La France a violé la liberté d'expression en condamnant pour offense à Nicolas Sarkozy Hervé Eon, l'homme qui avait brandi en 2008 une affichette "Casse toi pov'con" lors d'une visite présidentielle à Laval, a estimé jeudi la Cour européenne des droits de l'Homme.
La cour a jugé "disproportionné" le recours à une sanction pénale, qui risque selon elle d'avoir "un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des question d'intérêt général".Hervé Eon, un militant de gauche, qui réside aujourd'hui en Ille-et-Vilaine, avait détourné l'invective lancée, quelques mois plus tôt par Nicolas Sarkozy lui-même à un visiteur du Salon de l'agriculture qui refusait de lui serrer la main. Au-delà de la question de l'opportunité des poursuites intentées par le procureur de Laval à l'encontre d'Hervé Eon, les juges de Strasbourg se sont donc prononcés sur la légitimité du délit "d'offense au chef de l'Etat", inscrit dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse et passible de 45.000 euros d'amende. Une victoire pour l'avocate de Hervé Eon, Me Dominique Noguères, qui y voyait elle aussi une question de principe. "Même si la condamnation a été très légère, il est ahurissant que ce monsieur ait été arrêté et poursuivi en justice pour offense au chef de l'Etat. Le nom du président de la République n'était même pas cité", sur la pancarte litigieuse, rappelle l'avocate. En 2008, à Laval, le tribunal avait opté pour une peine "de principe" de trente euros avec sursis, un choix confirmé en appel.
Un précédent
Les juges de Strasbourg avaient déjà poussé la France à abroger en 2004 un délit similaire, celui "d'offense à chef de l'Etat étranger". Dans un arrêt de 2002 concernant le quotidien Le Monde, ils avaient en effet estimé qu'il revenait "à conférer aux chefs d'Etats étrangers un privilège exorbitant", car leur seul statut leur permettait de se soustraire à la critique.
Un argument repris par les détracteurs du délit d'offense au chef de l'Etat, qui y voient une survivance du crime de lèse-majesté et ont tenté à plusieurs reprises de l'abroger, au Sénat et à l'Assemblée nationale.