En Savoie, chroniques d'un confinement d'en haut : la redescente

Laurent Guillaume, présentateur du Magazine de la Montagne depuis plus de 20 ans, propose tous les jours ses "chroniques d’en haut" en attendant la fin du confinement. Il raconte avec authenticité et parfois humour le quotidien des habitants de sa vallée et évoque des souvenirs de tournages.

C'est à Valloire, commune située en Maurienne (Savoie) que Laurent Guillaume passe cette période de confinement, dans un hameau perdu situé à 1 700 mètres au dessus de la station. Ici, l’isolement est dans la nature des choses. 

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Je m’attendais un peu à tout mais pas à ça : le temps de reprendre contact avec cette vie abandonnée depuis quasiment deux mois devait être une joie, une libération. Il s’avère que c’est plus complexe que ça. 

Ne pas rater l’atterrissage

Là-haut, nous avons vécu hors du temps et par-dessus les nuages noirs qui ont envahi les plaines et les villes. Ce temps qui nous paraissait insurmontable est finalement passé très vite, bien plus vite que n’importe quelle autre période occupée à courir… après le temps. Cet univers en vase clos, bercé par le calme et le bruit du torrent, les visites de nos compagnons à quatre pattes, et les matinées en audioconférence avec les collègues s’est avéré rassurant. Et si les premiers jours ont été difficiles, la suite s’est bien organisée dans un  quotidien ritualisé, rythmé par le télétravail, les audioconférences  et les occupations banales de la vie de tous les jours. C’était rassurant mais il va falloir redescendre. 

Redescendre n’est pas qu’une question d’altitude, c’est bien plus que cela. C’est un atterrissage qu’il ne faut pas rater, car tout ce qui s’est passé, les drames, le choc subi par le pays, son état sanitaire, social et surtout économique vont  inévitablement nous rattraper. Il faudra aussi se souvenir qu’on ne vit pas seulement de l’observation des animaux ou de la neige qui fond. L’apesanteur dans laquelle nous nous sentions finalement bien risque fort de devenir la pesanteur d’un nouveau quotidien, hanté par la crainte de contracter ce virus et les regards suspicieux de chacun vis-à-vis des autres, contaminateurs en puissance. 

Mes yeux pour regarder, mes oreilles pour écouter…la crise sanitaire, les voisins, la nature, le renard… et la solidarité

Sur la route du col du Télégraphe qui redescend dans la vallée, les sentiments et les images se brouillent. Souvenir des premiers jours… et de la sidération de tous devant la nouvelle du confinement qui venait de tomber, admirablement bien symbolisée par l’étrange obsession du papier toilette, comme si tout le monde au même moment avait compris que l’on allait en chier. Apprendre qu’on va rester enfermé chez soi des semaines durant provoquerait donc chez nos semblables l’angoisse du PQ. Mais face à une nouvelle aussi sidérante, chacun réagit avec ses tripes, ceci expliquant peut-être cela. Ces images de rayons de supermarchés dévalisés ont vite fait place à d’autres, autrement plus angoissantes : celles des hôpitaux à bout de souffle et des soignants éreintés, impuissants face à la vague qui emporte leurs certitudes mais qui n’aura jamais atteint leur courage et leur dévouement. Et chaque jour, la litanie du nombre de décès, et des courbes plus sinistres qui mettent en équation les indices sanitaires, commentées bien souvent comme les chiffres du CAC 40 à force de ne plus se rendre compte qu’elles parlent de deuils et de pleurs. 

D’autres images, plus souriantes, me reviennent en tête. Les voisins du hameau et leur gentillesse, les liens amicaux créés avec les Valloirins que je ne connaissais pas encore, et le renard qui semblait avoir lu Saint Exupéry tant il aurait voulu devenir mon ami. Et puis,  les chèvres de nos amis fermiers, la vache qu’on a voulu sauver, les jours de neige au printemps et le printemps en  hiver. Enfin, le ciel immensément bleu et l’absence totale de traces d’avions.
Pendant cette crise dont l’ampleur, il faut le reconnaitre, ne nous parvenait que par la télé, certains se sont révélés formidables. Des élans de solidarité incroyables, que nous avons essayé de relayer dans le petit journal des solidarités réalisé avec l’équipe des programmes en mode confinement plutôt qu’en studio et comme toujours, d’autres comportements pitoyables de haine ou de stupidité qui ne méritent pas une ligne. Rien de nouveau. 

Il y a eu ces silences dans les villes les plus vivantes, ces applaudissements à 20 heures, ces nouvelles façons de se voir de loin sur un téléphone ou un ordi, et, bizarrement, peut-être de mieux se connaitre. Il y a eu beaucoup de choses qui, peut-être, changeront l’avenir. Ou pas. Il y avait dans ma valise des trucs que je croyais indispensables et qui n’ont servi à rien pendant deux mois. Durant cette période, je n’ai eu besoin que de mon ordinateur pour travailler, de mon smartphone pour garder le contact avec les amis et la famille, d’une bonne paire de pompes, et d’un vêtement chaud. Mais surtout de mes yeux pour regarder et de mes oreilles pour écouter.

J’ai pris le temps de m’imprégner de cette montagne dont je parle depuis vingt ans

Jamais la montagne, dont je vous parle depuis plus de 20 ans dans Chroniques d’en Haut, ne m’avait paru si proche, si intime. Un peu comme si j’avais changé de focale, passant du plan large au plan serré. J’ai pu enfin m’approprier tout ce que je survolais sans avoir jamais eu le temps de m’en imprégner. Jamais la nature, dont on sait qu’elle est notre refuge ultime, ne l’aura été avec autant de vérité et d’évidence. En relisant les premières lignes écrites au début du confinement, je me demandais si la montagne, dont je parle avec passion depuis si longtemps me le rendrait ?

Elle me l’a rendu au centuple. Peut-être oserais-je dire que c’est ici et dans ce contexte si particulier que j’ai véritablement appris à l’aimer. Je la connaissais déjà bien. Je connaissais les montagnards auxquels je donne la parole depuis si longtemps, mais j’étais trop occupé à courir quand j’étais en tournage, pressé par le temps et les nécessités du métier, ou encore à randonner avec des amis, jamais seul. L’observer depuis chez moi pendant deux mois, avoir accompagné chaque crocus depuis sa difficile sortie de l’épaisse couche de neige jusqu’à son éclosion, avoir noué des relations familières avec le renard, le lièvre, et les oiseaux qui vivent ici : jamais je n’avais encore pu le faire avec autant d’assiduité. Car là-haut, on se sentait ailleurs. Et la redescente pourrait bien s’apparenter à un crash. Combien de temps faudra-t-il pour réapprendre la ville, le rythme quotidien, les embouteillages et la foule ? 

Retour à Lyon, le bruit assourdissant du silence…

L’arrivée à Lyon fût un choc. Déjà parce que mon petit carré de jardin ressemblait à un dessous de bras, aussi hirsute que nous après deux mois sans entretien. C’est vrai qu’ici, la nature ne se débrouille pas toute seule, contrairement à la montagne. Mais le plus étrange a été  de traverser la ville en ce samedi de temps estival. Les rues désertes, la circulation fluide, et le silence omniprésent. Quelques voitures roulent sans peine dans les artères habituellement les plus encombrées. L’air sent bon. Le printemps est vaillant, il semble même avoir devancé l’été. La Saône est claire. Même en plein mois d’août, même au cœur de la nuit, jamais je n’avais vu ma ville aussi calme. Un calme presqu’angoissant tant Lyon est faite pour vibrer de ses rumeurs, de ses terrasses, des senteurs qui s’échappent des restaurants, des conversations sur les marchés, et des bruits de pas dans les rues piétonnes. Rien. Le silence. Encore plus assourdissant lorsque le soir vient, et que la circulation s’arrête complètement. Le silence le plus absolu. Le ronronnement de la ville qu’on entend toujours au loin s’est éteint. Seule la lune perce la noirceur. Depuis la colline de Fourvière, on voit jusqu’à cent kilomètres à la ronde. Notre nouvel univers. Une autre page va s’ouvrir. 

Merci à vous qui avez suivi cette chronique depuis les premiers jours, votre présence a été précieuse, merci à celles et ceux qui m’ont aidé à la mettre en forme, à la publier, et à ceux qui l’ont inspirée. Merci aux Valloirins avec qui j’ai passé deux mois hors du temps, à mes voisins pour leurs coups de main, et à mon renard qui va maintenant se débrouiller tout seul.

A bientôt dans Chroniques d’en haut ! 
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