Des lingots d'or, pillés il y a 40 ans dans l'épave du Prince de Conty, ont été retrouvés après leur mise aux enchères par une maison de vente américaine. Trois Français ont été mis en examen, annonce, ce mercredi, le parquet de Brest en charge du dossier. Le navire de la Compagnie française des Indes orientales avait coulé au large de Belle-Ile en 1746.
Des lingots d'or présentés, ce mercredi, dans la salle d'audience du tribunal de grande instance de Brest, l'affaire n'est pas ordinaire. D'autant qu'ils proviennent du pillage de l'épave du Prince de Conty.
Le navire de la Compagnie française des Indes orientales, de retour de Chine, a sombré corps et biens, à la pointe sud de Belle-Ile-en-Mer, le 3 décembre 1746. Sur les 229 hommes à bord, seuls 45 survivent au naufrage. Le navire est englouti par les eaux bretonnes, emportant avec lui des trésors inestimables.
Alors comment et pourquoi ces cinq lingots, d'une valeur estimée à 231.000 dollars, peuvent-ils aujourd'hui se retrouver entre les mains du procureur de la République de Brest, Camille Miansoni ?
L'enquête
Il faut remonter à février 2018, année où le DRASSM (Département de recherches subaquatiques et sous marines) signale au procureur de Marseille la vente aux enchères de ces lingots aux Etats-Unis. Le dossier revient, deux ans plus tard, au parquet brestois qui dispose de la compétence de juridiction du littoral spécialisée (JULIS).
Une enquête est ouverte, confiée conjointement à l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels et au groupement interministériel de recherches de Bretagne.
Les investigations sont longues et minutieuses. Camille Miansoni salue "la veille scientifique, culturelle et archéologique du DRASSM grâce à laquelle ce dossier est né".
L'enquête permet d'identifier "un groupe de personnes françaises et américaines, liées par des relations familiales et d'affaires, auquel appartient la vendeuse des lingots aux Etats-Unis" indique le procureur de Brest. Parmi elles, se trouve aussi un ancien plongeur-photographe professionnel, "déjà suspecté mais mis hors de cause dans le dossier relatif au pillage du Prince de Conty qui avait été jugé en novembre 1983 par le tribunal de Lorient".
Le travail des enquêteurs rayonnent sur la Suisse, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Il fait apparaître que "de grands établissements culturels de renommée internationale, dont le British Museum, ont acquis auprès de ce groupe identifié des lingots et des objets appartenant au navire" précise Camille Miansoni.
Une perquisition "au domicile du principal mis en cause" atteste de ces transactions.
Le 17 mai 2022, un couple et une femme, âgés de plus de 70 ans, sont placés en garde à vue. Les trois Français sont mis en examen le lendemain pour "recel de biens culturels provenant d'un vol en bande organisée, exportation illégale de biens culturels et blanchiment". Ils encourent 15 ans de réclusion criminelle.
La restitution
La restitution officielle des lingots d'or par les Etats-Unis s'est déroulée le 2 mai dernier à l'ambassade de France à Washington, avant que la justice ne s'en saisisse puis ordonne, le 27 mai, qu'ils soient remis au DRASS. "Cette restitution constitue une étape importante dans le dossier qui est toujours en cours" note le procureur de la République de Brest. Lequel rappelle que "d'autres objets sont encore détenus à l'étranger alors qu'ils ont vocation à réintégrer les collections patrimoniales françaises". Il pointe notamment le British Museum, à Londres, qui n'a pas donné suite aux demandes de restitution opérées par la justice.
De son côté, le DRASSM ne cache pas sa satisfaction de voir ces vestiges précieux rentrer enfin dans les collections publiques. "Ce sont de très belles pièces, observe Olivia Hulot, conservatrice du patrimoine des littoraux de Bretagne et Loire-Atlantique. C'est le public qui va en bénéficier car elles seront bientôt exposées". Notamment au musée départemental Arles antique, dans les Bouches-du-Rhône, à l'automne prochain. Elles pourraient ensuite rejoindre le musée de la Compagnie des Indes à Lorient, dans le Morbihan.
Les fouilles
Le Prince de Conty n'a pas encore livré tous ces secrets. Les fouilles dirigées par le DRASSM sont rendues difficiles dans cette zone de Belle-Ile, "particulièrement mouvementée" constate Olivia Hulot. Le navire gît par 10 ou 15 mètres de fond, "sur une couverture de galets et les vestiges y sont fragmentaires".
Les première recherches, au milieu des années 80, mettent néanmoins à jour des milliers de fragments de porcelaine de Chine du règne de l'empereur Qianlong, des bribes de caisses de thé et... trois petits lingots d'or pesant chacun de 368 à 375 grammes.
Ce sont eux qui ont permis de relier les cinq lingots retrouvés aux Etats-Unis au navire de la Compagnie françaises des Indes Orientales. "Nous avons fait une étude comparative, explique Olivia Hulot. Ils sont similaires à ceux que l'on présente aujourd'hui".
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