Théâtre à l’école : une autre façon d’apprendre et de grandir, "on ouvre un espace des possibles"

Au début de l’année, Emmanuel Macron a annoncé sa volonté de rendre le théâtre obligatoire dans les établissements scolaires dès la rentrée prochaine. Au Collège Roger Vercel de Dinan, une option théâtre a ouvert en septembre 2023, les élèves sont actuellement en pleine répétition de leur spectacle. Reportage.

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Perruque blanche sur la tête, marteau en main, Charlotte, dans le rôle du juge, harangue la salle de classe transformée ce jour de mars en scène de théâtre. "Est-ce que quelqu’un souhaite s’exprimer avant que la décision ne soit rendue ?"

Jouer quelqu’un d’autre pour apprendre à être soi

 

Du fond de la pièce, Corentin s’avance. Il connaît parfaitement son texte et se lance : "Moi, j’ai quelque chose à dire, la période, elle est rude en ce moment, les ours et les loups rôdent." Ses bras tombent le long de son corps, ses doigts tournent et retournent le bas de son sweat. 

Philbert Durosel, le co-directeur de la compagnie Bigcity bondit et arrive à ses côtés. "Pourquoi tu veux prendre la parole dans ce procès ? C’est parce que tu n’es pas content." Il improvise la colère devant le jeune garçon : "MOI, J’AI DES CHOSES À DIRE, JE NE SUIS PAS CONTENT !"

Les yeux de Corentin s’allument. Il a compris. Il repart du fond de la classe et revient, le pas ferme, le torse bombé et lance un regard assassin : "MOI, J’AI DES CHOSES À DIRE !" Une fois, deux fois… Il retourne à sa place et revient chaque fois plus déterminé. Il emplit tout l’espace, ose, crie. En face, Philbert et Remi Granville ont le sourire. S’ils avaient voulu faire une démonstration, elle vient d'être faite !

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Reportage de S. Breton, V. Bars, C. Bataillon ©FTV

Un espace des possibles

 

Rémi Granville a découvert le théâtre dans ce même collège Roger Vercel, il y a quelques années de cela. "J’étais très grand, très maigre, je ne savais pas quoi faire de mon corps, et puis on m’a dit, "ah, mais c’est intéressant…". Je me suis dit, je suis normal."

Dans les cours de récré, il y a beaucoup de jugements

Rémi Granville

Co-directeur artistique Bigcity

La scène a permis à Rémi Granville de s’accepter. Aujourd’hui, il est comédien professionnel. Il a fondé avec Philbert Durosel la compagnie Bigcity et vient à son tour au collège expérimenter le jeu avec les élèves.

"Dans les cours de récré, il y a beaucoup de jugements, décrit-il, mais là, on ne va pas venir me dire, tu as parlé trop fort, tu as fait ça, ici, on ouvre un espace des possibles, de liberté et ensuite, les jeunes peuvent s’en servir dans la vie.

Jouer pour s’accepter et accepter les autres

Et pour les aider à s’accepter, Rémi Granville a écrit une pièce pour les 6ᵉ 5 : "Le procès du monstre". Les collégiens vont jouer le procès du Minotaure, cette créature de la mythologie grecque, mi-homme, mi-taureau, que le Roi Minos a fait enfermer dans le labyrinthe.

Maï-Li interprète le rôle du roi, Charlotte, celui du juge, Tia, celui du procureur…"Que faut-il faire de cette créature ?" s’interrogent-ils

"Nous sommes tous des minotaures parce que nous sommes tous différents, mais ce n’est pas une raison pour nous emprisonner" leur explique Rémi Granville.

"Au début de l’année, les élèves de la classe ne se connaissaient pas, précise Véronique Léon, la professeure de français qui anime l’option. Ils venaient tous d’écoles différentes, alors ils se regardaient parfois un peu en chien de faïence. Elle est bizarre, je ne veux pas jouer avec lui, ce n'est pas mon copain… "

Et puis au fur et à mesure des répétitions, ils ont appris que pour jouer, il faut se regarder, s’écouter. "Jouer, c’est vraiment accepter l’autre, développe l’enseignante. C’est aussi se donner le droit d’être quelqu’un d’autre, de faire ce que l’on veut de son corps, de faire le fou sur scène si on veut faire le fou, on a le droit et c’est rare que l’on autorise cela dans des écoles."

Jouer pour grandir et apprendre

 

Entre les défenseurs et les opposants du Minotaure, soudain, sur la scène, les choses se compliquent. Les petites notes de la "Lettre à Elise" résonnent et les élèves miment une bataille rangée au ralenti.

Maï-Li fait semblant d’encaisser les coups, de se faire tirer les cheveux et de lancer des coups de pied.

Comme Justine, et les autres, elle s’étonne de cet impact du jeu sur sa personnalité. "J’arrive mieux à m’exprimer par rapport à avant où je stressais", confie-t-elle. "Je n’avais jamais fait de théâtre, ajoute Justine, et maintenant, je suis moins timide, enfin… j’ose parler devant des gens".

"Avant, j’avais des petits problèmes d’élocution, reconnaît Charlotte, à force de travailler et de répéter, ils disparaissent " se réjouit-elle.

D’ailleurs, elle l’a décidé, le Minotaure est innocent, "il doit être libéré sur le champ !" Et puis avant de se rasseoir, elle se tourne vers son enseignante. "Madame, après le cours, normalement, on a perm', on peut rester travailler ?"

Enseignants et comédiens se regardent : ils ont gagné leur pari !  

La représentation aura lieu le 21 mai au Théâtre des Jacobins à Dinan.

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