Thierry Lemétayer se bat, depuis 17 ans, pour connaître la vérité sur le naufrage du Bugaled Breizh. Le combat d'une vie, pour son père qui, comme quatre autres membres d'équipage, a péri en mer ce 15 janvier 2004. De l'enquête qui s'ouvre à Londres, ce 4 octobre, il espère et attend beaucoup.
Le 4 octobre, Thierry Lemétayer traversera la Manche, direction Londres. La Manche, comme un symbole. Cette mer maudite dans laquelle, le 15 janvier 2004, son père a disparu lors du naufrage du Bugaled Breizh. Georges en était le mécanicien. Et c'est pour lui que le fils se bat depuis dix-sept ans afin de lever les zones d'ombre sur ce drame qui a coûté la vie à cinq membres d'équipage. "J'ai une dette envers mon père" dit-il, sobrement.
A bras-le-corps
Alors que la justice française ferme définitivement le dossier en 2014 par un non-lieu, confirmé deux ans plus tard par la cour de cassation, la justice britannique, elle, décide de poursuivre l'enquête. Et c'est à Londres que cette inquest va débuter pour trois semaines. "C'est inespéré, trois semaines, souligne Thierry Lemétayer. Ce que la France nous a refusé, la Grande-Bretagne nous le donne".
Le fils du mécanicien a vraiment pris le dossier à bras-le-corps en 2007. Jusque-là, il avait toujours pensé "qu'il y avait une volonté de trouver les coupables. J'étais bien naïf" confie-t-il. A l'époque, une information judiciaire est ouverte à Quimper et conclut à un accident de pêche, théorie validée par le bureau d'enquêtes sur les événements de mer (BEAmer).
Il y a des éléments qui montrent que nous ne sommes pas dans le fantasme depuis toutes ces années
Les familles des marins font bloc contre cette volonté de la procureure quimpéroise de classer l'affaire. "Et puis notre avocat a commencé à parler de non-lieu, si l'on continuait la procédure, ça m'a révulsé, explique Thierry Lemétayer. Je trouvais que cette idée arrivait bien vite. On a changé d'avocat et on a sérieusement exploré la piste d'un accrochage par un sous-marin en exercice dans la zone de pêche du Bugaled". Une piste qu'il n'abandonnera jamais.
"Cette porte-là, je ne la ferme pas. Il y a des éléments qui montrent que nous ne sommes pas dans le fantasme depuis toutes ces années. Le juge en charge de l'inquest ne ferme aucune porte lui non plus. Il ne prend pas parti mais il ne baisse pas non plus la tête quand les officiers de marine tapent du pied et tentent de faire pression".
Au nom du père et des filles
Se battre, au nom du père. Mais aussi au nom de ses deux filles. "C'est leur histoire également, martèle-t-il. Je me suis toujours dit que j'allais faire ce que je peux pour que mes filles n'aient pas à se poser de questions dans vingt ans ni à reprendre le combat. J'ai besoin de leur transmettre quelque chose de leur grand-père". Thierry Lemétayer a tenté de les préserver des remous causés par cette affaire. "Elles ont quand même compris assez jeunes que parfois, les hauts responsables peuvent mal se comporter et mentir au nom de l'intérêt de la nation".
Il se souvient de ce dixième et triste anniversaire du naufrage du Bugaled Breizh. Ce jour-là, les familles des disparus sont à Brest où l'épave du chalutier est sous surveillance de la marine nationale. La scène se passe porte Cafarelli, l'une des entrées de l'Arsenal, en contrebas de la route de la Corniche d'où on aperçoit furtivement la silhouette du chalutier. "On a eu l'autorisation d'entrer et de venir déposer des fleurs près du bateau, relate Thierry Lemétayer. L'une de mes filles demande : 'qu'est-ce qu'il a eu le bateau ?'. Ma femme lui répond : 'demande aux messieurs qui sont là', en désignant les militaires qui nous accompagnaient. Je n'ai jamais oublié ce moment".
Né dans une caisse à poissons
Quand il se rend à Brest, Thierry Lemétayer passe systématiquement par la route de la Corniche. "Je colle des autocollants Bugaled Breizh un peu partout, sourit-il. Je fais mon petit tour et j'en profite pour laisser une trace". Il ne force pas le trait, pas son genre. Il veut la vérité. "Si ces gens-là, ceux qui sont responsables, sont toujours debout, pas question que j'arrête".
Il raconte, pudiquement, ce père embarqué sur les bateaux de pêche dès l'âge de 13 ans, "pour nourrir sa famille". Les marées partagées avec lui quand il était môme. Le travail omniprésent. Et cette retraite que le naufrage du Bugaled Breizh lui a volée. "Il aurait pu s'arrêter avant l'accident, il avait 59 ans et demi. Mais que voulez-vous, il est né dans une caisse à poissons, c'était dur de le stopper".
Georges envisageait de se mettre à la réparation de filets de pêche une fois revenu sur la terre ferme pour de bon. "Mon père, confie Thierry Lemétayer, c'est un exemple de courage pour avoir accepté une vie de travail comme ça et si tôt, une vie à la dure, sur les bateaux". Le fils veut honorer sa promesse : obtenir la vérité, rien que la vérité.