Combien de milliards d’euros vont être sabrés dans le budget de la Défense ? Deux, trois milliards? On parle de la perte d’une annuité budgétaire, environ 30 milliards et de 50 000 emplois, sur sept ans, entre 2013 et 2020. La Bretagne sera-t-elle épargnée ?
Le blog Secret Défense évoque une proposition de 28 milliards d’euros présentée par le ministère du Budget en décembre, contre 31,4 milliards prévus en 2013. Ce qui ferait une baisse de 11%, et impliquerait selon les armées une coupe de 50.000 personnes dans les effectifs. Un niveau de coupe de 11%, s’il se confirme, mettrait à mal la thèse de François Hollande et Jean-Yves Le Drian que la défense participe à l’effort de désendettement, "ni plus, ni moins" que les autres.
Jean-Yves le Drian a toujours dit que la défense serait touchée en proportion des efforts consentis par les autres ministères, pas davantage. Sauf qu'aujourd'hui, les deux projections sont désastreuses pour la première, apocalyptiques pour la seconde. Le 19 janvier dernier, le ministre de la Défense a rappelé sur France 3 Bretagne qu'il y avait beaucoup d'implantations militaires très diversifiées en Bretagne: " je crois qu'il n'y a pas beaucoup d'inquiétudes à avoir par rapport aux choix [qui seront faits] en Bretagne ".
"Une situation inquiétante"
Pour Philippe Paul, maire UMP de Douarnenez et officier de réserve pour l’armée de l’air, qui fait partie de la commission des affaires étrangères au Sénat, la situation est "très inquiétante" : "on sait combien, depuis des années, nos armées sont obligées de bricoler, d’économiser sur le matériel. Aujourd'hui, ils en sont à vérifier les jauges de fioul dans chaque navire pour voir si on peut les transvaser ailleurs." Quand on demande à un observateur coutumier de ces questions militaires, si les sites de l'Armée en Bretagne seront épargnés, parce que le Ministre de la défense est breton, il est très clair : "vu la personnalité du ministre, on peut s'attendre à une totale impartialité dans sa décision".
En clair, il n'y aura pas de différence de traitement entre les régions. Il faut dire que le ministère a très peu de marge de manoeuvre, s'il veut faire des économies. Il sera difficile de toucher aux effectifs surtout de façon immédiate, dans la mesure où une majorité des militaires sont sous contrat de 5 ans. Ce même observateur explique qu'il sera très difficile de toucher aux écoles de formation initiale en Bretagne, comme la Navale et St Cyr, "si on porte atteinte à la formation, on hypothèque sur l'avenir".
"Un coup dur pour Brest"
C'est ce que pense Marguerite Lamour, maire de Ploudalmezeau et membre de la commission de la Défense de 2007 à 2012. "Le président Hollande ne tient pas sa promesse 60, c'est ça qui est détestable" dit-elle. Elle ajoute "Je mesure combien pour les Brestois la défense militaire est essentielle. Il n 'y a pas une famille dans le pays de Brest qui ne soit concernée de près ou de loin par le secteur : que ce soit des salariés de la sous-traitance (Thales , DCNS...) ou des militaires. Je trouve que c'est un coup dur." Selon elle, il est certain que le pays doive faire des économies mais "le budget de la défense doit rester une priorité, il ne doit pas être une variable d'ajustement."
Elle précise que 7 chefs d'entreprises du secteur militaire ont écrit au Président de la République pour lui demander une audience car si les prévisions annoncées s'avèrent concrètes, elles pourraient contribuer à "la destruction d'une filière".
De jeunes officiers se rebellent
Normalement soumis au devoir de réserve, une dizaine de lieutenants de l'armée française publient, sous couvert d'anonymat, une tribune sur francetv info. Ils interpellent l'opinion publique sur le budget de l'armée et dénoncent sa mauvaise répartition. "A l’heure où l’on demande à la Patrie des sacrifices financiers pour essayer de ralentir la faillite de l’Etat, à l’heure où l’armée française au Mali, pour la première fois depuis des décennies, défend à la fois les intérêts économiques de la France, les valeurs universelles de notre Patrie ... aujourd’hui, l’armée française est menacée de déclin" écrivent-ils.
Il faut "occuper" les officiers, trop nombreux...
"Aujourd’hui dans cette armée, 5 500 généraux qui devraient être à la retraite sont artificiellement maintenus en activité dans un statut appelé la "2e section. Dans le même temps, des dizaines de milliers d’emplois de militaires du rang et de sous-officiers sont supprimés. Aujourd’hui, trop d’officiers sont toujours recrutés, alors que, déjà, des centaines de colonels n’ont pas de commandement. Pour les occuper avant leur retraite (où ils partiront travailler dans le secteur privé, après que leur sera versée une juteuse prime de départ), ces officiers supérieurs sont remisés à des postes administratifs qui deviennent autant d’obstacles bureaucratiques à l’efficacité opérationnelle."
Ils proposent cinq mesures pour lancer le signal d’un redressement qui pourra préserver la place de la France dans le monde, ses intérêts et ses valeurs universelles, dont la création d’une commission parlementaire de révision des primes et indemnités des militaires, le maintien de tous les postes de militaires du rang et de sous-officiers qui s’apprêtent à être supprimés et la diminution du nombre d’officiers.
Les deux hypothèses évoquées
Hypothèse Y
Il s'agirait pour la défense de continuer à faire tout ce qu'elle fait aujourd'hui, mais avec moins de personnels et de moyens. Elle impliquerait la perte de 30 000 emplois dans les armées et de 15 000 autres dans l'industrie de défense. Dans ce schéma, toutes les armées y laisseraient des plumes. Hypothèse déjà considérée comme inacceptable par Jean-Yves Le Drian.
Hypothèse Z
L'hypothèse Z est celle que défend Bercy. Cette éventualité implique en effet 50 000 suppressions d'emploi dans les armées (c'est l'effectif total de l'armée de l'air) et autant dans l'industrie de défense. Cette hypothèse envisagerait de vendre le porte-avions Charles de Gaulle au Brésil ou à l'Inde. Ces choix budgétaires consisteraient à ramener d'ici quelques années le budget de la défense d'environ 30 milliards à 20 milliards, à faire passer la part de la richesse nationale consacrée aux armées de 1,5 % du PIB à 1,1 %.