Ancien résistant, Jean Lafaurie sillonne les écoles de France pour raconter son histoire. Incarcéré à la prison de Tulles, de Limoges puis à la centrale d’Eysses, déporté dans le camp de concentration de Dachau, l'homme de 99 ans éveille les jeunes à l'histoire de la France dans la Seconde Guerre mondiale.
Pas un bruit. Assis par terre, ils sont pourtant près de 150 élèves de primaires réunis dans le gymnase Paul Roux à Vaulx-en-Velin. Des CM2, mais aussi des CM1, tous écoutent attentivement, interloqués, les propos de Jean Lafaurie. Ancien résistant âgé de 99 ans, le Lotois sillonne la France depuis 1983 pour raconter son histoire dans les écoles.
“Vous savez, j’aurai bien voulu m’exprimer plus tôt. Ça m’aurait permis de me libérer un peu”, regrette Jean Lafaurie, “mais les gens ne me croyait pas” ajoute le vieil homme, qui a encore toute sa tête. D’abord incarcéré dans la prison de Tulles puis de Limoges pour son implication dans le maquis Guy Môquet, muté à la centrale d’Eysses dans le lot pour 5 ans de travaux forcés, déporté dans le camp de concentration de Dachau, il n'explique pas comment il s’en est sorti vivant.
“On se douchait avec un liquide qui nous brulait"
Des lits de paille tellement usés que “quand on s’allongeait pour dormir, c'était directement sur les ressorts”. Du bouillon tellement mauvais que l’”on aurait dit de la lessive”. Des sabots de bois tellement douloureux que l’“on avait les pieds en sang”. Jean Lafaurie se souvient de tous ces douloureux moments qu’il a vécu emprisonné.
85 kilos au départ. À son retour, après plus de deux ans emprisonné, dont un an en camp de concentration, il ne pèse plus que 34 kilos.
Devant les yeux ébahis des élèves, il se rappelle avoir “commencé à comprendre ce que c’était un camp de concentration”, à commencer par le trajet, de la longue marche de 13 kilomètres pour rejoindre la gare “en courant avec un colis sur la tête”, au transport en wagon à bestiaux ou “il était très difficile de respirer”. “À l’arrivée, nous étions accueillis par un fou ! Il nous disait, ‘vous êtes rentrés par la grande porte, je vais vous montrer par où vous allez sortir’ en montrant du doigt la cheminée” livre-t-il avant d’ajouter : “On se douchait avec un liquide qui nous brulait. Nous étions tous tondus”.
Une solidarité très forte entre camarades
Il en ressort pourtant bien plus marqué par son séjour à la centrale d’Eysse qu’au camp de Dachau, particulièrement affecté par la mort de 12 de ses camarades à la suite d’une mutinerie. “Pourquoi eux et pourquoi pas nous” se demande-t-il encore aujourd’hui, alors que lui-même avait fomenté cette rébellion. Il n’en était d’ailleurs pas à sa première tentative d’évasion.
Dans la salle de sport, les regards se croisent, les enfants s’interrogent. Comment-a-t-il pu survivre durant toutes ces années d’horreur ? “Grâce à la solidarité”, n’a de cesse de répéter Jean Lafaurie. Celle des gardiens à la prison d’Eysse, investis pour faire sortir certains détenus en toute discrétion, mais surtout, celle de ses camarades.
“À Dachau, on nous distribuait des petites boules de pain. On enlevait chacun un angle et ça permettait d’aider celui qui était en perte de vitesse”, se remémore avec joie l’ancien résistant. Il n'avait jamais vu une telle unité. Une “histoire d’hommes dans la prison” comme il aime à le dire.
"Ce que l’on raconte de ces camps, ça fait réfléchir les jeunes”
Une histoire qu’il tient à transmettre afin qu’elle ne tombe pas dans l’oubli. Lui qui a dû se taire jusqu’à sa retraite, de peur qu’on le prenne pour un fou, “essaye aujourd’hui de communiquer un maximum dans les écoles". "Ce que l’on raconte de ces camps, ça fait réfléchir”, souligne Jean Lafaurie, passeur de mémoire dont on peut également découvrir l’histoire dans une pièce de théâtre intitulée La République d’Eysses : une histoire d’hommes solidaires, coécrite avec la compagnie de théâtre Errance.
Enseignante des CM1, Blandine Rochet se réjouit de cette intervention alors même que la Seconde Guerre mondiale n’est pas au programme de sa classe. “C’est un témoignage concret, vivant et surtout unique d’une histoire, l’histoire de France, qui commence à prendre forme dans leur tête”, souligne l’institutrice avant d’ajouter : “La présence de Jean Lafaurie est justifiée par le silence des enfants dans la salle”.
Silencieux, jusqu’à ce que la parole leur soit donnée, laissant apparaitre une myriade de doigts levés. Y avait-il des femmes dans la résistance ? Et des étrangers ? Avez-vous tué ? Pourquoi avez-vous résisté ? Toutes ces questions, les élèves les avaient préparées en classe, étudiant dans le détail la biographie du résistant.
Première étape du chemin de la mémoire
Cette journée constitue pour eux une première étape dans la connaissance de leur histoire. "C'est quand même l'un des derniers témoins qui peu rendre compte de ce qu'il a vécu quand il avait moins de 20 ans", explique Marius Pellet, président du comité vaudais de l’ANACR-Ami(e)s de la Résistance.
Accompagnés lors de cette rencontre par l’Association nationale des anciens combattants et ami(e)s de la Résistance (ANACR), ils poursuivront leur travail de mémoire le 25 mai prochain en parcourant les rues de Vaulx-en-Velin sur ce qui est présenté comme un chemin de la mémoire.
À l’occasion du 80ᵉ anniversaire du CNR, ils déambuleront de panneaux en panneaux revenant sur les grands moments de cette période. “Nous voulons continuer à faire connaitre la résistance”, affirme le responsable du comité qui, depuis 2014, s’adresse presque exclusivement à un public scolaire.