Entretien avec l'écrivain Hervé Hamon : " Peut-être bien que le monde va changer "

Ecrivains, artistes, scientifiques bretons, ces "grands témoins" nous racontent ce que la pandémie a changé et comment ils envisagent le monde d'après. Pour le Costarmoricain, Hervé Hamon, habiter le monde autrement est devenu une urgence.

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Comment avez-vous vécu le confinement? 

Lorsque le confinement a été déclaré, je revenais tout juste du Chili où j’ai passé trois mois avec mon épouse qui est originaire de ce pays. C’était très étrange de sortir de l’avion pour tomber dans le Covid-19. On venait de vivre un soulèvement social fabuleux, le réveil d’un peuple. Là-bas, c'est mai 68 tous les jours. 
Je suis rentré en France pour la sortie de mon « Dictionnaire amoureux des îles ». L’avant-veille de la signature, mon éditeur m’a annoncé que tout était suspendu jusqu'à l’automne prochain. Ce livre, c'est trois ans de travail. Mais ce n'est pas pour moi que je m'inquiète. Pour les libraires et les éditeurs cette crise est une catastrophe économique. C'est surtout à eux que je pense. 
Depuis le 13 mars, je suis donc dans ma maison de Trébeurden, juste au-dessus de la grève. Comparé à beaucoup d’autres, je suis un privilégié. J’ai un jardin, la mer à côté. Je ne me plains pas. J'écris tous les jours. J'ai commencé un roman d'aventures à quatre mains avec un ami. Mais surtout pas de journal de confinement. Je trouve cela tellement nombriliste! 


Est-on au seuil d'une transformation de nos vies ? A quoi ressemblera le monde d'après?  

A quoi ça ressemblera ? Je n’en sais strictement rien parce que ce sont les gens qui vont l’inventer. Mais est-ce que ça va bouger ? La réponse est oui !
Pas simplement parce que les gens sont mécontents de la façon dont la crise a été gérée. Mais parce que le système de santé crie famine depuis longtemps et que les soignants risquent de demander des comptes et je pense qu’ils auront raison de le faire. Que le pays ne soit pas fichu de fournir des masques et qu'en plus, on nous raconte que ça ne sert à rien... Le plus insupportable, c’est probablement le mensonge. Sans masque et sans test, il ne nous restait qu'une seule solution, celle des pays pauvres, c’est le confinement. 

Ce qui va peut-être bouger avec cette crise, c'est le rapport pyramidal de la décision. La discipline n'a d'intérêt que si elle est consentie. Pour cela, il faut être associé à la décision, il faut la comprendre, elle doit être transparente. Durant toute la crise, on est passé d'un mensonge à l'autre. On a vu trois ou quatre personnes en haut de l'Etat qui nous disaient ce qu’il fallait faire, qui attendaient de nous que nous soyons des enfants bien dociles et bien soumis à qui on répète constamment qu’il ne faut pas se "relâcher". Mais qui se relâche ? Pas moi ! C'est l'Etat qui se relâche en ne fournissant pas le matériel nécessaire aux personnes les plus exposées. Ce qui s'est passé dans les maisons de retraite est un scandale. Qu'on y soit allé au doigt mouillé, que ni le personnel ni les résidents n'aient été testés massivement, c'est intolérable. Il y a des gens qui ont investi dans l'or gris comme d'autres investissent dans l'or noir ou le gaz de schiste, et bien ces gens-là doivent nous rendre des comptes. 

Le rapport pyramidal se pose aussi dans l'entreprise. Nous avons une organisation du travail insupportable où des chefs lointains nous dictent ce qu'il faut faire. La découverte du télétravail c'est vraiment une découverte. Evidemment, on a besoin de sociabilité, de se réunir. Mais l'idée d'être libre de l'organisation de son temps, de ne pas passer deux heures dans les transports, de rester chez soi, ça a profondément touché les gens, et j'espère qu'il y a là des pistes pour demain. Je ne sais pas si le capitalisme va reprendre et continuer à exister. Mais ce n'est pas obligatoire. C'est à nous d'être intelligents et créatifs, de nous auto-organiser pour proposer des alternatives.
 
"Nous ne luttons pas seulement contre un virus. C'est une crise bien plus grave que nous traversons" © Hervé Hamon

On voit concrètement qu'il va falloir habiter autrement, se déplacer autrement, fonctionner différemment. La question du climat et de l'écologie est posée avec beaucoup d'acuité.
Je pense que l'ère des mégalopoles est finie. On a en France des déserts, et en face, des agglomérations énormes où les transports ne suffisent plus, où l'on suffoque. Ce n'est pas viable. Il va falloir changer de monde. En ville, les SUV qui ressemblent à des 4X4, c'est terminé ! Avec cette crise, nous sommes en train d'apprendre ça, un peu à la dure. Ce ne sont pas des questions idéologiques ou philosophiques. Ce sont des questions urgentes auxquelles il va falloir répondre. 
 

Cette crise a-t-elle mis en lumière la question des inégalités et des solidarités ?

Nous ne luttons pas seulement contre un virus. C'est une crise bien plus grave que nous traversons.
Quand je suis à Paris, j'habite dans le 93. En Seine-Saint-Denis, il y a eu plus de morts qu'ailleurs pour la bonne raison que c'est un département très peuplé et que c'est là qu'habitent les pauvres. Il y a beaucoup de familles nombreuses, avec des petits logements. Le Covid-19 a révélé ces inégalités sociales et sanitaires. Les étudiants qui avaient des petits boulots les ont perdus. Il a fallu organiser pour eux des soupes populaires. Ce n'est pas acceptable.

Il y a une créativité formidable de la France horizontale, des associations, des initiatives locales. Il faut revenir au local. On constate l'aspiration des gens à acheter des produits cultivés proches de chez eux et pas des fraises qui viennent d'Afrique du Sud. Les grandes surfaces immenses, ça ne fait plus rêver. Bien sûr, on ne peut pas tous se le permettre, mais quand vous avez un peu d'argent, le jour où vous achetez de la viande, vous avez envie que ce soit de la bonne viande.
Il y a eu pendant le confinement de plus en plus de propositions de producteurs pour de la vente en direct. J'espère que cette crise va nous aider à réfléchir à la nécessaire reconversion de l'agriculture, stopper cette exploitation intensive qui détruit la terre. Je pense que beaucoup d'agriculteurs aspirent à cela mais il faut que ce soit viable pour eux. Au fil des crises, je crois que l'on va aller vers ça. 

Alors peut-être... peut-être bien qu'un autre monde est possible. Ça n'arrivera pas du jour au lendemain mais peut-être que cela s'est mis en route et ça, ça me réchauffe le coeur. 
 

Après cette période de confinement, comment penser la relation aux autres ? Quel sera l'impact des gestes barrières et de distanciation sociale? 

Je ne suis pas d'accord avec le catastrophisme ambiant. Je regarde la courbe de l'épidémie du Covid-19, ça descend. Moi, à 73 ans, je suis en âge de mourir. A un moment, le conseil scientifique a envisagé de demander aux plus de 65 ans de rester chez eux jusqu'à la rentrée. Ca ne va pas, non ? Coupé la population en deux ? Moi je suis actif, je travaille du matin au soir. J'ai des amis qui ont mon âge et qui ont des responsabilités. Nous ne sommes pas des papis et des mamies qui passons notre temps à regarder pousser les jonquilles. L'idée que, comme nous sommes fragiles, nous ne devrions pas avoir de vie sociale, ce n'est pas une idée recevable. Les vieux, ils savent qu'ils sont vieux, ils se protègent d'eux-mêmes. On n'a pas besoin qu'on nous mette sous cloche. 

L'épidémie nous rappelle que nous sommes mortels. La mort, on ne veut pas la voir. Il y a toujours ce discours de rester jeune. C'est de la blague. On est quand même très nombreux sur terre, il y a un moment où il faut laisser la place. Nous allons devoir mourir. Et pendant ce temps-là il y a en a d'autres qui naissent. Ce n'est pas une catastrophe. Mais il faut que ce soit le moins douloureux et le plus chaleureux possible avec des gens solidaires. Je pense que la manière dont les morts ont été "expédiés" est une abomination. Nous avons, plus que jamais, besoin de rites, de partage, et de liens intimes. Refiler nos anciens à des établissements conçus pour leur relégation montre à quel point nous sommes devenus "barbares". Les enterrer à la va-vite me semble un comble de cette barbarie.


Qu'est-ce qui a vous a le plus manqué ces dernières semaines?    
Quelle sera votre priorité lors du déconfinement ? 

Le confinement commence à me peser. Je suis content qu'on déconfine et j'espère qu'on déconfinera vraiment. On nous infantilise avec la menace d'une amende à 135 euros. C'est toujours la carotte et le bâton. 
Mes amis m'ont manqué, ma famille aussi, mais ce qui m'a le plus manqué c'est mon bateau qui est au port. Je n'avais même pas le droit d'aller au ponton, parfaitement désert. C'est imbécile.

J'ai le droit d'aller au supermarché mais je n'ai pas le droit d'aller marcher sur la grève ! Il faut être dans un ministère, une administration pour imaginer ça. Qu'il y ait des problèmes de surnombre l'été dans certaines stations balnéaires est une vraie question. Mais il ne faut pas tout confondre. 
Je milite pour l'accès aux plages en respectant la distanciation physique. De grâce, rendez-nous nos plages et pas seulement les plages, rendez-nous la mer. Le Covid-19 n'a pas de nageoires ! Quand je suis sur mon bateau, je suis tout à fait tranquille. 
 
"Le Covid-19 n'a pas de nageoires!" © Hervé Hamon

Le 11 mai, j'irai voir mon bateau, que ce soit permis ou non. Je vais me le permettre parce qu'il n'y a pas de raison sanitaire de me l'interdire. On a suffisamment de kilomètres de grèves ! L'estran, c'est notre espace, c'est notre jardin, notre patrimoine. Bien sûr que j'irai sur la plage. Je suis solidaire d'Anne Quéméré et je rejoins cet appel à la désobéissance civile. Et je pense que tous les Ecrivains de Marine pensent la même chose. C'est juste idiot. On est dans une tendance forte à "caporaliser" la société. Moi par exemple, je ne prendrai pas cette application de traçage. Je ne suis pas chinois et je ne veux pas le devenir. C'est mon droit. Et je ferai attention à ne pas attraper le virus et à ne pas le transmettre. Actuellement, nos libertés sont profondément attaquées. Nous devons être vigilants. Ma liberté n'est pas à vendre, même pour mon bien, soi-disant. 
 
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