Décembre 2013: Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, signe à Rennes le Pacte d'avenir pour la Bretagne, censé relancer l'économie dans une région en pleine tourmente. Un an plus tard, ce pacte a répondu à l'urgence et accéléré des projets mais des pans entiers de l'économie bretonne restent fragiles.
Conformément à la promesse de son prédécesseur, Manuel Valls revient en Bretagne, les 18 et 19 décembre, pour faire le point, douze mois après. En 2013, la région est sonnée: restructurations dans les télécoms, l'automobile et l'agroalimentaire... Des milliers de suppressions d'emplois... Un séisme industriel et social qui alimente la colère des Bonnets rouges contre le projet d'écotaxe.
2 milliards d'euros pour le Pacte d'Avenir
La préparation du document avec les principaux acteurs régionaux - économiques, sociaux et collectivités - se déroule dans un contexte électrique. D'un montant de 2 milliards d'euros, il s'articule autour de trois axes: soutien d'urgence aux salariés licenciés, plan d'aide à l'agriculture et l'agroalimentaire et mesures en faveur de l'aménagement du territoire, de l'enseignement supérieur, de la pêche et de la culture. "A un moment où l'argent public est très rare, le Pacte d'avenir a permis d'avoir les crédits dont nous avons besoin. Ce n'est pas le cas partout", estime le préfet de Bretagne, Patrick Strzoda, son maître d'oeuvre.
Selon lui, 350 millions d'euros ont été mobilisés, pour la seule année 2014, pour les salariés licenciés, les filières sinistrées et les exploitations agricoles, ou pour lutter contre la précarité énergétique. Sur les quelque 700 salariés de l'abattoir de porcs Gad, à Lampaul-Guimiliau (Finistère) rentrés dans un dispositif d'accompagnement renforcé après sa fermeture, 48% ont "trouvé une solution durable": emploi ou formation débouchant "sur un emploi quasiment identifié", affirme le préfet.
L'agriculture et l'agroalimentaire au coeur du Pacte d'Avenir
Le plus important volet du pacte est un plan d'un milliard d'euros pour l'agriculture et surtout, l'agroalimentaire, un tiers des emplois industriels bretons. En dresser un bilan est prématuré car sa mise en oeuvre est toujours en cours. Mais l'électrochoc vécu par des milliers d'agriculteurs et de salariés de l'agroalimentaire a débouché sur une "volonté collective de sortir par le haut" de la crise, salue le président (PS) de la région, Pierrick Massiot.
Objectifs: réorienter l'agroalimentaire vers une industrie à plus forte valeur ajoutée, gagner en compétitivité, moderniser les outils de production, former les salariés et être performant à la vente.
368 milliards de fonds européens pour l'agriculture
La Bretagne a obtenu 368 millions d'euros de fonds européens pour le développement rural (Feader), sur 2015-2020, contre 170 millions d'euros auparavant. L'État et les collectivités devant mettre la même somme sur la table, "nous aurons environ 700 millions d'euros de fonds publics qui vont venir irriguer toute l'agriculture et l'agroalimentaire", souligne le président de la région, soit, selon lui, un effet de levier d'environ 1,4 milliard d'euros en terme d'investissements privés.
Des filières agricoles et industrielles fragiles
Reste que "la filière volailles n'est pas encore entièrement stabilisée, la filière porcine est encore fragile, la filière légumière souffre de l'embargo russe", décrété début août en réponse aux sanctions occidentales contre Moscou dans le cadre de la crise ukrainienne, admet le préfet. "Il y a aussi des fragilités dans la filière automobile", notamment dans l'usine rennaise de PSA.
Dans la filière agroalimentaire, "nous traînons des problèmes de rentabilité structurels dont les causes remontent à 10-15 ans, par manque d'investissement, par mauvaise appréciation de la concurrence sur les marchés internationaux, par perte aussi de marchés domestiques, que nous devons reconquérir", ajoute Pierrick Massiot.
"Retour ou non de la confiance"
"Ce qui est important, c'est que le Pacte d'avenir a permis de retourner une tendance pour renouer avec la confiance et dresser des perspectives", assure néanmoins le préfet. Le dialogue social, relancé, a permis dans l'agroalimentaire "d'essayer d'imaginer et anticiper les évolutions des entreprises et des métiers pour pouvoir adapter les salariés à l'avenir", renchérit Jean-Bernard Solliec, vice-président de l'association bretonne des entreprises agroalimentaires.
"La Bretagne était un peu en désespérance vis-à-vis de l'État et de l'Europe, et le fait d'avoir eu le privilège régional d'avoir un Pacte d'avenir (...) a permis de faire la soudure, de rétablir la confiance" au moment où devaient s'enchaîner deux contrats de plan, considère Maurice Baslé, économiste et professeur à l'université de Bretagne Sud.
S'il se félicite que les fils du dialogue soient renoués, Jacques Jaouen, président de la chambre d'agriculture de Bretagne, prévient toutefois que, sur le terrain, "la confiance n'est pas revenue". "On a oublié de s'occuper des agriculteurs, certains d'entre eux le paient cash".
A Lampaul, de source proche du dossier Gad, 200 ex-salariés de l'abattoir de porcs n'ont trouvé ni emploi, ni formation. En outre, début décembre, plus d'une centaine de salariés de l'abattoir de volailles Tilly-Sabco ont perdu leur emploi après sa reprise par un consortium franco-britannique.
Absence d'une régionalisation
Même s'il considère que "sur le plan conjoncturel, la situation s'est plutôt stabilisée voire même, légèrement améliorée", Romain Pasquier, directeur de recherches au CNRS estime que le pacte pêche par l'absence d'une régionalisation. "L'avenir doit partir des réalités locales, régionales. Pour cela, il faut des politiques régionales fortes, portées par des responsables politiques forts, à cette échelle", poursuit-il. "Ce n'est pas sûr que c'est avec plus d'argent qu'on fera mieux en Bretagne".
Une coquille vide ou juste des promesses
Les détracteurs du pacte soulignent en outre que de nombreux montants étaient déjà prévus dans le cadre du contrat de plan État-région. "Le pacte est une coquille vide, c'est de l'enfumage permanent", clame le maire DVG de Carhaix, Christian Troadec, leader des Bonnets rouges, défenseur de la régionalisation. "On veut un vrai pouvoir décidant de l'avenir de la Bretagne". Et pour la porte-parole de la droite à la Région, Bernadette Malgorn, ce pacte "est toujours à l'état de promesse et n'a pas relancé une dynamique propre à donner un nouvel avenir à la Bretagne".