Alors que le nombre d'arrêts de travail augmente singulièrement en Bretagne, des médecins dénoncent une forme de contrôle purement statistique exercée par l'Assurance maladie.
"L'équation patient fainéant + médecin traitant = arrêt de complaisance est un peu trop rapide!", s'indigne le docteur Valérie Jouan, médecin généraliste à Saint-Brieuc (22), venue soutenir l'un de ses confrères convoqué, jeudi, à la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor) parce qu'il aurait prescrit un trop grand nombre d'arrêts de travail. "Ce qu"on nous propose actuellement, c'est une médecin purement comptable. Nous ne pouvons pas la réaliser car nous ne pouvons pas aller contre l'intérêt de nos patients."
"On rentre dans des chiffres, des statistiques alors que je travaille avec l'humain. Ce n'est plus possible"
Comme elle, une cinquantaine de médecins s'est rassemblée pour dire stop à la vague de convocations pour des "prescriptions atypiques" lancée par la CPAM. L'un d'eux, le Dr Thierry Gicquel, généraliste installé à Ploufragan, était ainsi convoqué à Saint-Brieuc.
"La CPAM fait une moyenne: il suffit d'avoir simultanément plusieurs dossiers lourds d'arrêts de travail de très longue durée pour plomber totalement les moyenne, explique le médecin au Dr Gicquel au Quotidien du Médecin peu avant l'entrevue avec la CPAM. J'ai eu un patient qui a eu trois ans d'arrêt de travail pour des doigts coupés de sa main droite et un autre pour un accident vasculaire cérébral. Je suis prêt à rencontrer la caisse pour discuter des cas précis. Mais là, on rentre dans des chiffres, des statistiques alors que je travaille avec l'humain. Ce n'est plus possible", se désole-t-il.
Humiliant
Pour le Dr Yvon Le Flohic, installé dans le même cabinet que Thierry Gicquel, l'usage de statistiques permet certes de "découvrir des situations totalement aberrantes. Mais là, on arrive dans le dur, avertit-il. Depuis ces trois dernières années, 80 médecins ont été convoqués par la CPAM... Des médecins qui semblaient irréprochables mais qui travaillent beaucoup et sont de gros prescripteurs. Ils sont menacés de mise sous objectif (MSO) ou sous accord préalable (MSAP). C'est vécu par certains comme humiliant."
"On ne veut pas que notre médecine évolue comme Amazon!"
Toujours selon Yvon Flohic, les pratiques de la CPAM 22 viseraient à atteindre les objectifs fixés par la caisse nationale d'assurance maladie. "La caisse locale est passée de la 50ème à la 3ème place car elle a amélioré ses résultats sur maîtrise des dépenses et de lutte contre la fraude", assure le médecin qui lance: "On ne veut pas que notre médecine évolue comme Amazon!"
"La CPAM veut réguler, pas sanctionner"
De son côté, la CPAM promet que ces convocations ne visent aucunement à "faire la leçon ou sanctionner les médecins [convoqués] mais bien à échanger avec eux tout en assurant un rôle de régulateur".
Des arrêts en forte augmentation en Bretagne
En 2017, plus de 475 millions d'euros ont été versés en Bretagne en 2017, au titre des indemnités journalières. Les arrêts de travail sont en hausse dans la région: +6% en Bretagne entre janvier et août 2018 contre +3% de moyenne nationale.