Comment empêcher un groupe hispano-américain de fermer une usine de silicium en Savoie ? Après Florange en 2012, Whirlpool en 2017, les candidats à l'élection présidentielle 2022 planchent sur un nouveau sujet de politique industrielle: Ferropem.
Après Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Arnaud Montebourg, Valérie Pécresse s'est penchée sur le dossier cette semaine, en se rendant dans la vallée de la Tarentaise pour parler électro-métallurgie sur le site de Château-Feuillet.
Installé depuis 1928 à La Léchère, ce site est spécialisé dans la production de silicium et d'alliages aux débouchés multiples: sidérurgie, pièces automobiles, silicones et, potentiellement, panneaux photovoltaïques.
Le propriétaire de l'usine, Ferroglobe, a annoncé sa fermeture le 29 mars, avec 221 suppressions d'emplois à la clé. Officiellement pour "défaut de compétitivité" face à la chute des cours en 2019 et à la concurrence chinoise. Mais pour les syndicats, cette décision n'a rien à voir avec l'établissement savoyard: la flambée actuelle du silicium et ses équipements uniques en font, au contraire, "une mine d'or".
La fermeture, selon eux, s'explique avant tout par une restructuration financière des actifs de la multinationale, liée à sa pratique du "cash pooling" (remontée de la trésorerie entre la holding et ses filiales dont la française, Ferropem).
"Des actes"
En ces temps de campagne, le dossier cristallise le débat sur la désindustrialisation du pays. À juste titre, considère l'économiste Nadine Levratto, directrice de recherche au CNRS, car "il y a tous les ingrédients : aménagement du territoire, politique industrielle, transition écologique... C'est vraiment un cas d'école qu'on pourrait présenter à des étudiants".
Les syndicats ne boudent pas le défilé des aspirants à l'Élysée. "Par principe, ils disent ce qu'on a envie d'entendre mais faire parler de nous à travers eux dans les médias, c'est la seule chose qui nous reste pour sauver nos emplois", explique Roger Roelandts, délégué Force Ouvrière. "Un front commun sur le dossier Ferropem, ce serait pas négligeable", confirme son collègue de la CGT.
Tous les candidats passés par l'usine vouée à fermer crient au scandale face à l'importance "stratégique" du silicium. Tous défendent aussi la "souveraineté" industrielle française face à la Chine. Mais "après les paroles", les syndicats veulent "des actes" : les négociations du PSE doivent s'achever fin février, avant le scrutin présidentiel. "C'est maintenant qu'il faut agir", a lancé M. Roelandts, jeudi, à Valérie Pécresse.
Or, si le constat est unanime, les propositions divergent. Yannick Jadot, Anne Hidalgo et Arnaud Montebourg ont demandé la "nationalisation temporaire" du site, Jean-Luc Mélenchon prône sa "réquisition": "de fausses promesses", selon la candidate LR.
"Pompier"
Valérie Pécresse prône de conditionner les aides publiques accordées à Ferroglobe, pour ses autres sites, à une cession de l'usine savoyarde, afin de l'obliger à la vendre à un concurrent, alors que la "loi Florange" - adoptée en 2014 après le conflit Arcelor-Mittal - prévoit seulement la recherche d'un repreneur.
C'est, peu ou prou, la méthode du gouvernement. "Nous avons plusieurs solutions de reprise que nous allons essayer de faire arriver jusqu'au bout", a affirmé la ministre déléguée à l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, mercredi devant le Sénat.
L'État a déjà mis "plusieurs dizaines de millions d'euros" d'aides sur la table mais cela n'a pas suffi: si le groupe hispano-américain en a pris une partie pour pérenniser un site de 131 salariés qu'il comptait aussi fermer en Isère, celui de Savoie reste condamné.
"Il est désormais clair que Ferroglobe ne cherche nullement à trouver un terrain d'entente", estimait en novembre le candidat de LFI, Jean-Luc Mélenchon. "Notre salut ne peut venir que d'une décision politique car Ferroglobe ne reviendra pas sur la sienne", juge le délégué CGT, en regrettant que la nationalisation ne soit "pas dans l'ADN" du gouvernement.
Pour l'économiste Nadine Levratto, l'État "agit toujours en pompier" et "au cas par cas", une caractéristique de ces fermetures à répétition.
Ce-faisant, "on n'a que des visions parcellaires d'un problème vraiment global", estime cette spécialiste de l'industrie, pour qui les aides publiques devraient servir à structurer des filières plutôt qu'à réduire des coûts.