Le premier ministre l'a annoncé hier, et le décret a été pris ce mardi matin : les marchés sont désormais fermés, sauf dérogation accordée par le préfet dans des cas très précis. Pour les producteurs la situation n'est pas évidente mais ce n'est pas la fin de la vente directe, loin de là.
Devant son fournil, Marjolaine Berger a sorti une table sur laquelle elle a disposé sa production du jour. Celle-ci était destinée à être vendue cet après-midi sur le marché bio de Kérinou, à Brest. Un coup de téléphone de la mairie l'a prévenue dès ce matin : les marchés brestois sont suspendus jusqu'à nouvel ordre.
"Maintenant que les marchés ferment aussi, je n'ai plus d'autre choix que de vendre aux grandes surfaces spécialisées dans le bio..." Bien sûr, elle va essayer d'écouler une partie de sa production grâce à son site internet ou directement dans son fournil, mais sa rue est déjà très peu passante d'ordinaire, et avec les mesures de confinement, elle ne se fait guère d'illusion. Elle a été contrainte de mettre son employé au chômage partiel...C'est une catastrophe ! J'avais déjà perdu la moitié de mes points de vente lorsque les restaurants, les écoles et la plupart des lieux publics avaient fermé, raconte la propriétaire du Four de Babel.
Tout le monde sur le marché de Kérinou sentait venir l'interdiction, mais l'incompréhension n'en est pas moins grande : "On avait pris des mesures, on avait recruté des médiateurs qui régulaient le flot des clients" se désoleVirgile Bleunven, producteur de porcs bio à Plabennec et fidèle du marché brestois. "On avait enjoint tous les exposants à mettre des gants, et à se munir de gel hydroalcoolique. On avait espacé les stands, et mis des plexiglas devant les étals pour protéger les marchandises. Je pense qu'on faisait au moins aussi bien que les grandes surfaces."
Ce matin, Virgile Bleunven a fait abattre trois porcs avant d'apprendre la nouvelle. Il va donc solliciter ses clients pour ne pas perdre le fruit de cet abattage. "Je vais m'organiser pour faire des colis et livrer à domicile. Le problème, ce n'est pas la demande : les clients auront toujours besoin de manger, mais il va falloir trouver comment entrer en contact avec eux !"
Les magasins de producteurs restent ouverts, mais doivent s'adapter
A Logonna-Daoulas, le magasin de producteurs Goasven fonctionnait jusqu'ici sur la base du libre service: ce ne sera plus le cas à partir de ce soir. Il va désormais proposer un système de "drive" : "depuis ce matin, nos clients peuvent commander en ligne les produits qu'ils souhaitent acheter" explique Aude Ouvrard, maraîchère et co-responsable de Goasven. "On clôturera les commandes mercredi à 17h. Nos adhérents auront donc 48 h pour préparer les produits, et les gens passeront les chercher vendredi soir. Il en sera de même tous les mardis et vendredis. Le paiement ne pourra se faire que par chèques, qui seront déposés dans une boîte et que nous ne toucherons pas tout de suite. On cherche à se préserver, nous aussi..."
Goasven regroupe habituellement une quarantaine de producteurs, mais l'association va aussi écouler les produits d'agriculteurs qui n'en sont pas membres, et qui ont brutalement perdu tous leurs débouchés.
A Plabennec, le magasin de producteurs Keribio, qui regroupe 18 agriculteurs du Léon, a choisi de continuer à accueillir la clientèle à l'intérieur, mais en appliquant les mesures sanitaires préconisées : «à l'entrée, le lavage de mains est obligatoire pour tout le monde, et on n'entre que deux par deux» raconte Henri Thépaut, maraîcher. "On n'accepte pas la monnaie, seulement les chèques, et les clients doivent avoir leur propre stylo. Nous sommes deux permanents, au lieu d'un seul habituellement : un pour tenir la caisse, l'autre pour gérer le flux des clients et désinfecter régulièrement les étals." La semaine dernière, Keribio a vu ses ventes augmenter très nettement, « de 25 %, peut-être même 50% » assure Henri Thépaut. Un chiffre qui pourrait encore gonfler, avec la fermeture du marché de Plabennec, vendredi.