Pierre Decroo dit volontiers qu'il n'a pas fait les choses dans le bon ordre. L'homme est arrivé par hasard dans le tennis de haut niveau où il a mené la belle vie et entraîné le 20e mondial. Jusqu'où jour où il a tout plaqué pour la musique. Le Brestois sort son premier album à 52 ans. Rencontre.
Posé sur le piano, un livre de Sempé. "Garder le cap". Le titre colle plutôt bien à Pierre Decroo qui n'a jamais perdu de vue son rêve de devenir musicien. Il a mis 25 ans à se glisser dans la peau d'un auteur-compositeur-interprète, à trouver ses marques pour jouer sur un terrain qui n'est pas le sien. Et qui lui va comme un gant.
Lui, dans une autre vie, pas si lointaine, il écumait surtout les surfaces en terre battue, gazon ou synthétique. A 52 ans, cet ancien entraîneur de tennis de haut niveau a troqué la raquette contre une guitare, un carnet à spirales et un stylo qu'il garde à portée de main. "Des notes, j'en ai partout, sourit-il. J'ai toujours écrit des trucs sans que cela soit très fantastique. Pour composer, il faut être disponible dans sa tête. Et à cette époque, je ne l'étais pas vraiment".
Sur le tard
C'est à Brest, sa ville d'adoption, que Pierre Decroo présentera son premier mini-album à la fin du mois de janvier. Un EP de cinq titres, Détours, patiemment construit à l'ombre du pont de Recouvrance, dans son appartement avec vue sur la Penfeld.
Enfin, ce jour-là, quand nous nous rencontrons, l'horizon est brouillé par un crachin tenace. Un thé ne sera pas de refus. Nous nous attablons dans la cuisine pour dérouler le fil d'une histoire aux multiples tiroirs. Sous le regard en noir et blanc de Bob Dylan.
Par où commencer ? Le tennis ? Un sport qu'il a démarré sur le tard, à Paris. "Je me suis vite rendu compte que je ne ferais pas une grande carrière pro en tant que joueur". Peu importe. Pour remplir le frigo, il enquille les tournois, donne des cours dans les clubs et passe par la case formation pour devenir entraîneur de haut niveau.
Il a 27 ans quand il croise son destin aux Internationaux de Brest. Et la route du tennisman français Jérôme Golmard. "Il cherchait quelqu'un pour s'entraîner, se souvient Pierre Decroo. C'était un mec assez à part sur le circuit. Un peu comme moi. On a accroché tout de suite".
Chez Agassi
Le pacte est scellé. Ces deux-là ne vont plus se quitter. Ils sautent d'un continent à l'autre, enchaînent les tournois ATP. Et les résultats suivent. "En trois ans, Jérôme est passé de la 90e à la 20e place mondiale. Je faisais tout : préparateur physique, entraîneur. Il n'y avait pas autant de staff qu'aujourd'hui".
Quand ta vie se résume à 'aéroport-hôtel-stade-hôtel-aéroport', cela finit par être lassant et bien frustrant
Pierre Decroo
Lors d'une tournée de deux mois aux Etats-Unis, Pierre Decroo reçoit un appel du coach d'Andre Agassi qui propose à Golmard d'être le partenaire d'entraînement de l'Américain. "On est restés une dizaine de jours chez lui. Dit comme cela, ça paraît dingue, s'amuse le Brestois. Mais cela n'avait rien d'exceptionnel. Cela faisait partie du boulot".
Avions privés, strass, paillettes, argent... De quoi vite se perdre dans un tourbillon "qui ressemble à tout sauf à la vie, analyse Pierre Decroo. Je ne regrette rien mais quand ton quotidien se résume à 'aéroport-hôtel-stade-hôtel-aéroport', cela finit par être lassant et bien frustrant, qui plus est dans ce milieu très individualiste. Il me manquait quelque chose".
Tout plaquer
Pour garder les pieds sur terre, l'ancien coach achète "une petite maison à retaper" sur la presqu'île de Crozon. Elle lui sert de refuge, entre deux voyages. "J'avais besoin d'un lieu fixe, loin de toute cette frénésie" confie-t-il.
Quand une blessure éloigne Jérôme Golmard du circuit pour un bon moment, Pierre Decroo remise définitivement son sac de sport au placard. Il n'a plus la flamme. Ni l'envie. "Et là, je me dis : musique !". Il ressort la guitare, s'essaie à la composition mais n'arrive pas à "trouver le ton". A défaut, le voilà roadie sur des concerts. Puis régisseur général pour la mairie de Brest et le Fourneau, le centre national des arts de la rue.
Les années filent. Jusqu'à ce jour de 2018 où il plaque tout pour se lancer. "Cette année-là, j'ai perdu un ami cher et je me suis dit que je devais foncer". A l'aube de ses 50 ans, Pierre Decroo ne veut plus remettre à plus tard. Plus le temps.
Miossec dans les parages
Il compose textes et mélodies et part en quête d'un arrangeur pour ses chansons. Les Internationaux de Brest avaient placé Jérôme Golmard sur son chemin. Cette fois, c'est à la gare que tout se joue.
Alors qu'il s'apprête à monter dans un train direction Paris, Pierre Decroo tombe nez à nez avec Vincent Roudaut. Le guitariste professionnel fut jadis l'un de ses élèves quand il officiait encore dans le tennis. La petite balle jaune sert de point de départ. La discussion vire rapidement vers la musique. "A partir de là, on a constitué un groupe. Vincent a géré les arrangements et on a enregistré les titres".
Si Miossec m'a ouvert sa porte, je me suis dit que je ne devais pas trop faire de la merde !"
Pierre Decroo
Pierre Decroo "file les bandes" à Miossec. Sans trop y croire. Le chanteur brestois accroche et lui propose de jouer en première partie du dernier concert de sa tournée dédiée aux 25 ans de l'album Boire. On est en mai 2022. L'ancien coach de tennis se retrouve sur la scène du mythique Vauban. Seul avec sa guitare. "Je me suis battu comme un dingue pour en arriver là, relève-t-il. J'avais besoin du retour d'un pro. Si Miossec m'a ouvert sa porte, je me suis dit que je ne devais pas trop faire de la merde !".
Matière
Avec une pop aérienne et élégante, qui emprunte parfois au jazz, des textes qui racontent des morceaux de vie, Pierre Decroo a finalement trouvé le ton. Un premier clip vient même de voir le jour. Tourné à Brest, du côté des cabanes de pêcheurs de Maison-Blanche.
Depuis le balcon de son appartement, Pierre Decroo observe le pont de Recouvrance. Et mesure le chemin parcouru. "J'ai tout monté tout seul, souffle-t-il. Le disque est prêt. Maintenant, j'ai de la matière à proposer, montrer et écouter". Et des titres en réserve pour tenir la scène. Comme ce morceau écrit à Noël en deux jours. "Parfois, ça vient, comme ça. Parfois, c'est plus laborieux".
Quand il bloque sur l'écriture, l'artiste enfile ses baskets et avale les kilomètres. Histoire de regarder les choses sous un autre angle. De gommer le doute. Et de garder intacte l'énergie du sportif qui ne l'a jamais quitté.