A Saint-Martin-de-Belleville (Savoie), une attaque de loup a causé la mort de 100 brebis dimanche 21 juillet. Les éleveurs s'inquiètent des déséquilibres économiques engendrés par ces attaques, alors qu'un arrêté ministériel vient d'augmenter le nombre de tirs de "prélèvement" autorisés.
Dans le fond de vallée des Combes, en Savoie, quatre attaques de loup ont déjà eu lieu cette année, dont la dernière et plus meurtrière remonte au dimanche 21 juillet. En surface du terrain escarpé où l'attaque a eu lieu, on aperçoit encore une vingtaine de cadavres. Mais c'est plus d'une centaine de brebis qui a péri ce jour-là, affolées par le prédateur.
"Elles se sont empilées les unes sur les autres et elles se sont étouffées, explique René Fréchoz, président de la FDSEA en Savoie. Comme il y en avait environ 1.000 en train d'arriver, les premières sont restées dessous et sont mortes." Le troupeau décimé appartient à plusieurs éleveurs de Lozère et du Mont-Ventoux. Son berger occupe l'alpage de la Case Blanche depuis 21 ans, et le préjudice subi remet en cause l'équilibre économique de son exploitation.
"Je ne suis pas pour l'éradication totale (du loup), mais je pose la question : « Comment peut-on faire pour cohabiter dans de telles conditions ? », se questionne Denis Pinard-Legry, éleveur et berger. Là c'est du harcèlement, on ne peut pas fonctionner comme ça. Je suis tout à fait reconnaissant des aides qu'on nous apporte, mais on atteint les limites du système."
Les "prélèvements" de loups sont presque doublés
Un système qui ne satisfait visiblement personne. Et ce n'est pas l'augmentation du nombre de loups pouvant être tués qui va arranger les choses entre syndicats d'éleveurs et associations de protection. "Ce n'est pas une satisfaction, on n'est pas là pour un nombre de loups tués. Si le loup ne nous embêtait pas, il ne nous dérangerait pas, estime René Fréchoz. On n'est pas contre le loup, on est contre le fait qu'il massacre nos troupeaux."
Ce 26 juillet, les ministères de l'Ecologie et de l'Agriculture ont en effet porté le maximum de loups à prélever en 2019 à 100 individus, soit presque le double de l'an passé.
Quatre associations luttant pour la protection de la nature comptent déposer un recours devant le Conseil d'Etat pour contester l'augmentation des tirs de "prélèvement" de loups. "Le pas de la régulation effective des populations de loup est franchie par l'Etat, déplore Marie-Paule de Thiersant, présidente de la LPO Auvergne-Rhône-Alpes. Il y a des raisons de penser que ça peut remettre en cause la survie de l'espèce chez nous."
En France, selon la DREAL, 52 loups auraient déjà été "détruits" au 1er août 2019. Sans compter 16 loups "retrouvés morts, de cause accidentelle, naturelle ou indéterminée".
Reste la question des 114 cadavres de brebis qui, depuis dix jours, se décomposent en pleine nature. Doit-on procéder à leur enlèvement et alors qui doit s'en charger ? C'est un autre point de tension entre éleveurs et services de l'Etat.
La viabilité de cette espèce protégée serait-elle remise en cause ?
Non, selon les pouvoirs publics qui, s'appuyant sur le dernier bilan ONCFS de juin 2019, estime que le seuil de viabilité démographique est désormais atteint. La population française aurait atteint le seuil d'environ 500 individus au sortir de l'hiver, contre 430 l'an passé.
Il s'agit bien sûr d'estimations.
Oui, pour les défenseurs de cette espèce protégée, comme l'association ASPAS. Le journal Le Monde rappelle en effet que le seuil de viabilité génétique est loin d'être atteint.
Ce seuil, génétique et pas seulement démographique, représente l'aptitude à « s’adapter à des conditions d’environnement changeantes à l’échelle des temps évolutifs », soit dans 50 à 100 ans.
Selon une expertise scientifique internationale menée sur ce sujet en 2017, "un effectif de 2500 à 5000 individus adultes constitue le minimum nécessaire" pour une viabilité de l'espèce à long terme.
Les prélèvements de loups font-ils baisser les dégâts sur les troupeaux ?
Dans leur conclusion, les auteurs de ce rapport, ONCFS et Muséum d'Histoire Naturelle, rappellent que "des travaux récents en écologie de la faune et en sciences sociales suggèrent que les méthodes non létales pour réduire les dégâts sur les troupeaux seraient plus efficaces et plus justifiables que les tirs de prédateurs".
D'autant plus que la relation de cause à effet entre nombre de loups tués et baisse de dégâts sur les troupeaux n'est toujours pas clairement établie.
Comme le dit le rapport :"la courte expérience française, qui concerne actuellement 3 années de prélèvements plus conséquents qu’auparavant, n’autorise pas, en l’état et dans le cadre de cette expertise collective, de démarche analytique poussée pour vérifier localement une telle relation de cause à effet."