Le confinement va-t-il nous faire perdre la boule ? Entretien avec un chercheur de Rennes

Troubles du sommeil, ruée sur certains produits, la pandémie de Covid-19 et le confinement ont des effets sur nos comportements. Jocelyn Raude, maître de conférence en psychologie sociale à l’EHESP de Rennes, participe à une enquête décortiquant nos réactions face à cette situation.
 

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Jocelyn Raude est maître de conférence en psychologie sociale à l’EHESP de Rennes (école des hautes études en santé publique) et chercheur à l’unité de virus émergent de Marseille. Depuis le 27 mars, il travaille sur l’étude, Coconel, analysant les ressentis et les changements de comportements des Français face à la pandémie de Covid-19 et au confinement. Chaque semaine un échantillon d’un millier de personnes est interrogé par l’IFOP. Leurs réponses sont ensuite décortiquées par un consortium de chercheurs. Jocelyn Raude nous livre ses premières réflexions.
 
  • Que pouvez-vous dire sur l’état d'anxiété des Français en cette période de pandémie et de confinement ?


L’anxiété était très forte au début de l’épidémie. Puis au début du confinement, le niveau d’anxiété a doublé dans la population ( NDLR : ces résultats sont établis en comparant avec une étude similaire réalisée en 2017) . Maintenant, on constate une baisse significative de l’inquiétude. C’est assez classique.
Sur le plan psychologique, ce qui génère le plus d’inquiétude, c’est d’une part l’inconnu, l’incertitude. On a peur de ce qu’on ne connaît pas et d’autre part la difficulté à contrôler les risques. Sur les maladies respiratoires, c’est quelque chose d’invisible, qui peut être disséminé dans l’air facilement et ça, c’est extrêmement anxiogène. Maintenant il y a un phénomène d’accoutumance, le niveau d’anxiété baisse dans le temps, mais il est toujours supérieur à celui qui était observé avant la crise.
 
  • C’est bizarre que l’anxiété baisse car ce confinement est pesant ?


Il ne faut pas confondre l’anxiété avec la lassitude. Il n’est pas impossible que le niveau d’anxiété remonte dans l’avenir car l’isolement et la quarantaine conduisent à des épisodes dépressifs, des sentiments de colère, de frustration et de désespoir. Donc on risque des effets pervers très importants sur la santé mentale sur le long terme.
 
  • L’étude montre que 74% de la population souffre de troubles du sommeil après deux semaines de confinement. Le chiffre en temps normal avoisine les 45%. Plus d’un tiers (37%) des personnes interrogées présente des signes de détresse psychologique. Qu’en dites-vous ?


On va vers une augmentation des troubles de santé mentale et notamment des dépressions. On sait que l’isolement est propice à l’apparition de détresse psychologique.
On s’attendait à ce que les gens qui travaillent à l’extérieur soient les plus anxieux, car ils sont plus exposés au virus et ce n’est pas du tout ce qu’on observe. On observe que les chômeurs et les gens sans emploi sont les plus anxieux. Ça renvoie à une dimension socio-économique peu considérée actuellement. Les gens anticipent déjà qu’il y aura une crise économique majeure avec fermeture d’usine, pertes d’emplois… (NDLR : l’étude montre que 55% des personnes ayant les plus bas revenus souffrent de détresse psychologique, contre 22% des plus aisés. La taille du logement représente un élément déterminant également).
 
  • 78 % des hommes entre 18 et 35 ans se plaignent de troubles du sommeil (25 points de plus par rapport à l’étude de 2017). C’est donc chez les très jeunes hommes que la prévalence est la plus forte. Comment l’expliquez-vous ?


Les boulots que peuvent avoir les jeunes hommes, sont le plus impactés. Ce sont les boulots de livreur, du bâtiment… Tandis que ça recrute toujours dans l’aide à la personne, le soin qui sont des boulots féminisés. Et puis les jeunes hommes ont beaucoup d’interactions sociales en temps normal. Enfin, on peut noter qu’il y a plus de jeunes femmes étudiantes que d’hommes (55% de filles contre 45 % de garçons, en 2018 selon les chiffres du ministère de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation).
 
  • La population approuve-t-elle ce confinement ?


Ça a été une grande surprise. Il a été approuvé à 90% dès la première semaine, aujourd’hui on tombe à 80%. 
Sur le court terme, le confinement peut rassurer une partie des individus anxieux par rapport aux interactions sociales pendant une épidémie. Le fait d’être enfermé chez soi rassure. Au début on avait une moitié de la population était rassurée, tandis que l’autre moitié le vivait mal.

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Actuellement la désapprobation augmente de jour en jour car ça empiète trop sur la liberté publique et d’ailleurs le gouvernement est en train d’assouplir les règles.
Cependant, pratiquement 80% des Français considèrent que le confinement était la meilleure solution, même s’ils émettent des réserves. Ils ont en tête qu’on paie les carences de l’Etat à travers le manque de masques, de tests…
 
  • Comment expliquez-vous les achats insensés de pâtes, de riz et de papier toilette qu’on a vus au début du confinement ?


Ce sont des phénomènes fréquents, c’est ce qu’on appelle la panique. La peur est un mécanisme très puissant qui nous incite à changer nos comportements.
On a deux types de comportements habituels en situation épidémique. Le premier type est la sur-réaction et l’individuation extrême (fait qu’un individu se détache de son groupe, de ses semblables). Donc les gens vont chercher à maximiser l’accès à des ressources qu’ils considèrent comme rares. On génère du coup des pénuries. Ça devient une prophétie auto-réalisatrice. C’est un phénomène classique, qu’on a déjà observé en France au moment de la première guerre du golfe dans les années 90 où on a eu des pénuries de sucre, d’huile… Les produits changent d’une époque à l’autre. Aux Etats-Unis, il y a eu une ruée sur les armes à feu. Chaque pays réagit selon ses biais culturels. Les phénomènes de panique ne sont souvent pas très longs car il y a une régulation à travers l’instauration l’ordre social qui s’impose. Parfois même un système de quota qui se met en place dans les supermarchés…

L’autre réaction extrême c’est le déni. C’est aussi une réaction à une peur intense. Pour éviter de tomber dans la panique, on va mettre en place des mécanismes de défense psychologique où on va générer des scénarios très favorables ou tomber dans du conspirationnisme par exemple. Ça m’a frappé de voir l’hypothèse du laboratoire (NDLR : selon certains, à l’image de Donald Trump et de son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, le virus viendrait d’un laboratoire chinois). C’est un truc qu’on avait déjà observé en 2006 à la Réunion pendant l’épidémie de chikungunya, qui serait, soi-disant, sorti d’un laboratoire américain.

 

  • Comment voyez-vous le déconfinement ?


La peur a été élevée donc beaucoup de gens vont être réticents à retrouver les attitudes qu’ils avaient avant, malgré l’absence de cas. Dans l’Ouest, on est simplement à quelques dizaines de contaminations par semaine. Malgré ce risque faible, on va avoir des comportements protecteurs qui vont perdurer.
On ne sait pas si les effets du confinement vont disparaître rapidement ou s’ils vont perdurer. L’état mental de la population dépendra du fait qu’elle accepte ou pas de revenir à une vie sociale normale. Le manque de relation sociale est un facteur de risque en matière de santé mentale. Moi, je pense que les gens vont conserver un haut niveau d’évitement social plusieurs semaines encore car la peur de la contagion est un invariant anthropologique très puissant.

 
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  • Comment jugez-vous le confinement qui nous a été imposé ?


Il me semble qu’on est tombé dans le précautionnisme. Par exemple on a fermé les forêts, les plages. On a interdit aux gens de faire du vélo. Pourtant, ce sont des situations où le risque d’infection est presque nul. Et donc, avec ces mesures aberrantes, on a fait perdre de vue à la population le vrai enjeu qui est l’évitement des contacts rapprochés. Je vois un nombre incroyable de personnes qui conduisent seules dans leur voiture en portant un masque (NDLR : alors qu’elles ne risquent rien, seules enfermées dans leur voiture), donc on gâche des masques. On tombe dans une sorte de fétichisme.
Penser que les gens vont s’agglutiner sur les plages est un marqueur de la suspicion du gouvernement vis-à-vis de sa population, qui est infantilisée. Il n’y a pas de confiance et les gouvernements le paient. On voit que dans les pays où il y a une restriction forte des libertés publiques, la population a une confiance faible dans son gouvernement.
 
  • Quel rôle ont joué les media dans ce climat anxiogène ?


La première critique, c’est que les media ont comparé les pays comme s’ils avaient la même population. On parle des Etats-Unis comme de l’épicentre de l’épidémie. C’est vrai en terme de cas mais pas de pourcentage du nombre d’habitants. Il y eu un manque de rigueur sur les chiffres et les media ont mis l’accent plutôt sur les informations anxiogènes que sur les informations rassurantes. Ce qui est normal puisqu’on sait que les informations négatives retiennent beaucoup mieux l’attention.
D’autre part on a pu montrer qu’il y avait une corrélation très significative entre la durée passée devant les media et les troubles du sommeil. S’informer beaucoup a un effet psychologique non négligeable parce que c’est la litanie du nombre de morts…
En France, on a 500 000 morts chaque année toutes causes confondues. On a déjà eu plusieurs milliers de morts liés à une épidémie, ce n’est pas la première fois. On a eu des épidémies de grippe qui ont fait des dizaines de milliers  victimes. Ce que je veux dire, c’est qu’on n’a pas toujours mis en perspective les données qu’on avait.


 
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