A leurs yeux, c'est une occasion manquée, doublée d'un amendement liberticide glissé dans la "loi de programmation pluriannuelle de la recherche". En Bretagne, après une grève numérique, "écran noir", les enseignants-chercheurs sont descendus dans les rues de Brest et de Roscoff.
Une quarantaine de manifestants à Roscoff, un peu plus à Brest: ce jeudi 10 décembre, les enseignants-chercheurs ont manifesté contre "loi de programmation pluriannuelle de la recherche". A Brest, les étudiants se mobilisent également contre le vote, en même temps que la loi, d'un amendement de dernière minute, qui crée un délit d'entrave sur les campus universitaires.
Statue bâchée
Chercheurs au CNRS ou doctorants, ils se sont réunis à Roscoff devant la statue de Henri de Lacaze-Duthiers, fondateur de la station biologique de Roscoff. Ils ont recouvert d'une bâche la statue du biologiste, estimant que celui qui voulait mettre la science au service du plus grand nombre n'avait plus sa place en ces lieux.
Débattu depuis un an et demi, le projet d'une programmation pluriannuelle suscitait l'espoir du monde de la recherche, qui se perçoit comme un secteur sinistré. Le texte voté en novembre a douché cet espoir, et le passage en dernière minute d'un amendement relevant du domaine du maitien de l'ordre, sans lien avec l'objet de la loi, a provoqué la colère.
Revalorisation des primes et création de 5000 emplois
Mi-novembre, les députés ont adopté la "loi de programmation pluriannuelle de la recherche", présentée comme historique par la ministre Frédérique Vidal. Il s’agissait de rattraper le retard pris dans la recherche depuis 20 ans en augmentant progressivement, sur dix ans, de 5,8 milliards d'euros, le budget actuel.
L'objectif est que la recherche publique atteigne symboliquement 1 % du produit intérieur brut de la France (contre 0,8 %), considéré comme la marque des pays développés. Le gouvernement a annoncé la création de 5 000 emplois et une revalorisation des carrières des chercheurs.
Rattrapage budgétaire repoussé à plus tard
Il est reproché à la loi de reporter l’essentiel de l’effort budgétaire sur les quinquennats suivants, donc sans véritable garantie. Il manquerait 4 milliards d’euros pour atteindre le fameux 1 % du PIB. Quant aux promesses de revalorisations salariales, elles ne permettent pas de s'aligner sur les salaires des corps de la fonction publique équivalents.
"CDD cachés"
Pour les universitaires, soutenus par les étudiants, futurs maîtres de conférence, l'effort annoncé en direction de la recherche est en trompe-l'oeil. Et les nouveaux « CDI de mission scientifique », censés remplacer les CDD à répétition, passent mal.
"Il y a une logique de précarisation de la recherche, avec de l'argent annoncé pour bien plus tard, des CDI de mission qui sont en fait des CDD cachés. Et le principe des appels à projets [pour lancer des recherches sur un sujet] est encore renforcé dans cette loi."
Craintes sur la sélection des projets de recherche
De fait, si l’émulation et la concurrence entre scientifiques sont un moteur pour la recherche, le système des appels à projet présente aussi des effets pervers: effets de mode dans la sélection des projets, rejet des travaux qui sortent de la norme. Autant d'aspects que déplorent certains chercheurs depuis plusieurs années, y compris parmi les directeurs de département d'université.
Deux amendements qui mettent le feu au poudre
L'ajout, sous forme d’amendements, de deux dispositions controversées a fini de renforcer la défiance envers la nouvelle loi. Les universités pourraient désormais recruter directement des enseignants-chercheurs sans passer par les instances nationales, où siègent notamment d'autres enseignants-chercheurs. Les universitaires redoutent un favoritisme dans le recrutement, et des passe-droits.
"Le recrutement va être un jeu de loterie [...] avec parfois, des choix qui sont politiques [...] ça va fabriquer un système plus inégalitaire"
Deuxième amendement controversé: l’intrusion dans un établissement d’enseignement supérieur serait désormais pénalisée, ce qui pourrait empêcher la tenue d'assemblées générales et d'autres mobilisations étudiantes sur les campus.