renonce au baccalauréat pour un BEP sanitaire et social qu'elle décroche haut-la-main en 1998. Son diplôme en poche, la jeune aide-soignante signe pour un stage au Vinatier, l'hôpital psychiatrique de Lyon. Il se conclut par un contrat. Sadia, qui a aussi obtenu la nationalité française au passage, y reste 20 ans. 

La perte d'un collègue est le déclic. A 39 ans, Sadia se sent étouffée, prisonnière d'une vie qui répond pourtant à tous les codes de la société : "J'avais le travail, le chien, le mari, la maison... j'avais coché toutes les cases". Mais le besoin de liberté et la quête de sens ont été les plus forts. Et tout s'enchaîne. Elle quitte alors le père de ses deux enfants et se lance dans une reconversion professionnelle pour faire de la cuisine et surtout faire connaître les saveurs afghanes. Alors qu'elle avait totalement "zappé" l'Afghanistan, son passé a refait surface lorsqu'elle est devenue maman. "Quand je suis tombée enceinte, j’ai eu besoin de reproduire la nourriture de chez moi, de retrouver les saveurs et les épices de mon enfance. C'était un rappel vital d'Afghanistan. Je n'ai pas réclamé de fraises!"

Devenue cheffe et traiteur, elle cuisine aujourd'hui pour les particuliers et intervient dans de nombreux événements avec son entreprise "KabouLyon". Elle a même fait une apparition remarquée dans un livre de recettes compilées par le chef étoilé roannais Michel Troisgros. Son dessert signature : un dessert afghan revisité, mélange de cardamome, de thé… et de pralines. Tout un symbole. Mais Sadia voit encore plus loin avec un projet d'un éco-village qui réunirait cultures française et afghane.

Le retour des Talibans à Kaboul ...  

"Quand je voyais les images des Talibans qui caillassaient les femmes, je me disais, ce n'est pas possible, ce n'est pas mon pays!". Aujourd'hui, le retour des Talibans à Kaboul la fait bondir. Elle est aujourd’hui inquiète pour son pays retombé aux mains des Talibans. Elle avait le projet de se rendre un jour à Kaboul avec ses enfants. Elle ne décolère pas: "J'ai mal, j'ai mal ! Il y a 20 ans quand les premiers Talibans sont arrivés, c'était exactement la même chose. Aujourd'hui, ils sont pires et on laisse faire !"

Pour aider ses compatriotes réfugiés en France et notamment à Villeurbanne, elle sert d'interprète. La rencontre avec ces Afghans exilés la ramène à son arrivée dans l'hexagone. Quelles paroles de réconfort a-t-elle pour eux? "Je leur ai déjà dit que le calvaire est terminé. Je leur ai dit qu'ils sont les bienvenus ici, que ce ne sera pas facile, qu'il faut apprendre la langue pour pouvoir s'exprimer parce que c'est primordial !" En revanche, ce qu'elle ne veut pas leur dire, c'est qu'un autre parcours du combattant commence. "Je pense qu'ils sont bien là par rapport à ce qui se passe là-bas. Ils verront bien d'eux-mêmes. Mais je les aiderai. Je suis là pour traduire ce qu'ils ont à dire et les rassurer avec des paroles qu'ils peuvent comprendre!"

Et si il fallait faire un bilan ?

"Avec du recul, je me dis bravo pour l'adaptation !". Elle poursuit : "Aujourd'hui, je suis Afghane et Française. Je me suis enrichie des deux cultures. J'ai vécu 15 ans en Afghanistan, 30 ans en France. Ce n'est pas pour autant que j'oublie qui je suis, ni d'où je viens." 

Et Sadia ne manque pas d'expressions imagées pour décrire la femme qu'elle est devenue: "un matelas à mémoire de forme" ou encore "un caméléon sur une boîte de smarties". Nous on préfère, la femme au sourire. 

Le portrait en images à retrouver dans V.O.S.T. 

 

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