Fasciné par la forêt qui l'entoure depuis son enfance dans le hameau du Désert d'Entremont, en Chartreuse, Thierry Martenon sculpte le bois, à sa manière, jouant sur les ombres et la lumière. Disciple de Pierre Soulages, l'artiste savoyard, dont la renommée internationale ne fait que croître, explique sa démarche dans un livre qui vient de paraître aux éditions Glénat.
Une marmotte dressée sur ses pattes arrières, un bouquetin regardant au loin vers les sommets : si je vous dis "sculpteur sur bois", vivant en montagne, vous aurez sans doute en tête ces images de petites statues de bois figuratives. Alors, appuyez sur le bouton "réinitialiser" de votre imaginaire.
La galaxie artistique de Thierry Martenon se trouve dans un autre univers, où l'obscurité et la lumière se superposent, dialoguent par strates, dansent en stries ondulées pour redonner vie au bois mort.
Pour ce disciple de Soulages, le noir est un révélateur de lumière
"Soulages, c'est mon grand maître. Je suis un tout petit disciple de ce grand monsieur. Et je lui rends hommage avec cette couleur un peu sombre et le travail de l'ombre et de la lumière. Tout le travail de Soulages, c'était de célébrer cela et c'est ce qui m'inspire le plus dans toutes mes sculptures, c'est la recherche de la lumière", nous explique Thierry Martenon dans son atelier du hameau du Désert, à Entremont-le-Vieux, en Savoie.
Le bois meurt une deuxième fois entre ses mains. Mais ce n'est que pour mieux œuvrer à sa renaissance. A l'aide d'un chalumeau, il agresse pour mieux révéler. Le souffle chaud de la flamme bleutée vient brûler la matière.
"Je suis en train de cramer, donc de vraiment carboniser la pièce de bois et une fois qu'elle sera brûlée, quand je l'aurai brossée, on va voir les cernes de croissance du bois. Elles vont se révéler, un petit peu comme en photographie argentique. On va voir ressortir le veinage", indique le sculpteur.
Exposé à l'étranger et chez des chefs étoilés
"C'est une technique japonaise", poursuit-il. "Ils l'utilisaient dans l'architecture pour protéger le bois des intempéries, quand ils enterraient des poteaux, etc. J'ai détourné cette technique pour patiner le bois".
Citant à nouveau Soulages, Thierry Martenon dit "aimer le noir". En brûlant le bois, "on obtient des noirs très profonds et à la fois ça révèle la texture du bois, la nature profonde du bois. C'est une patine que j'aime beaucoup beaucoup, je l'utilise trop d'ailleurs", concède-t-il dans un sourire.
Ses œuvres sont des tableaux, des totems, des planches martelées par des scribes parlant une langue inconnue. Elles séduisent les galeristes du monde entier, aussi bien que les chefs étoilés, à l'instar de Jean Sulpice qui a choisi l'une de ses pièces pour l'un des murs de son restaurant.
L'ébéniste de formation est un sculpteur autodidacte. "Sa spécialité, ce sont les paysages muraux", explique Jean-Louis Roux dans "Thierry Martenon, sculpteur de bois et d'encre", paru aux éditions Glénat le 11 octobre 2023.
Des œuvres sans titre
La pièce n° 101221 est emblématique. Un tableau carré de deux mètres sur deux, de frêne ondé, choisi pour la couverture du livre. L'œuvre est un agencement de pièces creusées en sillons courbes. Que représente-t-elle ? A vous de l'imaginer.
L'artiste n'est pas prescripteur de l'interprétation. Toutes ses pièces sont sans titre, elles ne sont que des numéros.
"Numéro à six chiffres, qui semble être tout bonnement la date de sortie de l'atelier. (...) Derrière chaque date, il y a évidemment un jour de vie, du vécu, une épaisseur humaine, son poids de chair et d'émotions. Mais de tout cela, Thierry ne dit rien", écrit Jean-Louis Roux.
L'artiste ne voit lui "que les défauts", une fois l'œuvre terminée. "Il y a peu de sculptures qui trouvent grâce à mes yeux", dit-il.
"Less is more" : la sobriété comme moteur
"Je vois tout ce que j'aurais dû enlever et que j'ai laissé, tout ce que j'ai rajouté et que je n'aurais pas dû rajouter. Je suis très influencé aussi par toute l'époque du Bauhaus avec Paul Klee. 'Less is more'. C'est important dans mon travail et quand je vois mes sculptures, je me dis : 'Ah, j'aurais dû enlever ça, c'est trop bavard, il aurait fallu épurer encore'. En tout cas, ça me nourrit pour la sculpture d'après", reconnaît Thierry Martenon.
L'une de ses dernières sculptures est un tableau en noyer, patiné à la flamme, "en essayant d'amener un peu des nuances, un peu comme les marqueteurs utilisaient cela au XVIIe pour faire les ombres".
"J'ai essayé d'être plus sobre là, de garder vraiment le minimum de choses. C'est peut-être un tournant dans mon travail, c'est peut-être une œuvre charnière", analyse l'artiste.
La forêt, son royaume depuis l'enfance
Thierry Martenon a grandi au Désert d'Entremont, en Chartreuse. La forêt est son royaume. Depuis son plus jeune âge, le sculpteur vit au milieu des arbres.
"Je ne sais que travailler le bois. J'ai été fasciné dès l'enfance. Je sculptais mes jouets dans du bois. C'est une matière extraordinaire, elle est à la fois dure et souple, tendre. Cela dépend des essences, ça peut être très soyeux aussi", dit-il les yeux émerveillés.
Sapins, épicéas, hêtres font partie de son environnement quotidien. Une source d'inspiration infinie où les différentes essences affichent leurs caractères.
Sur la grande table qui lui sert d'établi, son travail est une musique, celle des caresses et des coups, de la main et du burin. Le bois est tantôt malmené par le rabot, pris en étau. Puis, il est cajolé du bout des doigts. La force et la tendresse se disputent le premier rôle.
Le coup de crayon avant le coup de rabot
"L'œil est aussi important que la main. Mais pour ressentir, je suis obligé de le toucher, l'œil ne suffit pas. Il faut caresser beaucoup beaucoup le bois, c'est là qu'on voit tous les défauts", explique-t-il.
La recherche de la ligne est son fil rouge. Avant d'être sculpteur, Thierry Martenon est avant tout dessinateur. Ses esquisses sont innombrables, premiers jets à l'encre ou au crayon. Le Savoyard ne se laisse pas guider par la matière. Le bois n'est pas une copie blanche. C'est le trait qui décide de tout. "La forme avant la texture".
"Le moment le plus excitant, c'est quand je commence à dessiner et c'est le moment le plus angoissant aussi bizarrement, quand je cherche de nouvelles formes. Je pourrais rester sur le dessin quasiment. Je suis attaché au bois, c'est essentiel pour moi le travail du bois, mais je ne pourrais créer que sur le papier, je m'en contenterais presque. C'est cette première étape de recherche qui est la plus géniale".
La liberté viendra de la spécificité de l'arbre retenu, "un côté aléatoire" qui fait la beauté de la matière.
"Chaque noyer est différent : s'il a poussé un peu plus au nord, un peu plus en plaine, s'il a pris le gel à une époque de sa vie. Les arbres, c'est comme les êtres humains, ils se ressemblent tous et ils sont tous différents", raconte-t-il.
J'ai les racines aussi longues que les bouts de bois que je travaille
Thierry Martenonsculpteur sur bois
Au vu de sa renommée, l'artiste aurait pu prendre le large, gagner la capitale. Mais le Désert est l'essence de son art, son origine et son inspiration.
"Au-delà du fait de vivre de la sculpture, de vivre ici, dans ce village du Désert d'Entremont, c'était le plus important pour moi. J'ai eu la chance de pouvoir utiliser la grange de mes grands-parents pour mon atelier, qui étaient des petits agriculteurs de montagne. Je suis né ici, j'ai grandi ici et pour moi c'est essentiel", assure-t-il avant de conclure : "J'ai les racines aussi longues que les bouts de bois que je travaille".