Le collectif "Tout reste à faire" crée des insectes géants à partir d'instruments de musique hors d'usage. Un voyage étrange et poétique, qui donne l'invisible à voir, et à entendre.
Une drôle d'impression vous saisit quand vous entrez dans la salle d'exposition. Ça bourdonne, ça trinquaille, ça rampe et ça couine. Une quinzaine de grosses bêtes sont posées ça et là,... et bon sang! elles bougent à votre approche! La première à vous accueillir est une Dolomedes Fimbriatus, autrement dit une araignée... d'à peu près un mètre d'envergure ! brrr...
Ses six pattes ondulent doucement. Accroupissez-vous à sa hauteur et voyez comme sa tête se relève, comme pour vous observer vous aussi. Tendez l'oreille, elle vous chante un air... quoi? de luth italien?
Un petit air de rien, gentil, infiniment discret.
C'est vous la grosse bête, elle vous souhaite juste la bienvenue.
De graciles pattes faites d'archets articulés se déploient autour du corps d'une mandoline. Sur la fine marquetterie de l'instrument, émergent la tête mécanique d'une guitare, les pistons d'une trompette. Et c'est bien une araignée que vous voyez-là, dont la reproduction est dûment contrôlée par un entomologiste es-qualité.
La métamorphose du cloporte
C'est l'une de ces oeuvres poétiques réalisées par le collectif "Tout reste à faire". En résidence au Petit Echo de la Mode à Châtelaudren (22), Mathieu Desailly et Vincent Gadras métamorphosent des instruments de musique hors d'usage en créatures inédites. Des animaux fidèles à leur modèle original, mais à une échelle beaucoup plus grande.
"La taille finale est donnée par la taille des instruments eux-même. Les instruments étant à taille humaine, ont obtient des insectes dans les mêmes proportions, qu'elles que soient leur taille de départ." nous explique Vincent Gadras, posant devant une "Megapomponia Merula", une cigale géante de Bornéo. C'est qu'elle est vraiment "méga" la pomponnette : plus de deux mètres d'envergure, 140 kg de violons, violoncelles, archets, bombardes, cornemuses...
Création In Vivo
Les artistes en font un principe : leur atelier trône au sein même de l'exposition. "Nous rencontrons les visiteurs, c'est important, ils voient ce que nous faisons, comment nous le faisons, nous échangeons".
Violoncelles, banjos, accordéons sont démontés avec le plus grand soin pour entamer une nouvelle carrière artistique. Cette fois, les créateurs réinventent une araignée d'Indonésie. Des pieds de piano pour le corps, des archets pour les pattes, plus cymbales et luth chinois dans un savant jeu de construction.
"Il est très important que quand vous êtes face aux pièces, votre cerveau fasse naître un doute : 'suis-je devant un scarabée, ou un Pleyel de 1917 ?'. Les deux !" explique Mathieu Dessailly. "Pour la fabrication il faut tout réinventer à chaque fois, trouver les astuces qui vous feront croire que tout cela semble naturel".
♦ "C'est soit l'instrument qui nous donne l'idée d'une fabrication d'insecte, soit c'est l'insecte qui nous oriente vers un choix d'instruments. Dans notre processus de création, un coup c'est l'œuf, un coup c'est la poule!"
Le collectif s'amuse à rendre visible l'invisible. Il tient à le faire entendre aussi, grâces aux musiques originales composées pour chaque insecte par David Chalmin. Des mélopées étranges, vibrantes, oniriques, c'est le son de l'infiniment petit, où deux invisibilités jouent ensemble : celle de l'insecte, minuscule, ignoré, inaudible et souvent méprisé, et celle de l'anatomie cachée d'un instrument, "ses viscères" précise Vincent Gadras.
Un inquiétant mille pattes rampe sur place . "Cette scolopendre est essentiellement composée d'éléments de piano, des éléments invisibles. Là, ce sont des étouffoirs de piano droit, ici de piano à queue, 160 pattes faites de tringles de transmission de piano..." Un an de travail, réparti sur quatre résidences du collectif.
♦ "Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?" (Alphonse de Lamartine)
Au passage des spectateurs, les insectes vibrent, résonnent, déploient leurs ailes faites de lutrins, remuent leurs élytres en cuivre... ils semblent prendre vie, et l'illusion doit être parfaite. Nous ignorons leurs modèles originaux dans la nature, ils composent pourtant la mojorité du vivant sur terre. Ces créatures-là nous interpellent, nous font entendre leur petite musique. C'est une rencontre inédite à vivre jusqu'au 7 mars prochain au Musée du Petit Echo de la Mode à Châtelaudren.