Une filière de démantèlement de bateaux a vu le jour à Brest après l'échouement du TK Bremen en 2011. Mais certains pays de l'UE ne jouent pas le jeu et changent le pavillon de leurs navires en fin de vie pour pouvoir les faire déconstruire en Asie à bas-coûts.
Dans le port de Brest, au 5e quai Est, l'activité bat son plein. Deux anciens cargos, le Karl et l'Antigone Z, vont être déconstruits au chantier Navaleo du groupe Les Recycleurs bretons, témoignant d'une filière en plein essor.
Une filière née à Brest après l'échouement du TK Bremen
L'énorme pince rouge montée au sommet d'une longue pelle articulée saisit inlassablement la ferraille, la cisaille puis l'arrache. En quelques jours, il ne reste plus qu'un tas de débris des deux anciens navires frigorifiques de 600 tonnes.
Avant cela, ils ont été nettoyés de leurs liquides, hydrocarbures, huiles et gaz dangereux, puis désamiantés. Les cales, la laine de verre et les plaques de bois et de métal ont également été retirés.
La ferraille, ramassée dans la forme de radoub à l'aide de pelles aimantées, rejoint ensuite des fonderies européennes et françaises, notamment ArcelorMittal à Dunkerque.
La filière est née à Brest avec la déconstruction du TK Bremen, un cargo maltais qui s'était échoué sur une plage du Morbihan en 2011. "Depuis, elle se développe", assure à l'AFP Olivier Lebosquain, directeur du chantier qui emploie une quarantaine de personnes.
En 2020 et 2021, il a notamment déconstruit les trois derniers sous-marins diesel de la Marine nationale. Après le Karl et l'Antigone Z, il démantèlera le pétrolier brise-glace russe Varzuga, de 165 mètres de long et 6 600 tonnes. Ce sera le plus gros navire de commerce jamais déconstruit en France.
Doté d'installations classées pour la protection de l'environnement, le chantier brestois est le seul de la façade Atlantique habilité à déconstruire les navires à fort tonnage.
D'une superficie de 15 000 m2, il est inscrit depuis 2016 sur la Liste européenne des installations agréés de recyclage de navires qui en recense une trentaine dans l'Union européenne et douze autres en Grande-Bretagne, en Turquie et aux États-Unis.
"Nous venons de déconstruire deux bateaux et nous avons un plan de charge qui est encore important", se félicite Pierre Rolland, président de Navaleo. Le chantier prévoit la création de 10 à 15 emplois par an au cours des prochaines années.
En 2021, l'entreprise a exporté depuis Brest quelque 30 000 tonnes d'acier provenant d'opération de démantèlement de navires militaires ou "ventouses", ces bateaux en piètre état abandonnés dans les ports par des armateurs peu scrupuleux.
Eviter des démantèlements en Asie
"On peut imaginer que ces bateaux seraient partis en Asie principalement, on peut donc se réjouir que la filière de déconstruction navale à Brest se développe", souligne M. Lebosquain.
Depuis 2019, une réglementation européenne impose la déconstruction des bateaux battant pavillon européen dans un chantier agréée par l'Union européenne.
"Les choses avancent, mais il va falloir travailler concrètement avec un certain nombre d'États de l'Union européenne assez peu regardants", note cependant l'eurodéputé breton Pierre Karleskind lors d'une visite du chantier.
Des états peu scrupuleux dans l'Union Européenne
Certains États-membres contournent en effet la réglementation en changeant le pavillon de leurs navires en fin de vie afin de les faire déconstruire dans des chantiers qui proposent des prix attractifs au détriment des règlementations sociales, sanitaires et environnementales.
Au cours du premier trimestre 2022, 129 navires de charge ont été déconstruits dans le monde, relève le dernier bulletin "A la casse" de l'association écologiste. Seuls quatre l'ont été dans des chantiers agréés par l'Union européenne.
Des changements de pavillon pour pouvoir démanteler en Asie
"Les autres navires sont partis ou en partance au Bangladesh, en Inde, au Pakistan ou en Turquie", le plus souvent sur des plages aménagées, précise à l'AFP l'association.
Sur ces 129 navires, 43 ont changé de pavillon pour adopter celui d'États comme Saint-Kitts-et-Nevis, les Comores ou les Palaos afin d'échapper à la réglementation européenne, regrette Robin des Bois.
Navaleo assure cependant être de plus en plus approché par des armateurs français et européens ne souhaitant pas ou plus "dépavillonner" leurs bateaux.
"Ces armateurs nous questionnent très régulièrement et on a des projets en cours qu'on espère voir aboutir en 2023 et 2024", s'enthousiasme Pierre Rolland.