Avec environ 750 morts par an, la Bretagne affiche le taux de suicide le plus élevé de France. Ce fléau aux causes incertaines, enraciné dans certaines familles, reste
difficile à combattre, car il est souvent vu comme une fatalité.
"Le suicide fait partie de l'histoire de certaines familles. Il y a une espèce d'enchâssement culturel, qui s'est installé à partir des années 50", souligne Sylvie
Dugas, coordinatrice de la politique santé mentale à l'Agence régionale de santé (ARS).
Très présent, ce mal touche parfois plusieurs membres de la même famille, comme l'ont raconté plusieurs mères lors d'une réunion le 1er mars à Paimpol.
"J'ai perdu le père de mes enfants il y a 10 ans", a confié une femme brune. "Son papa s'est pendu, son oncle s'est pendu, sa mère a fait des tentatives. Lui m'a
toujours dit qu'il mourrait avant ses 36 ans. Il s'est pendu un mois avant", a-t-elle raconté, des sanglots dans la voix, en ajoutant avoir "peur" pour une de ses filles. "Je me dis: elle est peut-être comme son père, son grand-père, comme son oncle", a-t-elle dit.
Le suicide n'est pas héréditaire
"Mes enfants me posent la question: est-ce que moi aussi je vais me suicider?", a poursuivi une autre femme, dont la soeur s'est suicidée il y a quelques mois,
en s'interrogeant sur le "terrain génétique" au suicide. "Le suicide n'est pas héréditaire, il n'y a pas de fatalité", leur a répondu Mélanie Coquelin, psychologue, animatrice de la cellule prévention suicide à la Fondation Bon Sauveur. "Il n'y a pas de gène du suicide. Il y a quelque chose de l'ordre de l'héritage."
Une pluralité de facteurs
Avec 24,7 morts pour 100.000 habitants, la Bretagne présente un taux de suicide bien supérieur à la moyenne nationale (15,8), qui est déjà l'une des plus levées d'Europe. C'est dans les Côtes d'Armor que la mortalité est la plus élevée avec des taux de suicide atteignant parfois le double de la moyenne nationale, comme dans la région de Loudéac ou le Centre-Ouest Bretagne.
La Bretagne n'a pas toujours connu ces taux de suicide si élevé
Au XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle, le suicide était pourtant plutôt moins répandu en Bretagne que dans le reste de la France. Ce n'est qu'après-guerre qu'il explose, puis culmine au début des années 90. "A partir des années 50, on observe des mutations profondes et rapides du monde rural dans une région qui était plutôt restée à l'écart", avance le Dr Dugas. Une étude pluridisciplinaire sur la "sursuicidité en Bretagne", menée au début des années 2000, continue de faire référence en la matière. Parmi une "pluralité de facteurs", elle cite les "dégâts causés" par le développement économique sur le secteur agricole, les effets de la pression scolaire ou de l'acculturation.
"La culture et la langue bretonnes ont fait l'objet de mesures coercitives, et même d'une interdiction de pratique", pointait l'étude, coordonnée par Yannick
Barbançon, en rappelant l'importance de la langue et de la culture en terme d'"équilibre de personnalité". Les "intoxications alcooliques aiguës chez les jeunes" sont aussi "très importantes dans le passage à l'acte", souligne le Dr Dugas.
Un réseau de vigilants-veilleurs
Face à un phénomène alarmant, de multiples opérations de prévention ont été lancées, comme le rappel téléphonique des patients, par la Fondation Bon Sauveur, après une tentative de suicide, et ce dès 2007. "C'est pour faire du lien, pour dire: je m'intéresse à vous, vous faites partie du monde", explique le Dr Jacques Bernard, psychiatre.
Un réseau d'une vingtaine de vigilants-veilleurs, formés au repérage de personnes en souffrance, a également vu le jour, réunissant des patrons de café, pharmaciens, facteurs... "Les gens sont tellement mal en général qu'ils sont contents qu'on puisse leur apporter de l'aide et diminuer leur souffrance. Ils ne veulent pas mourir, ils veulent juste arrêter de souffrir", raconte Marie-Pierre Bodin, membre des vigilants-veilleurs et adjointe au maire de Tréguier.
L'élue se souvient du cas d'un agriculteur "qui avait déjà rangé ses affaires" mais a pu être sauvé. "La corde était déjà prête, il attendait le bon moment",
dit-elle. "Souvent, on dit qu'il y a des solutions qui existent mais que la personne n'est plus capable de les voir", explique-t-elle. "Il faut casser cette spirale infernale".