C'est une mission scientifique tout à fait inédite qui est rentrée à Brest ce 10 juin 2024. À bord d'un voilier spécialement affrété, quatre marins ont récupéré en haute mer une dizaine de balises de mesure qui arrivaient en fin de vie et allaient bientôt se transformer en déchets au fond de l'océan.
Il y en a près de 4 000 en mer à faire le yoyo entre des profondeurs de 6 000 mètres, et la surface. Les balises du programme mondial Argo, déployées par la communauté scientifique internationale dans tous les océans du globe, servent à analyser l'eau, notamment sa salinité et sa température.
Ce réseau d'observation, le seul à observer en permanence les évolutions de l'océan en profondeur, a permis une avancée des connaissances et des prévisions climatiques et météorologiques.
Des balises en passe de devenir des déchets
Mais ces flotteurs, même en n'affichant pratiquement aucune trace d'usure, ont passé plusieurs années dans l'Atlantique Nord, et s'apprêtent aujourd'hui à devenir des déchets. "Ce sont des appareils autonomes, qui fonctionnent sur batterie, donc avec des piles au lithium à l'intérieur, explique Noé Poffa, le chef de cette mission Naarco, et ils n'ont pas la possibilité de régénérer eux-mêmes leur électricité. C'est variable selon les modèles, mais au bout de sept ans en mer, on arrive à épuisement des batteries, l'appareil est perdu et il va couler au fond de l'océan après un certain moment."
Un bateau pour aller chercher les balises en mer
Pour essayer de changer cette réalité, Ifremer et Euro-Argo ont donc affrété le Morskoul, dans le but de récupérer une dizaine de balises en fin de cycle entre Brest et les Açores. Une mission inédite pour les trois marins du catamaran, dédié aux expéditions scientifiques. "Même par grosses conditions, on a récupéré parfois par trois mètres de creux et ça s'est plutôt bien passé, même l'aspect détection, relate Charles Caby, marin sur Morskoul. On avait un peu peur, car dans la houle, c'est relativement petit et ça peut être difficile à détecter. Là ça s'est bien passé. Le plus long temps mis pour une récupération, c'est 25 minutes."
Des balises prêtes à être recyclées
Les balises récupérées, qui valent chacune entre 20 000 et 40 000 euros, vont rejoindre les locaux d'Euro Argo, près de Brest pour évaluer tout ce qui est en état de resservir. "On est très surpris, les instruments sont en très bon état, note Romain Cancouët, ingénieur opérationnel pour Euro Argo. Donc, on a bon espoir, en changeant les batteries, en modifiant les calibrations, en changeant certaines pièces, de pouvoir les redéployer à nouveau. Et dix flotteurs, poursuit l'ingénieur, ça n'est pas rien. C'est une grosse contribution, c'est l'équivalent par exemple de la contribution annuelle de la Norvège au programme Argo.
Une campagne reconduite si elle s'avère rentable
La pollution marine des balises reste malgré tout très faible au regard du bénéfice scientifique apporté et surtout sans commune mesure avec la pollution générée par les quelque 1 500 conteneurs, selon les estimations, perdus en mer chaque année. Cette campagne s'inscrit dans la démarche de réduction de l'impact environnemental des activités océanographiques françaises, avec l'ambition affichée de réduire de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2035. Si elle s'avère rentable en plus de réduire les déchets scientifiques, la mission qui vient de s'achever après 25 jours de mer pourrait bien être poursuivie.
(Avec Mathieu Herry)