En Savoie, chroniques d'un confinement d'en haut : Un monde sans sourire ? - 32e jour

Laurent Guillaume, présentateur du Magazine de la Montagne depuis plus de 20 ans, propose tous les jours ses "chroniques d’en haut" en attendant la fin du confinement. Il raconte avec authenticité et parfois humour le quotidien des habitants de sa vallée et porte un regard décalé sur l’actualité.

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C’est à Valloire, commune située en Maurienne (Savoie) que Laurent Guillaume passe cette période de confinement, dans un hameau perdu situé à 1 700 mètres au dessus de la station. Ici, l’isolement est dans la nature des choses. 

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Depuis plusieurs jours, en descendant faire les courses au village, j’ai constaté que la plupart des gens portaient un masque sur le visage. Une initiative solidaire relayée par la commune qui a favorisé la fabrication de masques « maison » en réunissant toutes les bonnes volontés locales, puis en les mettant à disposition sur demande via le centre médical. Je n’ai pas la moindre compétence en la matière, toutefois il me semble juste évident que s’il est préférable de tousser dans sa manche, comme recommandé par l’état depuis plusieurs semaines, il ne peut pas être mauvais d’avoir le nez et la bouche recouverts afin de ne pas disperser ses miasmes, à défaut d’une protection plus efficace, et en attendant mieux.

J’ai parfois eu du mal à remettre des visages pourtant familiers, cachés derrière ces masques. Ici, dans une station de ski, nous étions habitués à nous croiser avec des bonnets et des lunettes de soleil, déguisés en ours en peluche, mais avec des masques sur la bouche : jamais. Et c’est en essayant de reconnaitre une tête familière derrière le morceau de tissu que j’ai réalisé quelque chose : voilà presque deux mois que je n’ai pas serré une main, pas fait une bise, pas donné une accolade ni une tape amicale, sur personne, sauf - et encore - les proches qui vivent ici avec moi. 

(…) la bise, la baguette de pain et les manifs sont des piliers sacrés de notre culture.

Pour un peuple de latins, personne n’est enclin par nature à cette « distanciation sociale » imposée par la situation. Au bureau, nous avions l’habitude de nous embrasser chaque matin, rituel parfois très long mais qui contribuait à entretenir des liens. Or, bien avant le confinement, la Direction nous a fait parvenir une note bannissant la bise et la poignée de main, voilà pourquoi cela fait deux mois que je n’ai touché personne. On s’est surpris à s’envoyer des namasté, les mains jointes en signe de bonjour, geste distant qui au-delà de sa signification rituelle chez les bouddhistes, nous prive de précieuses informations au sujet de l’interlocuteur : est-il content de me voir ? Est-il sincère ? A-t-il la main fuyante ? Franche ? Chaleureuse ? 

Mis à part dans les régions où l’on en fait trois, voire quatre localement, où certains se sentiront sans doute enfin soulagés, le bannissement de la bise n’est pas une bonne nouvelle : il pourrait s’agir d’un véritable changement dans nos relations sociales touchant à l’essence même de notre peuple. Il suffit de voir l’air effaré des Américains quand on s’embrasse entre collègues sans être mariés - ni même y avoir pensé une seule seconde - pour avoir envie de conserver ce rituel. Parce que la bise, c’est ce qui définit les Français. So romantic ! Et tant pis si c’est peu recommandable du point de vue sanitaire, on aurait presque envie de répondre qu’on s’en fout et que la bise, la baguette de pain et les manifs sont des piliers sacrés de notre culture.  Mais cette foutue pandémie pourrait bien avoir raison de tout cela dans la durée. Nombreux sont les médecins qui nous expliquent que même après le confinement, il va falloir continuer à se jauger de loin, à la façon des asiatiques, à proscrire les rassemblements, et à porter des masques. Seule la baguette pourrait y survivre, quoique méfiez-vous : la baguette, on la porte sous le coude, et le coude, on éternue dedans.

(…) sourire sous un masque, c’est comme faire l’amour en combinaison de plongée…

Ce que nous avons de plus humain, la chaleur, la relation, le sourire, est mis à mal par ce virus. Au supermarché, j’ai eu l’impression de ne croiser que des gens qui faisaient la gueule, alors que je connaissais presque tout le monde. Il n’en était rien, la bonne humeur était bien là, comme tous les jours, dans ce village apaisé et tranquille… Mais sourire sous un masque, c’est comme faire l’amour en combinaison de plongée : on ne ressent pas grand-chose, même pas sûr que l’autre soit au courant. 

Alors, cachés derrière nos masques, comme ça sera sans doute le cas longtemps encore, il va falloir apprendre à dire tous ces mots bleus, ces mots qu’on dit avec les yeux, comme le chantait Christophe, apprendre à sourire avec les yeux, et continuer à s’embrasser dans le cœur à défaut de pouvoir le faire avec le corps. 


A suivre...
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