Plus de 200 patients viennent de porter plainte contre le groupe Philips. Malgré les alertes, la multinationale est soupçonnée d'avoir continué à utiliser une mousse potentiellement cancérigène pour équiper ses respirateurs, des appareils utilisés contre l'apnée du sommeil. Un habitant de l'Ain fait partie des plaignants. Il témoigne du "cauchemar" qu'il dit avoir vécu lors de l'utilisation du respirateur défectueux.
217 personnes ont déposé une plainte ce jeudi 15 juin, dont trois pour homicide involontaire, dans le dossier des appareils respiratoires pour l'apnée du sommeil défectueux du groupe Philips. Ce nombre de patients a été révélé par la cellule investigation de Radio France.
Cette plainte vise des infractions de "tromperie, mise en danger de la vie d'autrui, pratiques commerciales trompeuses et administration de substances nuisibles", a indiqué l’avocat des parties civiles, Christophe Lèguevaques. Il y a une procédure au au civil pour préjudice d’anxiété et une procédure au pénal pour préjudice corporel et moral.
En cause : une mousse insonorisante. Philips a remarqué que des particules sortaient de certains appareils et pouvaient être inhalées ou ingérées par le patient. Le groupe avait évoqué un risque "potentiel" de cancers à long terme. Mais en décembre 2022, Philips a assuré que, selon des tests approfondis, les appareils étaient "dans les limites de sécurité". En janvier, la justice a ordonné à Philips France de communiquer un document portant sur ses appareils respiratoires, réclamé par des représentants de malades indique l'AFP.
“Aujourd’hui c’est le pot de fer contre le pot de terre”
Parmi ces malades et ces 217 patients ayant porté plainte figure David Gangarossa, habitant de Vaux-en-Bugey dans l’Ain. Il souffre de sévères apnées du sommeil. “Je faisais 46 apnées par heure en moyenne de 36 secondes et d'1min20 en hypo-apnée. Résultat, le matin, je me réveillais avec des maux de tête et une forte toux”, se souvient David Gangarossa, 45 ans, qui risquait - sans appareillage - de faire un AVC ou une rupture de l’aorte.
Son cardiologue lui conseille alors de s’équiper d’un respirateur. “Au début tout allait bien. Mais la mousse se détériore au fil du temps et au bout d’un mois et demi j’ai fait le lien entre l’appareil et mes rhinites à répétition, les picotements dans la gorge, le nez bouché et beaucoup de fatigue”, se souvient l’ingénieur d'affaires.
Le 8 janvier 2022, il découvre "l’affaire de ces respirateurs" au journal télévisé. “J'ai tout de suite écrit à mon prestataire qui me fournit l’appareil Philips. Mais c’est silence radio”, raconte David qui aura enfin une réponse après avoir informé le prestataire de sa volonté de porter plainte. Mais il faudra encore attendre 2 mois avant de réceptionner le nouvel appareil.
J'étais obligé d’utiliser cet appareil défectueux le temps que le nouveau arrive. J’étais vraiment anxieux d’inhaler ces particules dangereuses.
David Gangarossa, utilisateur d'un respirateur PhilipsFrance 3 Rhône-Alpes
“L’appareil porte bien mal son nom. Il est baptisé Dream Station, c’est soi-disant votre meilleur ami pour dormir mais c’était un vrai cauchemar”. Aujourd'hui, David a un nouvel appareil, lui aussi issu de l’entreprise Philips. Malgré ses doutes envers la marque, David Gangarossa nous explique ne pas avoir eu le choix du modèle auprès de son prestataire.
“Aujourd’hui c’est le pot de fer contre le pot de terre. Tout le monde a gardé le silence. J’aimerais que Philips fasse toute la lumière et reconnaisse ses torts”, insiste celui qui a respiré un an et demi via l’appareil Philips.
Philips veut restaurer la confiance
Le fabricant Philips a assuré à l'AFP "mettre tout en œuvre pour restaurer la confiance avec toutes les parties prenantes" et qu'il continuera "à travailler en étroite collaboration avec les autorités compétentes".
Le groupe indique dans une déclaration écrite avoir, à fin avril 2023, "expédié à ses clients français une quantité totale d'appareils remédiés représentant 98% des appareils concernés, par le rappel et éligibles à la remédiation".
En avril, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avait annoncé avoir saisi la justice au sujet de lacunes dans le remplacement des appareils par Philips, qui s'y était engagé.
Des rapports réalisés par Philips sur des machines éteintes ?
“Le secret des affaires permet de ne pas répondre aux parties civiles que nous sommes mais devant le juge pénal, il faudra bien qu’ils fassent toute la lumière sur cette affaire”, explique l'avocat Christophe Lèguevaques.
Il ajoute : “C’est aussi la raison pour laquelle nous espérons que le parquet va ouvrir une information judiciaire et qu’un juge d'instruction va être désigné”, pour permettre la levée du secret des affaires.
Pour lui aucun doute, l’entreprise a menti. “ Philips a produit des rapports en disant 'ces rapports prouvent que les produits utilisés ne sont pas cancérigènes' et quand notre toxicologue va voir les rapports, il constate qu'ils ont été faits sur des machines éteintes. Autrement dit, comme les appareils ne fonctionnaient pas, il n’était pas possible de capter les fameux composés organiques volatiles”, insiste l’avocat.
Un rappel massif d’appareils
En 2021, Philips avait annoncé un rappel massif de plus de cinq millions d’appareils respiratoires pour l'apnée du sommeil. En France, ils sont utilisés par 350 000 patients et 1,5 million en Europe. Dans le rouge en 2022, le groupe avait annoncé la suppression de 10 000 postes au total dans le monde à la suite de ce rappel, et a annoncé en avril avoir mis de côté 575 millions d'euros supplémentaires pour faire face à des poursuites judiciaires aux Etats-Unis selon l'AFP.