La saison du ski de fond est morte, vive celle du ski-roues ! Avec le printemps, la roulette supplante le fartage pour les amateurs de glisse. Mieux : avec le leader savoyard du ski d'été, Nordeex, la roue sait recréer les conditions de la glisse sur tapis blanc.
"Ciao Ludo, ça roule ?". En cette belle matinée ensoleillée, les adeptes de "rollers" et autres "skis-roues" ne manquent pas sur l'étroite piste asphaltée qui borde le lac du Bourget. Et s'ils sont nombreux à interpeller l'homme aux lunettes noires qui se tient, raide comme un i, aux abords de l'une des seules grandes boucles de la piste, c'est parce qu'ils reconnaissent un local de l'étape. Quelqu'un qui est pour beaucoup dans le plaisir qu'ils prennent à rouler de bon matin.
Ludo, ou plutôt Ludovic Puget, est, en effet, le patron de Nordeex, le leader français du ski roues. Une toute petite PME de Méry, à deux pas du lac. Sans bruit, depuis 2014, elle s'est installée au rang de leader français de sa spécialité.
"C'est un marché de niche", explique ludovic. "On vend environ 900 paires de ski-roues chaque année, dont 700 rien que pour le marché français." Une réussite certaine dans une discipline relativement confidentielle. Sur la vingtaine de marques qui se livrent concurrence au niveau mondial, Nordeex est loin d'être partie la première dans la course. Les Finlandais avec Marwe, les ex-pays du bloc de l'est, les Italiens étaient entrés sur le circuit des années avant.
"En fait, moi je suis un ancien "footeux" de l'Evian-Thonon-Gaillard, se souvient Ludovic. Après m'être reconverti dans l'industrie de l'instrumentation inox pour la chimie, le pétrole et le nucléaire, j'ai décidé à 40 ans de me mettre au ski de fond... à fond; je ne sais pas faire autrement. Et puis, fin 2014, je me retrouve ici, sur les bords du lac, avec un copain, responsable du foyer de ski de fond du Revard. C'est lui qui m'a dit : tu ne voudrais pas nous fabriquer la paire de ski-roues dont on a besoin pour s'entrainer à la belle saison ? On ne trouve pas ce que l'on veut sur le marché !"
Un cahier des charges de champions
Go ! C'était parti. Rapidement, l'équipe de France de ski de fond se rapprochait du tout nouveau constructeur. Un cahier des charges précis était établi. Et sept mois plus tard, la première paire siglée "Nordeex" sortait de l'usine de Méry.
"Un premier modèle assez basique, avec une planche en aluminium un peu copiée sur le leader du marché. Mais il répondait déjà aux principales attentes de nos champions, avec par exemple une visserie intégrée pour éviter les frottements au sol", se souvient Ludovic, entre deux coups d'oeil à son testeur de ski, en plein effort sur la piste des bords du lac.
"Alors, Louis, ça se passe comment avec ces nouveaux réglages ? Par rapport au point d'équilibre" ? interpelle Ludovic. "Pas de souci, répond le testeur. Quand tu pousses, ton pied reste bien à plat"!
"Aujourd'hui, c'est la première fois que je rechausse les skis-roues après la saison d'hiver, et je n'ai aucun problème d'adaptation", poursuit Louis Deschamps, ancien membre de l'équipe de France de ski de fond et actuellement entraineur de l'équipe de France B. "Avec les roues dures que Ludovic m’a montée, c’est comme si j’étais sur de la neige compacte, gelée, c’est vraiment rapide ! C’est tout l’intérêt du ski-roues. La saison d’hiver ne dure que cinq mois environ. Mais c’est dans le reste de l’année que se fait l’essentiel de l’entrainement physique. Alors, pouvoir, simplement en changeant de roue recréer les conditions de glisse sur les différents types de neige d'hiver, c’est vraiment essentiel" !
A chaque neige, sa roue
De retour dans son usine de Méry, Ludovic va se remettre au travail. A l’assemblage des 170 paires de ski-roues qu’il s’est engagé à livrer au 15 avril à tous les clients qui lui ont fait confiance l’an dernier, au moment de la première vague du Covid. Pour survivre à la crise, la jeune PME savoyarde n’a pas eu le choix. Finie la vente chez les revendeurs, fermés dans leur quasi-totalité. Vente en ligne obligatoire et, pour ne pas insulter l’avenir une idée originale : pré-vendre en ligne, à moins 40%, des paires de ski, livrables au printemps. De quoi assurer un minimum de fabrication, et faire rentrer de l’argent pour payer quelques taxes.
Une façon de rebondir. De s’adapter à la neige du moment, en quelque sorte. « Regardez la différence de rebond entre ces deux roues là ? » lance ludovic, roues en main. Une fois lâchées, l’une rebondira à trente centimètres de hauteur alors que l’autre lui reviendra d’où elle est partie : dans la main !
Prendre la roue des champions
"Cette roue qui rebondit à peine, il n’y a qu’un seul athlète l’ayant essayé qui en soit fan : c’est Martin Fourcade. Tous les autres faisaient un tour de piste et me demandaient énervés : démonte-moi ça. J’ai l’impression d’être sur une neige collée, comme dans les courses en Scandinavie ! Martin, lui, me disait : moi, j’adore. J’en bave, mais au moins, ça me fait bien travailler ! Et, selon vous, qui ensuite gagnait contre les norvégiens, les finlandais ? », conclut le boss, aussi railleur que rouleur, sourire aux lèvres.
Un bel hommage au champion des champions du biathlon tricolore. Un coup de chapeau que Ludovic rend d’autant plus volontiers que sa marque n’est pas sponsor officiel de Martin. Par contre, le patron ne renoncerait pour rien au monde, à ouvrir son « show-room », dédié à tous les champions de ski de fond ou de biathlon qui font, désormais, l’histoire de Nordeex.
Les Marie Dorin, Maurice Magnificat, Alexis Bœuf ; les équipes nationales : de France, bien sûr, mais aussi d'Italie, du Canada, d'Ukraine… chacun sous ses couleurs, avec ses jeux de roues, ses skis personnalisés. « Les athlètes de haut niveau veulent la perfection, c’est normal. Mais, je ne me fais pas trop d’illusion sur le fait qu’une fois sur leurs skis d’hiver, ils oublient vite leurs skis-roues ! »
100% français
Mais Ludo, comme on l’appelle sur les bords du lac, n’en reprend pas moins son travail d’assemblage. Les roues, venues du Jura, sont là ; les profilés en aluminium fabriqués, alésés dans le sud-ouest et peints à Albens en Savoie n’attendent plus que leurs roulements faits à Annecy et leurs vis produites à Sallanches : une autre caractéristique de cette PME, qui a depuis longtemps fait sienne la règle du : « pourquoi aller chercher à l’autre bout de la terre des sous-traitants bas de gamme, quand on a de bons fabricants chez soi ? »