Laurent Guillaume, présentateur du Magazine de la Montagne depuis plus de 20 ans, propose tous les jours ses "chroniques d’en haut" en attendant la fin du confinement. Il raconte avec authenticité et parfois humour le quotidien des habitants de sa vallée et porte un regard décalé sur l’actualité.
C’est à Valloire, commune située en Maurienne (Savoie) que Laurent Guillaume passe cette période de confinement, dans un hameau perdu situé à 1 700 mètres au dessus de la station. Ici, l’isolement est dans la nature des choses.
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Depuis l’annonce présidentielle et la certitude que rien ni personne ne bougera avant le 11 mai, chacun dans le village s’est résolu à cette routine, veillant à maintenir un peu d’activité, physique pour certains, méditative pour d’autres. Tous savent maintenant qu’il faudra encore vivre confinés pendant un bon mois, et la pilule reste encore coincée dans nombre de gosiers qui ont du mal à l’avaler. Une sorte de résignation semble toutefois prendre le dessus. Une chose est sûre : il n’y a plus rien à apprendre de vraiment nouveau dans les journaux, et encore moins sur les réseaux sociaux abandonnés aux rageux, qui profitent de l’ennui pour étaler leur haine et souvent leur médiocrité. Autant oublier ces dégazages intempestifs et revenir quand quelque chose de vraiment nouveau émergera de l’actualité. Voilà pourquoi ces prochains jours, ce sera l’occasion pour moi d’ouvrir le placard à archives de Chroniques d’en Haut.
L’une des plus étranges émissions dont je me souvienne est celle tournée sur la Côte Atlantique. C’est en écoutant le bruit du torrent qui gronde proche de chez moi que je me suis souvenu de ce jour-là, au sommet de la dune du Pyla, lors d’un tournage sur les « montagnes originales ». La plus haute dune d’Europe pouvait s’y prêter, mais je confesse volontiers qu’à l’époque, j’avais surtout très envie de tourner une émission hors de mon cadre habituel…
C’était à la fin de l’hiver, hors saison touristique. Le bruit de la houle régulière à marée basse est semblable à celui d’un torrent. L’océan et la montagne… Deux immensités antagonistes qui pourtant, ont presque tout en commun. Il suffit de fermer les yeux pour se transporter à 800 kilomètres des Alpes, sur les rivages de l’Atlantique. Et écoutez, respirez : et le torrent va se transformer en houle sauvage, essayez, ça marche !Ceux qui ont déjà gouté un bain d’eau de mer chargée d’écume connaissent l’ivresse de l’Océan. On parle aussi de l’ivresse de l’altitude.
L’Atlantique ne se donne pas facilement, pas plus que les sommets. Le rivage est désert pour celui qui s’échappe des zones de baignade surveillée. Là aussi, le prix à payer est celui du danger. Se baigner dans l’atlantique un jour de forte houle, c’est skier en poudreuse un lendemain de tempête. Car l’Océan ne pardonne pas. Pas plus que la montagne. Mais Dieu que c’est beau… La houle infranchissable des grandes journées de forte mer m’ensorcellera toujours. Comme les tempêtes de neige. Et me terrorise. Un paradoxe que je connais bien : l’attraction, la répulsion, la peur… et la fascination.La houle infranchissable des grandes journées de forte mer m’ensorcellera toujours. Comme les tempêtes de neige. Et me terrorise.
Ce jour-là, pour ce tournage pas comme les autres, la Grande Dune était déserte, et la mer, retirée au-delà des bancs de sable par les vives eaux des grandes marées, semblait plus lointaine encore. Je contemplai le vide. De part et d’autre de cette montagne de sable, la nature se livrait à une bataille de couleurs. Le bleu sombre de l’océan à l’horizon ouest, le vert de la forêt Landaise à l’est. Entre ces deux immensités monochromes : un ruban de sable blond marquait une frontière définitive. Je descendis vers la plage. Et j’attendis. Que la marée monte. Que les vagues s’élèvent sur le sable. Absorbé par l’intensité de l’instant, par l’image de ce paysage Atlantique. Le moindre banc de sable, la moindre anomalie dans l’enchainement des vagues, un flocon plus gros que les autres, un tourbillon de vent qui forme une congère : et tout devient l’exceptionnel que l’on se doit d’avoir remarqué, ici-bas, où là-haut.
La mer se rapprochait de moi. Les plus grosses vagues mangeaient peu à peu une plage lisse et stérile, un sable sans trace de pas. Personne, et le spectacle était si beau. Personne, et moi. J’ignorais si nos images suffiraient à vous raconter, un jour, la mélancolie d’une journée de houle sauvage face à l’Océan.
Le soleil penchait sur l’horizon, la mer était haute, la plage avait cédé sous les assauts des vagues pour se réfugier près des dunes. J’avais reculé avec elle.
A suivre...