Finistère, le plus grand champ d’algues d’Europe : les promesses du nouvel or bleu

Le Finistère abrite le plus grand champ d’algues d’Europe. Ces plantes révélent des vertus d'une incroyable richesse. Elles offrent des espoirs dans de nombreux domaines : de la cosmétique à l’alimentation, et de la santé à l’agriculture.
 
 


Julien Raccault est né, il y a près de 30 ans, sur la côte déchiquetée du Finistère, entre Brest et les abers. Il a passé son enfance sur les plages, et à surfer.
"Je suis un enfant de la mer. Très tôt, je me suis intéressé aux algues. Ce sont les premières formes de vie. C'est l'alliance entre la biologie et la chimie."

Les algues sont de véritables usines biochimiques, et de super aliments.

Après des études de physique-chimie, lors d’un voyage en Afrique, Julien découvre les pouvoirs, les vertus et la diversité des algues: "Quand je suis rentré, j'ai vu le littoral breton autrement. Ici il y a des algues de toutes les couleurs, de toutes les textures, de tous les goûts. C'est une richesse incroyable !".

Aujourd'hui, il les cueille sur le rivage, tel un maraîcher de la mer. 
En 2013, Julien a créé sa société Algo Manne. Il commercialise différentes espèces d’algues déshydratées, comme des légumes de mer prêts à être consommés : Wakame, haricots de mer, kombou royal...  Il les vend en magasins bio, sur les marchés locaux, aux restaurateurs, ou sur internet.

Les algues concentrent dix fois plus de sels minéraux que les légumes. Elles fabriquent de grandes qualtités de proéines, et de vitamines.

Comme lui, ils sont près de 80 récoltants d'algues de rives sur les côtes du Finistère.   

Philippe Potin, lui est Brestois. Enfant, dans les années 70, il faisait déjà les gestes de Julien."Je passais toutes mes vacances à récolter des algues rouges, pour les entreprises locales qui fabriquaient des gélifiants. Et je me passionne pour les algues depuis 30 ans. Je m'intéresse à leur fonctionnement. Ces organismes sont apparus avant les végétaux, et aujourd'hui on redécouvre leurs vertus connues il y a 15 000 ans, et on en découvre de nouvelles. Ce sont des ressources pour l'alimentation, l'agriculture ou la santé."

Aujourd'hui, Philippe Potin est directeur de recherche à la station biologique de Roscoff. C'est l'un des plus grands spécialistes des algues en France.

Il dirige le projet Idealg avec huit laboratoires de recherche et une trentaine d’entreprises : "On a décrypté plusieurs génomes dans le but de développer de nouvelles applications. On essaye de mieux comprendre la composition et identifier les principes actifs des algues et la valorisation des matériaux."
 
 

Une richesse pour la Bretagne


La Bretagne est la troisième puissance mondiale dans le domaine des algues en terme de biomasse disponible et récoltée après le Chili et la Norvège. 

Mais pourquoi les algues sont-elles aussi nombreuses dans le Finistère ? 
"La Bretagne est à la frontière d’eaux tempérées chaudes et froides", explique Philippe Potin, "et la mer d’Iroise a peu d’échanges avec les eaux du large. Cette poche tempérée est  à l’abri du réchauffement des océans. C'est un environnement idéal pour les algues. On en a identifié plus de 700 espèces d’algues en mer d’Iroise, autour de l'archipel de Molène, dans le parc marin!"

Des Laminaria Digitata, des  Hyperborea, Sacarina, Condrus, Crispus, Veva Lacuca... des algues aux noms bizarres vivent sur cette côte entre la surface de la mer et 15 mètres de profondeur. Des algues de toutes les formes, de toutes les longueurs, de toutes les couleurs. "On les utilise depuis des siècles" explique Philippe Potin. "Elles ont servi à amender les terres agricoles, à fabriquer du verre, ou même les premiers désinfectants à base d’iode."

Aujourd’hui, en mer, des équipages de goémoniers puisent environ 65 000 tonnes de laminaires chaque année, soit 15 % des algues récoltées dans le monde. La plupart sont débarquées dans le port de Lanildut.


Lanildut : premier  port de débarquement d’algues d’Europe

 

Yvon Troadec lui, est pêcheur goémonier depuis 1991. Il pêche jusqu'à 30 tonnes de laminaires par jour, autour de l’archipel de Molène. Son bateau est équipé d’un scoubidou, une tige qui enroule les grands laminaires sur le fond.  

Le prix de l’algue est négocié avant la saison et la demande augmente.
"Cela rapporte plus que la coquille Saint-Jacques, explique Yvon. On est payé à la tonne, 45 à 50 euros par l’usine de Landerneau."

C’est un métier en pleine expansion car il y a de plus en plus de demande des industriels.

​​​​C’est un enjeu économique majeur. Il faut donc pérénniser la ressource et les entreprises. Les jours de pêche et de récolte ainsi que le nombre de bateaux autorisés sont imposés par le Comité des pêches du Finistère, en fonction des recommandations des scientifiques de l’Ifremer.   
 

L’Ifremer assure la pérennité de la ressource


Depuis 12 ans, Martial Laurans, biologiste chercheur à Brest, analyse l’état de santé des différentes espèces d’algues, notamment celui des laminaires (laminaria digitata et laminaria hyperborea) très demandés par l’industrie. 

Selon lui, autour de l’archipel de Molène le volume de laminaire serait de 350 000 tonnes : une énorme concentration.
"Les goémoniers exploitent les laminaires de façon très raisonnable. Et les algues qui ont un cycle de vie assez court, entre 5 et 10 ans. En fonction de l’état de la ressource, chaque année, on propose des quotas et les Comites des pêches les respectent." 

On a une ressource de très belle qualité et des potentiels d’exploitation importants.

 

Un marché alimentaire en plein boom


Une quarantaine d’entreprises se partagent le marché breton de la transformation des algues. Un secteur qui génère plus de 600 emplois dans le Finistère.
Implantée à Lannilis depuis 2014, Algaïa se consacre à 85 % au marché de l’industrie  alimentaire. 

La société est spécialisée dans la production et la valorisation des sucres produits par les algues, les alginates. Algaïa fabrique des gélifiants et des texturants pour la pâtisserie ou la reconstitution de viande. Fabrice Bohin, directeur général et fondateur de cette société de 95 salaries affiche un chiffre d’affaires croissant est de 20 millions d’euros : "On vend nos produits à 90 % à l’export, dans plus de 45 pays dans le monde."

"Les algues sont utilisées pour leurs multiples vertus dans l'industrie alimentaire", explique Philippe Potin, le chercheur de la station biologique de Roscoff. "On les utilise pour que les glaces fondent moins vite, pour dégraisser et reconstituer les viandes à froid, ou encore pour immobiliser les levures dans les champagnes et bières, pour assurer une clarté des boissons." 

Les algues sont aussi de plus en plus utilisées par l'industrie cosmétique, en quête d'ingrédients de plus en plus naturels.
 

L’industrie cosmétique : un débouché en vogue

 

Implantée depuis 1994 à Plouguerneau, Agrimer développe son secteur des produits actifs destinés aux cosmétiques.

"Les algues doivent se défendre contre leur environnement, contre la lumière, la déshydratation. Nous utilisons leurs vertus" explique Laetitia Tetedoux, responsable marketing d'Agrimer.

Dans cette usine, on extrait les molécules des algues pour les insérer dans les crèmes solaires, des crèmes anti-âge, ou anti-inflammatoires. On fabrique des agents de texture pour les produits cosmétiques, en favorisant la production de nouveaux collagènes pour une meilleure élasticité des tissus. 

Agrimer vend ses molécules issues des algues à 200 fabricants de cosmétiques, dont les plus grandes marques comme Clarins, Sothys ou Séphora. Des produits made in France, naturels et efficaces. L’algue est dans l’air du temps et le marché est florissant. Cette PME de 50 personnes affiche un chiffre d’affaires en hausse de 11% par an. 


Un avenir pour une agriculture plus propre


"Les algues sont des usines biochimiques naturelles. On a découvert qu'elles fabriquent des sucres et des protéines qui stimulent la croissance des plantes", explique le biologiste Philippe Potin. "Les biostimulants évitent l'utilisation des engrais, et rendent les plantes plus résistantes aux maladies."

En Europe, 6 % des terres agricoles utilisent ces produits. Ce qui répond à une demande croissante de réduction des intrants.


Les algues s'immiscent de plus en plus dans l'agriculture. "Aujourd’hui", explique Laetitia Tetedoux, responsable marketing d'Agrimer, "on utilise des concentrés de laminaires aqueux dans l’agriculture pour favoriser le maintien des graines au sol et protéger les plantes contre les maladies, ou pour augmenter le taux de sucre du raisin, et simuler la croissance des plantes."

Agrimer a aussi réussi à "intégrer des produits à base d’algue dans la nourriture des porcs, ou des crevettes. Leurs protéines permettent d’améliorer la qualité de la chair."

"La société Olmix, quant à elle, fabrique des compléments alimentaires à base d'algues vertes et rouges pour renforcer l'immunité des animaux d'élevage" ajoute Philippe Potin. "Et tout cela permet de développer une agriculture plus verte." 

 

Les algues : une révolution médicale

 

A sein de son projet scientifique Idealg, Philippe Potin travaille main dans la main avec les indutriels. Le monde médical est à la recherche de nouveaux matériaux naturels. Et les algues révélent des propriétés insoupçonnées.  

"Les propriétés gélifiantes des algues", explique le chercheur, "sont utilisées dans la fabrication de dispositifs médicaux comme des masques d’empreintes dentaires, des  pansements gastriques, et aussi en chirurgie. On utilise les sucres des algues, les alginates, pour remplacer des produits toxiques dans les colles chirurgicales." 

Dernière découverte dévoilée par le chercheur : les alginates peuvent servir de ciment pour reconstituer un tissu artificiel avec des cellules vivantes, ou même des organes comme le pancréas, le pavillon d'une oreille, ou même une valve cardiaque. "Et une fois greffé, il n’a pas de rejet !"
 

Comment protéger la ressource à long terme ?

 

La demande s’accroit sans cesse. Pour péreniser la ressource, les industriels eux-mêmes commencent à rationnaliser l’utilisation des algues. Car pour la plupart des produits on utilise que 30 % de la plante. "Algaïa cherche à valoriser la cellulose située dans l’écorce de l’algue" explique Jean-Baptiste Wallaer, le directeur de l’usine.

L'algoculture sera sans doute une alternative. Deux fermes existent déjà sur les îles de Quéménès et Ouessant. Selon Philippe Potin, "la culture industrielle d'algues dans les bassins en mer ou sur terre balbutie. Elle serait pourtant nécessaire pour combler les besoins grandissants de l'industrie."

 

Un réseau financé par l’Europe

Devant les promesses économiques des algues, un cluster vient d’être créé dans la région de Brest. Un réseau intégrant la ville, le technopole de Brest, les scientifiques, les récoltants, et les producteurs. Financé par l’Europe et la Région Bretagne, le cluster algues a pour mission de développer la filière, valoriser la richesse marine de ce territoire. L’idée est de favoriser la création de nouvelles activités, de nouveaux emplois. 

L’avenir de la filière algue est prometteur. C’est une matière première renouvelable, naturelle. 

Sans les microbes, les  animaux et les végétaux, nous ne sommes rien. Les algues sont un espoir pour l’humanité, affirme Philippe Potin

"Les algues sont une alternative aux produits chimiques, aux dérivés du pétrole. Une solution pour une planète plus durable."

 
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