Plongée inédite dans les années 1970 avec l'album de famille(s) de la photographe Madeleine de Sinéty

Autodidacte, Madeleine de Sinéty a photographié pendant dix ans, de 1972 à 1981, la vie quotidienne des habitants de Poilley, un village du nord de l'Ille-et-Vilaine. Des milliers de diapositives couleur viennent d'être redécouvertes par son fils. De quoi dresser le portrait d'une France disparue.

Imaginez. Vous êtes en train de faire du rangement dans la cave de la maison de vos parents. Et là, vous tombez sur une collection de plus de 33.000 diapositives couleur, endormies depuis plus de trente ans. Vous en aviez entendu parler, mais vous ne les avez jamais visionnées. Un véritable trésor qui va vous permettre de remonter le fil d'une partie de l'histoire familiale. Voilà ce qui est arrivé à Peter Berham de Sinéty. 


Des photos qui prennent vie


Mais le plus étonnant dans l'histoire, c'est que ces clichés réalisés par sa mère, la photographe Madeleine de Sinéty, couvrent une période qu'il n'a pas connue. "Les familles de Poilley, c'était comme la mythologie de mon enfance", explique-t-il. "D'abord je voyais les images partout dans la maison pendant que ma mère préparait les expositions en noir et blanc. Les noms, Maria, Marie-Christine, le père Eugène, Mère Fine, c'était presque comme une litanie. J'ai l'impression que c'était comme si c'était des oncles ou des tantes, comme s'ils faisaient partie de la famille".
 


Une famille française. Peter, lui, est né aux Etats-Unis où sa mère a vécu de 1981 à sa mort en 2011. Les photos, elles, datent de 1972 à 1981, une décennie pendant laquelle Madeleine de Sinéty s'est immergée dans la vie des habitants de Poilley, un village de 500 âmes (à l'époque), situé au nord de l'Ille-et-Vilaine.


Un changement de vie radical


Illustratrice de presse, elle arrive là par hasard durant l'été 1972, en rentrant à Paris de vacances en Bretagne. La rencontre de fortune vire au coup de foudre. Elle abandonne sa vie parisienne pour partager le quotidien de plusieurs familles de Poilley.

Pour Jérôme Sother, le directeur du centre d'art GwinZegal de Guingamp (Côtes d'Armor), "elle a pris une décision radicale. Aller vivre seule dans un village en Bretagne alors que son mari qui est américain vit à Paris et ne la rejoint que les week-ends. Du jour au lendemain, elle change de vie, elle quitte son travail d'illustratrice, et elle se lance dans une vie totalement nouvelle où tous les jours elle va prendre des photos d'une petite dizaine de familles, en les suivant au quotidien, dans leur travail à la ferme, à la maison, dans l'intimité du foyer. Mais elle ne les traite jamais comme des sujets, ces gens qu'elle photographie. En fait ça devient comme une deuxième famille".
 


C'est donc dans ce formidable album de famille(s) que Peter Berharm de Sinéty et Jérôme Sother se sont plongés pour réaliser l'exposition présentée à Guingamp.
Les clichés en noir et blanc pris à la même époque avaient déjà fait l'objet de présentations à la Bibliothèque Nationale de France et au Museum of Art de Portland aux Etats-Unis.
Les diapositives couleur étaient restées cachées. Peter a une explication : "dans les années 1970, il y avait plus un regard pour le noir et blanc que pour la couleur. C'est peut-être pour ça que du vivant de ma mère ces photos n'ont jamais vu le jour. Elle les avaient seulement projetées aux gens du village", avant de les ranger dans les cartons. 


Portrait de l'artiste


33.280. C'est le nombre de diapositives couleur qu'il a fallu visionner, trier, sélectionner. "C'est un travail de longue haleine, on rentre dedans petit à petit", reconnaît Jérôme Sother. "L'impression que çà donne, c'est que plus vous en regardez, plus vous avez l'impression de faire connaissance avec la photographe. Madeleine de Sinéty est décédée, mais en ayant regardé plusieurs dizaines de milliers d'images, j'ai l'impression de la connaître".
Une impression confirmée par Peter. Dans un petit sourire, il avoue que "c'est très émouvant de voir ainsi revivre le travail" de sa mère. "Dans son travail, il y avait une forte part d'intuition", poursuit-il. "Je pense qu'elle voyait la beauté de cette vie-là, les relations entre les habitants du village, la relation à la terre, aux animaux qu'ils élevaient, la beauté mais aussi la dureté de cette vie".
 


Pour titrer l'exposition, ainsi que le livre édité en parallèle, Jérôme Sother a choisi de l'appeler "Un village".
Pour lui, Madeleine de Sinéty "a fait une photographie un peu générique d'un village type, qui est breton, mais qui pourrait aussi se trouver dans une autre région. Quelque part, elle a photographié des gestes, des postures, des choses qui sont inscrits dans notre inconscient collectif. Moi, j'étais trop jeune à cette époque, mais j'ai quand même l'impression, à travers la littérature ou des récits de nos parents, de l'avoir tout de même vécue". 


Un bond dans le temps


En se plongeant à leur tour dans les clichés, les visiteurs, comme les lecteurs, auront eux aussi le sentiment de partager la vie quotidienne de ces habitants du village de Poilley. Un village témoin d'une France rurale en train de s'effacer progressivement du paysage, au nom d'un certain progrès. "On avait déjà eu le remembrement, on avait la mécanisation de l'agriculture qui était passée par là, mais en fait, entre 1970 et 1980, on se rend compte qu'on est à un moment charnière dans la société rurale", résume Jérôme Sother. "Et ce village de Poilley, en dix ans, il fait un bond dans l'ère "moderne", entre guillemets. Quand on voit les photos des années 1970, on a l'impression que ce sont des photos très anciennes, et là tout d'un coup, avec les années 1980 et 1990, c'est déjà aujourd'hui. Oui, c'est vraiment un moment charnière dans la vie rurale".

Un moment de bascule dont Madeleine de Sinéty aura été le témoin privilégié.

 
L'exposition "Madeleine de Sinéty - Un village" est à voir au Centre d'art GwinZegal, 4 Rue Auguste Pavie à Guingamp, jusqu'au 17 janvier 2021.
Elle est ouverte du mercredi au dimanche, de 14H à 18H30.
L'entrée est libre et gratuite.
 
 
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