Le bouquetin, espèce protégée en France, peut être chassé dans le canton du Valais, en Suisse. Un loisir coûteux, consistant à abattre de vieux mâles que les autorités comptaient éliminer de toute façon pour réguler la population.
C'est un luxe réservé aux riches étrangers. Dans les Alpes suisses, quelques chasseurs fortunés sont autorisés chaque année à éliminer des bouquetins mâles vieillissants moyennant une taxe variant selon la longueur des cornes. Des animaux que les autorités veulent de toute façon éliminer pour réguler cette espèce.
Mais dans le canton du Valais, frontalier avec la Haute-Savoie, cette pratique fait polémique depuis qu'un reportage de la RTS l'a mis en lumière. On y voit notamment la célèbre chasseuse américaine Olivia Opre, qui parcourt le monde à la recherche de trophées, abattre un puissant bouquetin qui s'effondre dans la neige immaculée de la montagne.
A votre avis, combien une chasseuse américaine est-elle prête à débourser pour traquer un bouquetin dans les Alpes suisses ? Réponse dans la vidéo... @oliviaopre #chasse #miseaupoint pic.twitter.com/YT24iCG6x3
— Mise au Point (@miseaupoint) November 3, 2019
Elle s'avance ensuite vers l'animal mort, tapote son cou et s'exclame : "Il est si gros, si fort !" La traque lui a coûté 20 000 francs suisses, soit plus de 18 000 euros, ce qui rapporte plusieurs centaines de milliers de francs par année au Valais. "Pour moi, en tant que chasseuse, c'est plus que la traque d'un animal. C'est une expérience culturelle", raconte-t-elle à nos confrères au sujet de la chasse aux bouquetins qui, pendant des années, n'a guère suscité de polémique. Mais le débat devient passionné.
Des citoyens ont notamment lancé une pétition qui a réuni près de 75 000 signatures en deux mois pour dénoncer cette "chasse honteuse" en Valais, seule région à autoriser les étrangers à venir chasser le bouquetin. Le parlement régional doit aussi s'emparer du sujet.
Ethiquement "très discutable"
En Valais, les chasseurs et les autorités assurent que la régulation humaine des bouquetins a permis de faire progresser sa population. Mais pour Jérémy Savioz, qui dirige la section cantonale de l'organisation Pro Natura, cette pratique est "très discutable d'un point de vue éthique".
Après avoir disparu des Alpes suisses au XIXe siècle, victimes de la chasse, les bouquetins ont été réintroduits au début du XXe siècle en Suisse et sont désormais environ 17 000.
Dans le canton du Valais, ils étaient 5 240 bouquetins fin 2018, contre 3 500 quinze ans auparavant. Les autorités en autorisent l'abattage de 300 à 400 chaque année. Ces tirs sont "motivés par des raisons à la fois biologiques et de régulation de la faune et du cheptel", a expliqué le Département du territoire et de l'environnement du Valais.
Les bouquetins des deux sexes et de tous les groupes d'âges peuvent être abattus, mais les mâles de plus de 11 ans sont ceux qui sont généralement offerts aux chasseurs de trophées. Soixante d'entre eux ont été tués en 2018.
Destinés à mourir
Narcisse Seppey, qui dirigeait le service de la faune en Valais lors de l'introduction de la chasse aux trophées dans les années 1980, explique que les animaux les plus âgés sont inscrits sur la liste des individus à abattre dès lors qu'ils commencent à paraître plus faibles ou malades.
"C'est des animaux qui vont en principe périr l'hiver suivant", déclare-t-il depuis son musée personnel à Vex, qui regorge de trophées de chasse. La liste est validée par les autorités fédérales et les chasseurs de trophée doivent parfois attendre plusieurs années avant d'obtenir le droit d'abattre un animal, a-t-il souligné.
Des agences de voyage spécialisées proposent ensuite à ces personnes de venir chasser le bouquetin guidés par des gardes-faune chargés de débusquer les animaux qu'il est possible d'abattre. "Qu'est-ce qu'est plus intelligent : pousser les gens à aller braconner", s'est interrogé Narcisse Seppey. Ou faire revenir cet argent "à l'Etat ?", a-t-il demandé.
"On risque de perturber le système d'accouplement"
Mais les défenseurs des animaux remettent en question la nécessité de réglementer la population de bouquetins, jugeant que ces animaux causent fort peu de dommages aux cultures et à la forêt. Ils s'inquiètent en particulier du fait que les chasseurs de trophées ciblent les vieux mâles avec qui les femelles préfèrent s'accoupler, leurs longues cornes étant un signe de leur supériorité génétique.
"Si on élimine systématiquement les vieux mâles, on risque de perturber le système d'accouplement" de l'espèce, estime Raphaël Arlettaz, biologiste à l'Université de Berne, reconnaissant ne pas avoir de preuve scientifique sur le sujet.
Les chasseurs du Valais affirment aussi que les mâles d'un certain âge ont un rôle à jouer dans la reproduction de l'espèce. Mais passés les 12 ans, "ils sont trop âgés pour le rut", a assuré le président de la Fédération valaisanne des sociétés de chasse, Daniel Kalbermatter, qui se dit favorable aux safaris de chasse car ils rapportent des revenus supplémentaires au canton.
Mais "ce n'est pas vraiment de la chasse", a-t-il reconnu, car les bouquetins, également appelés les rois des Alpes, sont beaucoup trop faciles à approcher, contrairement aux chamois ou aux cerfs.