Il reste 517 jours au compteur de l'Ocean Globe Race avant le départ en 2023. Bertrand Delhom ne les compte pas. Mais presque. Le Finistérien de 58 ans, atteint de la maladie de Parkinson, a réussi à se faire une place au sein d'un équipage pour aller tutoyer le grand large. Il veut montrer que, face à cette maladie neuro-dégénérative, dont la journée mondiale a lieu ce 11 avril, oser est la meilleure boussole.
La force d'oser. C'est ce qui caractérise Bertrand Delhom. Malgré (ou à cause) de cette maladie de Parkinson qui l'a sonné comme un uppercut lorsqu'elle a été diagnostiquée, l'été dernier. Le Finistérien de 58 ans s'apprête pourtant à faire le tour du monde à la voile.
Pas une petite balade au gré du vent mais une vraie course en équipage et avec escales : l'Ocean Globe Race. 27.000 milles, trois grands caps "sans GPS, avec comme seuls outils : des cartes papier et un sextant" précise-t-il. Dans l'esprit de la légendaire Whitbread de 1973. A l'ancienne. Sur les traces des Tabarly, Blyth, Pajot ou Blake.
"Pas grand chose à perdre"
C'est au culot qu'il y est allé. Il contacte l'organisation de course, récupère les noms des skippers français engagés et se fend d'un mail à chacun pour dire son envie de grand large. "Bonjour, j'ai 58 ans et je suis atteint de la maladie de Parkinson". Ainsi commence son courrier. Le style est direct. A l'image du bonhomme qui assure "ne pas avoir grand chose à perdre".
Dans le bleu de ses yeux, pétille encore la joie de la réponse signée du skipper Tan Raffray. "Pas de problème, tu pars avec moi". Par chance, Bertrand est bien assis lorsqu'il lit ces quelques mots. Lui, qui a tiré ses premiers bords entre les cailloux de l'Aber Wrac'h à l'âge de 8 ans et participé à deux mini-Fastnet, en reste comme deux ronds de flan. Et le sourire qui ne le quitte plus depuis révèle son état d'esprit du moment. Un homme heu-reux !
Il n'est certes pas un novice de la navigation en mer mais il ne donnait pas cher de sa santé. "Surtout que je souffre de tremblements essentiels depuis l'adolescence, explique-t-il, que j'ai des torticolis spasmodiques, que j'ai été opéré du dos et de la nuque et que j'ai un pied handicapé. Autant dire que mon carnet médical est bien fourni". Sans compter cette maladie de Parkinson qu'il encaisse et qui le pousse finalement vers l'aventure.
Bateau adapté
Bertrand Delhom va embarquer sur le Neptune. Ce voilier, classé bateau d'intérêt patrimonial, fait partie de l'histoire de la Whitbread au départ de laquelle il s'aligne en 1977. Skippé par Bernard Deguy, il termine la course à la huitième place.
Depuis les années 80, le Neptune est entre les mains d'une association en Guadeloupe et participe à des régates dans les Antilles. Ses propriétaires ont accepté de le confier à Tan Raffray et ses équipiers pendant trois ans.
Le 60 pieds a quitté les eaux chaudes des Caraïbes, en février dernier, et mis le cap sur le port du Bono, dans le Morbihan. Le voilier y sera totalement configuré pour l'Ocean Globe Race. Mais pas seulement. Il va aussi être adapté à Bertrand. "Il y aura une sécurité spécifique sur le pont, dans le cockpit, indique le Finistérien. J'aurai également une couchette spéciale".
Au-delà de la simple course, l'équipage morbihannais veut aussi se faire "le porte voix de la lutte contre les maladies neuro-dégénératives". La présence de Bertrand Delhom apporte une nouvelle dimension au projet de Tan Raffray.
"Parkinson, cela n'empêche pas de vivre"
La mer agit comme un baume sur ce corps qu'il ne contrôle pas toujours. "Quand je navigue, mes tremblements diminuent, confie Bertrand. Ça me calme". L'histoire est belle pour ce petit-fils de sous-marinier qui carbure à la force de vie.
A l'annonce de sa maladie, il a immédiatement rejoint l'association brestoise Handivoile, partant du principe que "Parkinson, cela n'empêche pas de vivre".
L'activité physique est une alliée précieuse contre la maladie
Bertrand Delhom
Bertrand sait qu'il a devant lui sept années de relative quiétude. La maladie de Parkinson comporte en effet plusieurs phases d'évolution. Il veut retarder "le plus possible" cette progression. Il y a les médicaments, bien sûr, auxquels il se plie au quotidien. Mais il y aussi cette volonté de foncer "pour démontrer que l'activité physique est une alliée précieuse. Tout comme le psychique, ajoute-t-il, cela compte énormément de maintenir une vie sociale, de sortir. J'en suis persuadé".
Préparation encadrée
Ne pas se laisser aller, c'est son axiome. Le Nord de sa boussole interne. Il se bat contre les symptômes de Parkinson jour après jour. Quand l'écriture devient trop petite sur le papier, il se corrige. "Je me reprends, tout de suite. J'écris plus lentement mais chaque lettre aura au final sa taille normale". La micrographie est l'une des manifestations de la maladie.
Pour l'Ocean Globe Race, il va bénéficier d'une préparation très encadrée. Avec, d'un côté, le Pôle neurosciences du CHU de Rennes, et de l'autre, le centre de rééducation de Kerpape. "Ce qui m'embête le plus, c'est les jambes, constate Bertrand. Je ne peux pas rester trop immobile. Si je ne fais pas travailler mes muscles, ils fondent".
A bord du Neptune, un coin sera aménagé pour qu'il puisse suivre rigoureusement le programme d'exercices qui lui sera donné. Pour l'heure, "et avant que les entraînements n'aillent crescendo", il pratique la nage avec palmes et opère des sorties à la voile, au large de Brest.
Dans 517 jours, ce sera le grand jour. Celui que ce passionné de voile attend depuis si longtemps. Depuis cet instant en suspension lors du salon nautique de 1985 où il croise Eric Tabarly. "Je vois un attroupement et au milieu, il y a le Menhir de la voile, se remémore-t-il. Je lui demande s'il reste une place dans son équipage pour la prochaine édition de la Whitbread. 'On est complet' il me dit. Qui ne tente rien n'a rien, après tout" sourit Bertrand. Au culot. Sa marque de fabrique.