Il n’aimait pas cette course, mais le 12 avril 1981, Bernard Hinault finit par remporter Paris-Roubaix. Avec son maillot de champion du monde sur les épaules, et au terme d'une épreuve épique, le Breton cloue le bec à ceux qui le disent incapable de battre les pavés. 40 ans après, il raconte.
"Il y a des jours comme ça... Tu crèves, tu tombes... Même les chiens se mettent en travers de ta route... Mais tu te relèves, tu rattrapes les autres, et tu gagnes... C’était un jour de grâce."
Quand Bernard Hinault s’aligne au départ de la 79e édition de Paris-Roubaix le 12 avril 1981, aucun Français n’a plus vaincu "l'Enfer du Nord" depuis Louison Bobet en 1956.
Comme chaque année, la course s'annonce terrible. Mais le Breton, pourtant tout juste auréolé d'un titre de champion du monde, doit aussi faire face à une vague de critiques. Comme jusqu'ici, il n'a décroché au mieux qu'une place de 4e, ses détracteurs le disent trop tendre pour s'imposer.
Voilà de quoi motiver le Blaireau, qui au terme d'une course renversante, va prouver qu'il est aussi taillé pour battre les pavés.
Quarante ans après, Hinault a bien voulu nous raconter son succès légendaire sur le Vélodrome de Roubaix, son humeur du moment, ses crevaisons, son sprint... Et l'histoire aussi de ce maudit caniche, qui a bien falli lui coûter la victoire.
C'est une belle course. Pour le public...
La veille de la course, avec son directeur sportif Cyrille Guimard, et ses coéquipiers de l'équipe Renault/Gitane, Bernard Hinault reconnaît le parcours sur les secteurs pavés entre Orchies et Hem.
Au journaliste, qui en roulant l'interroge sur son état de forme et ses ambitions, il répond : "Paris-Roubaix ? C'est une belle course. Pour le public. Pour les coureurs, c'est autre chose..."
"Paris-Roubaix, répète-t-il aujourd'hui, ce n'était pas ma course. Je l'avais déjà courue. J'avais abandonné, j'avais fait 13e en 78, 11e en 79, et en 80 je termine 4e, c'était mieux. Mais dans mon esprit, c’était prendre des risques : en cas de mauvaise chute, ça pouvait m’handicaper pour le Tour de France, mon principal objectif. Si vous vous cassez une clavicule, ou une rotule, la saison est finie."
"Mais en 81, ajoute Hinault, c'était différent. Là, j’avais le maillot de champion du monde depuis quelques mois, j’étais le coureur numéro 1. Alors c’était logique que j'essaie de gagner à Roubaix, et je me suis préparé plus tôt dans la saison. D’habitude, j’arrivais en condition plutôt pour la Flèche Wallone, ou Liège-Bastogne-Liège. Là, j’étais déjà prêt le jour J."
Devant avec Moser et De Vlaeminck, deux gros clients...
Ce 12 avril 1981, c'est d'abord Gilbert Duclos-Lassalle qui anime la course. Avant d'être repris. Et de rendre les armes.
Quand approche l'arrivée ne figurent plus dans le groupe de tête que des cadors, dont deux spécialistes des pavés : l'Italien Francesco Moser, triple tenant du titre, et le Belge Roger De Vlaeminck, quatre fois vainqueur de l'épreuve, flanqué de son équipier néerlandais Hennie Kuiper. Sont là aussi les Belges Marc Demayer et Guido Van Calster.
Avec de tels concurrents, Hinault sait que la partie de s'annonce pas facile. Mais il va devoir faire aussi avec un coup du sort.
A 12 km de l'arrivée, un chien passe par là, Hinault "sur le toit"
Avant le dernier secteur pavé, le champion du monde a déjà crevé deux fois, et chuté deux fois. Il s'est aussi retrouvé coincé derrière la voiture de Felix Levitan, le directeur de course. Mais en terme de "chat noir", le meilleur est à venir.
"Du côté du Carrefour de l’Arbre, à 12 km de l'arrivée environ, je roule très fort, je sors du virage, et là, en face de moi, qu’est-ce que je vois ? Un caniche rouge, avec un collier rouge, qui traverse... La moindre des choses, si on vient avec un chien voir une course, c’est de l’attacher ! Et là Badaboum… je me retrouve sur le toit !"
"Mais ça ne me panique pas trop, je suis pas blessé, le vélo n’est pas cassé, et 400 m après, j’étais revenu sur le groupe. Après, ça s’est réglé au sprint… Je me souviens aussi qu'après avoir passé la ligne, le boyau a explosé... Il y a des jours comme ça".
En arrivant sur le Vélodrome, j'ai regardé les drapeaux, le vent...
A l'arrivée à Roubaix, c'est Hennie Kuiper, l'équipier de Francesco Moser qui entre le premier sur un Vélodrome plein à craquer. Dans les travées, la foule espère une victoire tricolore. Il reste un tour et demi à parcourir. Et tout de suite, Hinault se porte aux avant-postes.
"L’année précédente, quand j'avais terminé 4e, j’avais regardé les drapeaux, pour savoir d’où venait le vent. Là, j’ai fait la même chose. Et j’ai décidé d’emmener, d’emmener".
"Après, on m’a dit que j’avais été fou. Moi, je savais ce que je faisais. Les autres restaient à l'abri, mais en attaquant vent de face, je savais que si sur la ligne opposée, personne n’avait pu me passer... sur la fin, j’aurais le vent derrière, et j’avais suffisamment de puissance pour aller au bout..."
Ca clouait le bec à certains !
"Quand j'ai franchi la ligne, termine Hinault, j'ai ressenti un grand bonheur, comme pour n'importe quelle victoire. Mais celle-là avait un parfum particulier, elle clouait le bec à ceux qui disaient que je ne savais pas "faire les pavés". Des journalistes surtout, qui n’avaient jamais fait de vélo, et qui ne voulaient comprendre qu'avant un Tour de France, il ne fallait prendre de risques. Mais bon, j'étais champion du monde, alors j'ai rempli le contrat."
L'hommage de Louison Bobet
Sur la ligne d'arrivée, avant qu'Hinault ne grimpe sur le podium, le journaliste Jean-Michel Leulliot, en direct à la télévision, intercepte Louison Bobet, qui n'est donc plus le dernier vainqueur français au Vélodrome.
"C'est vrai, on ne parlera plus de moi, répond Bobet, mais je suis fou de joie. J’ai assisté à un final fabuleux de Bernard Hinault. Il est tombé, il a crevé, il a roulé des kilomètres sans se retourner, et le sprint qu’il a fait a démontré sa puissance et sa fraîcheur. Quel bonheur pour les Bretons. Et les Français !"
La victoire à Roubaix : un pied de nez, mais un cadeau surtout...
En s'imposant sur le Vélodrome, Hinault avait donc coché la case : Paris-Roubaix, c'était fait. Il allait pouvoir ramener ce fichu pavé à la maison.
Mais le moment le plus important de ce week-end d'avril restera sans doute le lendemain. Le 13 avril, Bernard Hinault devenait papa de son deuxième enfant.
Il y a plus important dans la vie d'un homme qu'un trophée sur une cheminée.