"Il y a toujours un partenaire qui va faire céder l’autre", les violences psychologiques, un risque mal connu des professionnels

Dans le Finistère, les violences intra-familiales sont en forte augmentation selon la préfecture. Pour une meilleure prise en charge des victimes, une formation organisée à Brest ce vendredi 5 avril 2024, visait à mieux faire appréhender aux professionnels du secteur le sujet des violences psychologiques.

600 faits supplémentaires liés à des violences intrafamiliales : c'est le constat alarmant établi par la préfecture du Finistère dans son bilan de la délinquance et de l'activité des services de sécurité en 2023. Une hausse continue des violences intrafamiliales, à laquelle sont confrontés au quotidien professionnels du secteur, gendarmes, éducateurs et acteurs judiciaires. Pour permettre une meilleure prise en charge des victimes, une formation a été organisée à Brest le vendredi 5 avril 2024, dans le cadre du plan stratégique national de lutte contre la délinquance.

Différencier conflit et violences

Cette formation, déjà organisée à Morlaix en 2023, est en partie née du constat de Stéphanie Le Bouffos, juge des enfants, passée par le pénal et les affaires familiales : "Je me suis aperçu que le mot 'conflit' était employé de manière extrêmement courante par un ensemble de professionnels, dont les magistrats, et qu'il contribuait à ce que des décisions soient prises avec des effets assez nuls ou bien des effets, voire contre-productifs."

Comment créer du dialogue et en même temps comment orienter ?

Margaux Helies

Travailleuse sociale

Un sujet auquel est confrontée au quotidien Margaux Helies, conseillère en économie sociale familiale employée dans un centre d'action sociale. La travailleuse sociale doit se poser de nombreuses questions : "Comment déceler un conflit familial d'une violence intrafamiliale ? Et puis comment appréhender tout ça, comment discuter, comment créer du dialogue et en même temps comment orienter ?"

Si on nomme correctement les choses, les décisions les plus adaptées peuvent être prises.

Stéphanie Le Bouffos

Juge des enfants

D'où la nécessité de monter en compétence pour les professionnels du secteur et d'abord de "savoir définir la violence à partir de critères précis et d'abord, la distinguer du conflit. Le conflit est une situation où la négociation est possible entre les deux partenaires, alors que pour la violence, il y a toujours un partenaire qui va faire céder l’autre", selon Pierre-Guillaume Prigent, docteur en sociologie à l’Université de Bretagne occidentale. 

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Bien nommer les faits permet ensuite de mieux agir comme l'illustre cet exemple parlant, développé par Stéphanie Le Bouffos : "Si on nomme correctement les choses, les décisions les plus adaptées peuvent être prises et peuvent conduire à ce que les enfants restent avec le parent protecteur, et ne soient pas confiés à la garde du parent agresseur."

Car les violences intrafamiliales ne sont pas seulement physiques mais aussi mentales et psychologiques, comme de l'isolement, du contrôle ou de l'intimidation. C'est ce qu'a constaté Pierre-Guillaume Prigent. Ces femmes "étaient dévalorisées par leur conjoint, rendues responsables de la situation, effectivement plongées dans un état de confusion. Leur conjoint peut les faire passer pour folles ou alors les faire devenir folles en les manipulant."

Et faire par ce biais basculer les prises de décision. Selon Stéphanie Le Bouffos, "on peut avoir un agresseur ou une agresseuse qui va disqualifier sans cesse l'autre parent, l'autre conjoint, et dans la disqualification, il emporte avec lui ou ill peut emporter les différents professionnels Qui vont avoir à accompagner la famille, voire à prendre des décisions par rapport aux enfants."

Changer les représentations

Au-delà d'un besoin de formation, Pierre-Guillaume Prigent pointe la nécessité de sortir des idées reçues sur le sujet des violences intrafamiliales. Selon le chercheur, qui s'est entretenu avec des femmes victimes de violences conjugales, "ce qui caractérise justement la violence conjugale, c’est qu'en fait, ça produit de la confusion chez les gens qui en sont victimes. Il y a des mécanismes sociaux qui font qu’on a tendance à minimiser ou à la justifier, en disant 'c’était juste une gifle' par exemple."

Cette formation donne aussi l'opportunité de sortir des clichés et de pouvoir appliquer ces enseignements dans la pratique professionnelle. Margaux Helies s'est rendue compte "qu'on avait tendance à essayer de protéger l'enfant en l'excluant en fait des violences conjugales et dire 'C'est les affaires de papa et maman' et finalement non, c'est les affaires de toute la famille."

La travailleuse sociale a aussi été sensibilisée à de nouveaux sujets, parmi lesquels la surveillance à distance. "Je n'étais pas au courant du tout qu'on pouvait arriver à ce stade-là. Il y aussi le fait de ne pas croire, de ne pas forcément poser le mot 'violence' sur quelqu'un, de ne pas juger. C'est important de toujours se questionner et d'apprendre toujours parce que finalement, on peut dans notre travail se complaire dans quelque chose et remettre un projecteur dessus est hyper important. "

Des évolutions timides pour le moment

La formation donne également à ces professionnels l'occasion de se projeter vers l'avenir, et de voir quels besoins sont à combler, comme celui de créer un lien étroit entre tous les professionnels. D'après Margaux Helies, "tout le monde a un rôle et se renvoyer la balle n'est pas forcément le plus utile et que tout le monde puisse prendre en tout cas son rôle à cœur et protéger leurs enfants et les personnes victimes de violence."

Des évolutions sont déjà visibles, par exemple, note Pierre-Guillaume Prigent, "on ne parle plus de drame passionnel mais de féminicide en ce qui concerne la pointe de l'iceberg la plus grave mais pour le reste, il y encore des efforts à faire pour sortir de visions anciennes ou déformées de la violence." Une prochaine session de formation est déjà prévue l'année prochaine dans le secteur de Quimper.

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