Le naufrage du Bugaled Breizh en 2004 reste entouré de zones d'ombre. Les familles des cinq marins disparus veulent connaître la vérité. Et c'est ce qu'elles espèrent obtenir de l'inquest qui s'ouvre à Londres, ce 4 octobre.
37 secondes. Le 15 janvier 2004, le Bugaled Breizh est avalé par la Manche en un éclair. Le chalutier finistérien de 24 mètres coule au large des Cornouailles britanniques en une poignée de secondes. Cinq hommes d'équipage y laissent leur vie. Seuls les corps de trois marins sont retrouvés, dont ceux d'Yves Gloaguen et Pascal Le Floc'h qui sont ramenés par les sauveteurs sur le sol anglais. D'où l'ouverture d'une procédure en Grande-Bretagne : l'inquest, qui débute ce 4 octobre, à Londres, et va durer trois semaines.
Un navire de cette taille ne peut pas couler comme ça et à cette vitesse parce que l'un des câbles de son chalut s'est accroché dans le sable
Pour les familles d'Yves Gloagen, Georges Lemétayer, Eric Guillamet, Patrick Gloaguen et Pascal Le Floc'h, cette audience sonne comme celle de la dernière chance. "Ce que l'on attend, explique leur avocat, Gaspard de Monclin, c'est simple et cela tient en deux mots : la vérité".
Dix-sept ans après, les circonstances de ce naufrage restent "pour le moins floues et obscures". Seule certitude pour les proches des marins disparus : le Bugaled Breizh n'a pas sombré tout seul. "La majorité des experts indépendants en arrivent à la même conclusion, souligne Me de Monclin. Un navire de cette taille ne peut pas couler comme ça et à cette vitesse parce que l'un des câbles de son chalut s'est accroché dans le sable".
La piste du sous-marin
L'avocat, qui bénéficie du statut de sollicitor sur cette inquest (car admis au barreau de Londres), va pouvoir intervenir pendant les débats et plaider. "Et ça, c'est une chance pour nous" souligne Thierry Lemétayer, le fils du mécanicien du Bugaled Breizh, qui, comme d'autres, a toujours soutenu qu'un sous-marin serait à l'origine du naufrage.
Ce 15 janvier 2004, la Royal Navy d'un côté et l'OTAN de l'autre mènent des exercices militaires dans cette zone du cap Lizard. "Tous les bateaux de pêche savaient qu'il y avait un exercice en cours ce jour-là, relate Gaspard de Monclin. Le Bugaled n'est pas sorti de sa zone de pêche". A l'inverse, un sous-marin aurait-il empiété sur la zone de pêche ? "C'est une certitude, affirme Thierry Lemétayer. Reste à savoir de quelle nationalité il était et qui était aux commandes. Etait-ce le Turbulent qui est britannique ou le Dolfjin qui est hollandais ? Car il y a quand même un sacré faisceau d'éléments qui convergent vers cette théorie". Et d'expliquer que, pendant ces simulations de guerre navale, les sous-marins utilisent le bruit émis par les bateaux de pêche pour couvrir leur présence. "Ils frôlent les chalutiers et se planquent des autres sous-marins de cette manière. Pour les militaires, c'est un jeu !".
L'inquest va donc tenter de faire la lumière sur le naufrage du Bugaled Breizh. "Encore faut-il que tout le monde soit là" prévient Me de Monclin qui pointe "le refus systématique des Hollandais de participer à l'enquête depuis le début". "Ni le carnet de bord du Dolfijn ni le témoignage du commandant, aujourd'hui décédé, n'ont été donnés" constate-t-il.
Le commandant du HMS Turbulent à la barre
Moment fort de ces trois semaines de débat à Londres : l'audition d'Andrew Coles, le commandant du HMS Turbulent à l'époque du naufrage du Bugaled Breizh. Elle devrait avoir lieu le 12 octobre. L'officier anglais n'a jamais été convoqué par la justice française."Si ce sous-marin a quelque chose à se reprocher, il est temps de le dire, martèle le représentant des familles des marins disparus qui a demandé que les images satellite du port militaire de Devonport le jour du drame soient produites. "Depuis le début de cette affaire, le ministère de la Défense britannique assure que le Turbulent n'a pas participé à ces exercices militaires et qu'il était à quai. Nous voulons en avoir le coeur net".
De son côté, le ministre de la Défense anglais se présentera en tant que interested party à cette inquest, un statut lui permettant d'interroger les témoins qui défileront à la barre "Sa théorie n'est évidemment pas celle que nous défendons, relate Me de Monclin. Lui, il dit que c'est la croche du chalut qui a été prise dans le sable et qui a fait couler le bateau".
L'avocat espère qu'après dix-sept longues années de silence, les langues finiront par se délier. "Les familles veulent faire leur deuil, précise-t-il, elles ne veulent plus de mensonges". Les conclusions du juge Lickley, qui présidera les trois semaines d'audience, sont attendues pour fin octobre.