En Savoie, chroniques d'un confinement d'en haut : Nouvelles connexions - 43e jour

Laurent Guillaume, présentateur du Magazine de la Montagne depuis plus de 20 ans, propose tous les jours ses "chroniques d’en haut" en attendant la fin du confinement. Il raconte avec authenticité et parfois humour le quotidien des habitants de sa vallée et évoque des souvenirs de tournages.

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C'est à Valloire, commune située en Maurienne (Savoie) que Laurent Guillaume passe cette période de confinement, dans un hameau perdu situé à 1 700 mètres au dessus de la station. Ici, l’isolement est dans la nature des choses. 

Si vous avez manqué les épisodes précédents (1er au 38e jour), cliquez ici

Après avoir passé la semaine dernière à marcher sur les chemins de Compostelle - rassurez-vous, sans bouger de la maison - le quotidien a lentement repris ses droits en cette septième semaine de confinement. Ici, dans ce hameau d’altitude perché à 1 700 mètres, la neige est remontée très haut sur les sommets environnants et les prés reverdissent plus franchement. Il aura fallu attendre fin avril pour voir les bourgeons éclater et les arbres reverdir. Les mélèzes commencent à peine à donner leurs nouvelles épines et les couleurs reviennent une à une. Il faut être patient… On le dit souvent. Mais là, jour après jour, j’ai pu constater que le rythme de la nature n’est pas toujours le mien. Une chose est sûre : on n’y peut rien. Et si le temps de la nature m’a paru long, je dois admettre que les jours, ici, sont passés bien plus vite que je ne le redoutais. La monotonie finalement salvatrice du quotidien ? Il s’est organisé sur des repères bien différents et les nouvelles connexions entre les gens qui vivent ici y sont pour beaucoup. 

On ne s’est jamais autant parlé…

Sept semaines que l’on travaille à distance, sans se voir, sans contact mais en se parlant tous les jours. Heureusement… Car l’isolement, dès lors qu’il n’est pas volontaire, rend encore plus dépendant aux contacts humains. On s’est tous surpris, avec l’équipe des programmes, à plaisanter entre nous et à se découvrir sous des angles qui nous étaient inconnus. J’aurai l’occasion d’y revenir d’ici la fin du confinement. Mais c’est encore plus flagrant dans mon village où l’on n’a jamais autant discuté ensemble. Non, inutile d’appeler la maréchaussée pour nous dénoncer : on se parle à trois mètres au moins, la plupart du temps lors des courses, ou de rue à jardin. Mais on se parle comme jamais. Et c’est véritablement précieux. 

On est quand même bien ici … loin des villes, au cul des vaches

C’est un effet étrange de ce confinement : les liens n’ont jamais été aussi serrés. L’impression peut-être de vivre la même chose au même moment et le sentiment d’avoir la chance de pouvoir passer cette sale période dans un environnement agréable, peut-être. Car la plupart des conversations commencent par "on est quand même bien ici". Et c’est vrai. Ce sentiment de vivre au-dessus des nuages et du monde d’en bas, mais surtout, loin des villes où se concentrent la quasi-totalité des problèmes de notre époque. Et en ce moment, ça saute aux yeux. Les habitants des villages de montagne ont toujours été conscients de la chance qu’ils avaient de vivre dans des lieux où l’existence est plus sereine… Même s’ils n’oublient pas que leurs aïeux, qui n’étaient toutefois pas malheureux, devaient faire face à des conditions de vie autrement plus difficiles. Belle revanche pour les ruraux que certains toisaient d’un peu trop haut, pensant qu’ils étaient juste bon à torcher le cul des vaches l’été et à tendre la perche l’hiver. Concernant le cul des vaches justement, nous avons eu, à plusieurs reprises, l’occasion d’aller donner la main à nos voisins fermiers qui ont dû faire face à quelques déconvenues. Jamais je n’aurais pensé m’attacher autant à ces bêtes-là. Les soigner, les câliner, voire les aider à partir comme nous avons eu, hélas, à le faire, est tout sauf quelque chose qui mérite le mépris de ceux qui ne savent pas ce que c’est. Concernant la perche : ces mêmes abrutis oublient que si personne ne l’avait jamais fait, ils ne connaitraient pas les joies du ski, bien difficile à organiser sur la butte Montmartre ou sur la colline de la Croix Rousse. J’ai souvent eu l’occasion de me dire que si vraiment il fallait fuir sur une île déserte après une catastrophe, mieux vaudrait partir avec un agriculteur pour bouffer, un prof d’histoire pour ne pas oublier et un médecin pour rester en vie. On pourrait en ajouter encore beaucoup à cette liste car on s’aperçoit vite que de nombreux métiers sont indispensables – beaucoup, sauf le mien, merde alors ! – mais ça ferait un peu trop de monde sur une île trop petite et qui, de fait, ne serait plus déserte.

Solidarité et morilles

Le plus frappant aura donc été de constater cette fameuse solidarité montagnarde, héritée d’un temps où chacun ne pouvait compter que sur lui-même, sa famille et les gens du village en cas de pépin. On m’a prêté une visseuse, un karcher, des pinceaux et de la lasure pour pouvoir bricoler un peu. On m’a proposé de récupérer du bois pour mon bûcher. On s’échange des gâteaux faits maison avec les fermiers qui nous donnent des œufs. La maman de mon boucher m’a cousu un masque à la main parce qu’elle savait que je n’en avais pas et moi, je n’ai que les mots de cette chronique à offrir en retour. Mais le plus dingue… vous n’allez pas le croire !
Un truc de Ouf !  J’ai hésité à vous le raconter, car malgré toutes les solidarités, les services et les bonnes intentions partagées en cette période inédite, malgré les mots gentils échangés avec les habitants du village sur cette chronique, jamais, vous m’entendez, jamais personne n’est allé jusque-là... Un secret plus précieux qu’un compte en Suisse, plus chaud qu’une photo volée de Kim Kardashian. Et le gars qui m’a fait cette révélation n’a pourtant rien d’un enfant de chœur facile à influencer : je tairai son nom de peur qu’il se prenne une vendetta de la part du village, mais ce grand gaillard à l’allure de bûcheron canadien, qui tient le télésiège des Verneys avec la poigne d’un patron de bistrot m’a littéralement scié quand il s’est arrêté devant ma terrasse pour me dire qu’il avait un problème. Et son problème, c’était un cas de conscience. Il hésitait. Ça a dû le travailler toute la nuit, mais ce matin-là, il était prêt. Il avait pesé le pour et le contre et se sentait sans doute suffisamment en harmonie avec la douceur de cette matinée de printemps pour lâcher le truc : ce matin-là, il m’a révélé où se trouve son coin à morilles ! 

Ce jour-là, je me suis senti intégré à la communauté Valloirinche comme jamais. Mais maintenant que je le sais : ne comptez pas sur moi pour vous dire où elles se trouvent. Faut pas déconner quand même !
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