Pendant des mois, Manon a subi les agressions sexuelles d’un militaire de la Marine nationale qui travaillait sur le même navire qu’elle. La jeune femme a décidé de prendre la parole pour se reconstruire et pour que les choses changent enfin.
Ce jour de 2019, quand elle a embarqué sur le Telenn Mor à Brest, Manon Dubois était la seule femme à bord, mais cela ne lui faisait pas peur. Elle avait 18 ans et elle entrait dans la Marine nationale.
"Un milieu d'hommes"
"Les hommes avaient eu un speech, se souvient-elle, on leur avait dit, 'Attention, c’est une femme'. Moi, je leur ai dit, 'les gars, c’est un milieu d’hommes, je sais où je mets les pieds. Je pense tout comme vous, je fais les mêmes blagues que vous'. C’est ça qui a fait que je me suis tout de suite bien entendu avec l’équipage" relate-t-elle.
Sur le navire, Manon Dubois est cuisinière et au départ, tout se passe bien. "Le seul qui avait le droit de rentrer dans ma cuisine, c’était l’électricien. Il venait souvent, on s’entendait bien."
Et puis les choses ont commencé à déraper. "Ça a commencé par des conversations sur le sexe, puis il m’a montré des vidéos pornos, puis il a eu des gestes" décrit la jeune femme.
Un comportement malsain
"Il avait un comportement malsain, gênant. Il n’était pas violent, pas méchant, mais malsain". Manon Dubois raconte qu’il lui offrait des cadeaux à connotation sexuelle, des petites queues de chat ou de lapin. Ses mains devenaient de plus en plus baladeuses.
Je n’arrivais pas à ne pas me laisser faire, et en même temps, le fait de ne rien faire, je me laissais faire
Manon Dubois
Manon Dubois ne sait alors pas quoi faire. Elle ne veut pas passer pour une pleureuse. "Je figeais, se remémore-t-elle, je me détachais complètement. Je n’arrivais pas à ne pas me laisser faire, et en même temps, le fait de ne rien faire, je me laissais faire."
Il collait son sexe contre le mien, me disait que j’étais sa chose et que je lui appartiendrais toujours
Manon Dubois
Son agresseur se fait de plus en plus pressant. "Il m’enfermait dans la cuisine, me posait sur le plan de travail et me touchait. Il collait son sexe contre le mien, me disait que j’étais sa chose et que je lui appartiendrais toujours."
Faute de trouver les mots, la jeune militaire choisit de garder le silence en attendant que l’électricien quitte le navire. "C’était une façon de me dire que cela n’était pas arrivé, une façon d’enterrer ça sous le tapis. "
Quand enfin il s’en va, elle respire à nouveau. Mais vient le jour où c’est à elle de changer de bateau. Elle est nommée sur Le Normandie et y retrouve son agresseur. "Il était là, en face de ma chambre. Et une nuit, ça a été la fois de trop, souffle la jeune femme, je me suis effondrée."
"J'ai arrêté ma carrière, pas lui"
Manon Dubois va voir ses supérieurs et porte plainte. À la demande de sa hiérarchie, l’homme n’est pas poursuivi devant le tribunal correctionnel, (qui pourrait entraîner une inscription sur son casier judiciaire et donc une radiation de l’armée), mais il est jugé dans une procédure de composition pénale.
Il est condamné à suivre un stage de lutte contre le sexisme et les violences faites aux femmes et à verser 600 euros de dommages à sa victime.
"Ces choses-là ne sont pas normales, s’offusque Manon Dubois, c’est la victime qui est écartée pas le coupable parce que moi j’ai été débarquée du bateau, j’ai arrêté ma carrière, pas lui… C’était toute ma vie, j’aimais la Marine."
Elle a décidé de briser le silence. "Je ne pourrai pas oublier, mais j’essaye de me reconstruire, explique-t-elle, ça ne sert à rien de mettre sa vie sur pause. Si je fais ça, c’est un peu pour moi, c’est surtout pour aider celles qui ne peuvent pas parler, pour que cela ne se reproduise pas."
Depuis 2014, l’armée s’est dotée d’une cellule de lutte contre les violences sexuelles. En 2023, 220 signalements ont été recensés, dont un tiers pour des faits de viol.
Aujourd’hui, les femmes représentent 20% des effectifs dans l’armée.
(Avec Eric Aubron)