Bébés morts à Chambéry: l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament a-t-elle bien joué son rôle?

L'Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) porte son rôle dans son nom. Depuis 2011, et la disparition de l'AFSSAPS, c'est le "policier" dans ce domaine. Quel a donc été son rôle dans l'affaire des bébés morts à Chambéry? 

Les policiers parlent peu, c'est un fait. Mais de la part d'un "policier" sanitaire, on attendait un peu plus qu'un petit rapport diffusé sur un site internet. L'ANSM y justifie ses actes depuis le rapprochement entre les décès de Chambéry et les poches Marette. Mais avant, que s'est-il passé? Le laboratoire Marette avait-il été régulièrement contrôlé? 

Et pendant l'affaire, pourquoi le "policier" sanitaire n'a-t-il pas demandé la fermeture du laboratoire dès les premiers doutes? 

Notre enquête, qui révèle une gestion "timide" de cette crise par l'ANSM, débute à Chambéry. Pour bien comprendre le rôle de l'Agence, il convient de bien saisir la chronologie des faits.

Chambéry, l'hôpital où tout a commencé




On sait aujourd'hui que l'hôpital de Chambéry a mis du temps à comprendre le mal qui rongeait son service de réanimation en néonatalogie.


Après trois décès, les 6, 7 et 12 décembre, le centre a d'abord pensé à des infections nosocomiales à staphylocoque, d'où le nettoyage et la fermeture temporaire du service. Un fait aujourd'hui utilisé par l'avocat du laboratoire Marette pour mettre en cause l'établissement. En fait, les multiples analyses pratiquées n'orientaient vers aucune piste.

Au 3e cas, le chef de service a quand même eu un doute: le bébé avait commencé à "décompenser" après le début de la perfusion de l'alimentation parentérale. Mais il était trop tard pour valider cette hypothèse, et les prélèvements sanguins réalisés sur l'enfant n'ont rien donné. Une autre poche, d'un autre enfant du service, a été analysée. Les résultats sont revenus négatifs.

C'est lors de la quatrième alerte, le 15 décembre, avec un nouveau cas qui présentait le même tableau clinique, que l'idée de poches de nutriments contaminées a sonné comme une évidence. Ce ne pouvait plus être un staphylocoque, puisque le service avait déménagé. Le seul point commun avec les autres cas, c'était la poche. La perfusion a immédiatement été stoppée et ce bébé n'est pas mort. Sauvé in extremis. Aussitôt, l'hôpital d'Annecy, dont Chambéry savait qu'il utilisait aussi des poches Marette, a été prévenu. 

Après analyse bactériologique, une bactérie Ewingella a été identifiée dans cette poche par le laboratoire du Centre Hospitalier de Chambéry. C'est aussi là, que l'on s'est aperçu qu'elle était périmée. En fait, pas vraiment périmée comme un client de supermarché l'entend. Il s'agissait d'une poche vitaminée, dont la stabilité du statut vitaminé n'était plus garantie (là où une poche normale est garantie 28 jours, une poche avec principe vitaminé ajouté est efficace 14 jours).  

Tenant compte de ce paramètre, l'hôpital a envoyé une autre poche du même lot à l'Hôpital Edouard-Herriot de Lyon qui a confirmé une contamination. A un détail près, la bactérie identifiée n'était pas la même: une bactérie de type Pantoea. On saura plus tard, par le Laboratoire Pasteur, que l'absence de connaissances autour de la bactérie incriminée explique ces résultats discordants mais proches.

L'ANSM ne conseille pas d'arrêter la fabrication des poches



Aussitôt les résultats connus, un signalement est fait à l'Agence Régionale de Santé qui effectue une remontée de pharmacovigilance à l'ANSM. Nous sommes le 16 décembre.

Entre le 17 et le 19 décembre, l'Agence envoie ses enquêteurs chez Marette et chez l'un de ses sous-traitants. "Cette inspection a conduit à constater des conditions de fabrication qui ne respectaient pas strictement l'intégralité des bonnes pratiques de fabrication", avoue l'ANSM dans son rapport.   

Malgré cette réflexion, rien n'est fait pour arrêter la production. Même pas au nom du principe de précaution. Nous avons demandé à l'Agence pourquoi? La réponse d'une chargée de communication a reposé sur deux points: "nous n'avions pas de preuves d'un dysfonctionnement flagrant. Et puis, on ne pouvait pas se permettre de fermer un établissement sur un simple doute, alors qu'il produit des poches dont on connaît les besoins et qu'on sait qu'il n'y a que deux laboratoires de ce type en France." Etonnant. Encore plus étonnant: ce serait le laboratoire Marette, lui-même, qui se serait occupé du rappel des poches du lot incriminé, celui fabriqué le 28 novembre. Puisque le lot était ainsi "maîtrisé", il n'y avait pas d'autres soupçons à avoir(!?)

Entre le 19 décembre et le 7 janvier, date à laquelle la ministre a stoppé la fabrication au Laboratoire Marette, il s'est donc écoulé 19 jours durant lesquels les hôpitaux français ont administré des poches Marette. 

Et si d'autres lots avaient été contaminés?

D'autres cas, bien plus tôt... 

Grâce à la saisine du ministère de la Santé, qui a suivi la révélation de l'affaire, tous les hôpitaux ont été appelés à éplucher leurs dossiers, pour savoir si d'autres cas leur paraissaient suspects. Chambéry a effectivement retrouvé un premier tableau clinique équivalent, en mars 2013 et Mattéo est venu rejoindre la liste des victimes: Chloé, Théo et Milie. Un cinquième bébé prématuré, qui avait reçu ses poches à Annecy, est également mort après son transfert à Chambéry, en décembre 2012. 

Souvent, la conclusion était la même: mort d'un choc endotoxinique. En fait, les nourrissons n'ont pas été directement tués par les bactéries contenues dans les poches, mais par les toxines qu'elles sécrètent. Des toxines également libérées lors de la destruction des bactéries sous l'action des antibiotiques. En pareil cas, les antibiotiques prescrits aggravent paradoxalement la situation.

En France, trois autres dossiers suspects auraient été identifiés et transmis au ministère depuis "l'affaire" via l'Institut de Veille Sanitaire (InVS). Des malades victimes de chocs septiques en 2013. Tous ont été sauvés. Ces trois cas seraient des enfants plus âgés qu'à Chambéry et auraient été décelés dans une clinique de la région parisienne et dans deux hôpitaux de l'Ouest de la France. Chez un de ces enfants, une bactérie de type Pantoea (le même type que la bactérie de Chambéry en décembre 2013) aurait été identifiée dans le sang. Le Laboratoire Pasteur analyserait, en ce moment, une souche miraculeusement gardée par l'un des établissements.  

Quand l'ANSM découvre tardivement que le labo ne respecte de "bonnes pratiques"

Plusieurs hypothèses sont exploitées pour expliquer la contamination. D'abord, on s'est intéressé aux matières premières. Quand on lit le "petit" rapport de l'ANSM, on imagine que ce n'est pas la bonne piste. On peut aussi imaginer un simple défaut dans l'hygiène des mains. Plus globalement, le procédé de stérilisation pourrait être en cause. Normalement, le process industriel prévoit l'utilisation de salles dites "salles blanches". Les matières premières sont déballées dans des sas spécifiques. Est-ce que Marette a respecté ces règles au premier étage d'une pharmacie?

Les seuls à être en mesure de le dire aujourd'hui, ce sont les inspecteurs de l'ANSM, puisqu'ils doivent vérifier les fabricants régulièrement, pour les "homologuer". Là encore, rien n'est dit dans le rapport de l'Agence nationale de sécurité du médicament. Y a-il eu des manquements dans les visites d'inspection? On constate simplement que l'ANSM a brusquement découvert que le laboratoire "ne respecte pas l'intégralité des bonnes pratiques".  

Depuis le début de l'affaire, l'hôpital de Chambéry a fait l'objet de nombreuses visites, de l'ANSM, prochainement de l'IGAS, alors que le laboratoire Marette, lui, n'a subi qu'une inspection, en décembre. A trop vouloir tirer sur l'ambulance, n'en oublie-t-on qui a provoqué l'accident? 

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